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La culture, la démocratie et la lutte contre l’extrémisme violent

Le renforcement des institutions démocratiques et l'amplification des valeurs traditionnelles africaines pour promouvoir la cohésion sociale et le consensus vont de pair avec la lutte contre l'extrémisme violent.


Elèves attendent l’ouverture de leur école primaire le jour de la rentrée scolaire. (Photo: Olympia de Maismont / AFP)

L’aggravation de la menace sécuritaire à cause des groupes islamistes militants a fait du Sahel la région la plus vulnérable à l’extrémisme violent en Afrique et, selon certaines estimations, dans le monde. Cette insécurité a été utilisée pour justifier les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger – bien que les morts liés à l’extrémisme violent aient en fait augmenté sous chacune de ces juntes – sans qu’aucune fin ne soit en vue.

Afin d’obtenir une perspective sur les alternatives pour répondre à la menace sécuritaire, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique s’est entretenu avec le professeur Abdoul Karim Sango, l’ancien ministre de la Culture du Burkina Faso. Le professeur Sango observe que la propagation de l’extrémisme violent au Sahel est fondamentalement une crise culturelle qui nécessitera des solutions culturelles. Celles-ci sont étroitement liées au renforcement de l’identité nationale et des pratiques démocratiques de gouvernance collective et de responsabilité – des valeurs culturelles profondément enracinées dans les traditions africaines.

On commence par le rôle de la culture. Quel rôle voyez-vous jouer dans la lutte contre l’extrémisme violent ?

La culture joue un rôle fondamental, j’allais dire, dans la lutte contre l’extrémisme violent. Lorsqu’on observe de près, en fait l’extrémisme violent s’attaque à la culture. D’où les attaques dirigées contre les écoles, donc contre le savoir. L’école est le lieu par excellence de la transmission des connaissances et des savoirs. Et ce sont les connaissances et les savoirs qui construisent finalement notre personnalité par l’acquisition des valeurs. Par exemple, ceux qui recourent à l’extrémisme violent détestent les droits de l’homme qui sont des valeurs que l’école enseigne. Les droits de l’homme aujourd’hui sont devenus un élément de la culture, un élément de la civilisation humaine. A partir du moment où les extrémistes violents s’attaquent à la culture, nous devons recourir à la culture pour lutter contre l’extrémisme violent. Voilà la thèse que je défends !

La culture joue un rôle fondamental dans la lutte contre l’extrémisme violent.

La culture comprend également les valeurs et l’histoire, qui sont deux éléments essentiels à la construction d’une société confrontée au défi de l’extrémisme violent. La culture dans le contexte d’un pays comme le Burkina Faso joue un rôle important. La culture façonne l’identité des peuples—et donc la nation. Quand on dit un peuple, ce qui se cache derrière, c’est une identité culturelle. Il n’existe pas de peuple sans culture. Je vous donne un exemple :  au Burkina Faso une étude du ministère de la Culture en 2018 a démontré que le peuple burkinabè a des valeurs culturelles communes comme la tolérance ; la fraternité ; l’hospitalité ; l’honnêteté ; le respect pour les anciens ; le respect du droit à la vie. Ce sont des valeurs que l’on retrouve chez tous les groupes ethniques du pays. La question fondamentale qu’on peut se poser est celle de savoir comment une société qui a des valeurs comme celles que je viens de mentionner sombre dans une culture de l’extrémisme violent, porteuse de valeurs totalement opposées ?  On peut affirmer que dans cette société, il y a une crise des valeurs culturelles. Cela dit, le constat est là qu’au-delà du Burkina Faso, le monde lui-même traverse une véritable crise des valeurs, d’où la culture de la violence un peu partout sur la planète. Evidemment, plus on renforce le rapport aux valeurs culturelles, plus la cohésion sociale se renforce entre les communautés qui réalisent que ce qui les unit est beaucoup plus important que ce qui les divise.

Voilà pourquoi je crois que la culture joue un rôle fondamental dans la lutte contre l’extrémisme violent et la reconstitution de la cohésion sociale. Aujourd’hui dans cette période extrêmement difficile que traverse les pays du Sahel, les peuples qui vivaient en parfaite harmonie depuis des millénaires et qui partagent une histoire commune se méfient les uns des autres. Nous devons continuer de rappeler aux populations qu’elles doivent résister par tous les moyens à cette idéologie de la mort que diffuse l’extrémisme violent. C’est une culture qui vient de l’étranger et n’est pas compatible avec l’identité des peuples de chez nous.

Comment la culture peut-elle être mobilisée pour renforcer la cohésion sociale et l’identité nationale ?

Déjà par l’éducation. L’éducation est le moyen le plus efficace et le plus sûr de transmission des valeurs. C’est par elle que l’on peut enseigner et partager les valeurs qui construisent la vraie citoyenneté des peuples. Beaucoup de générations d’Africains ont appris les valeurs comme la tolérance, l’hospitalité, la solidarité au village dans les contes ou simplement dans le vécu de leurs parents. Par exemple, chez vous les Américains, j’observe que vos enfants sont éduqués à aimer leur patrie et en être fiers partout. A l’école, vous transmettez les valeurs de votre société à vos enfants. C’est ce que l’école doit faire dans des pays comme le Burkina Faso pour façonner l’identité du peuple.

Ecoliers jouent à l’école Village-Opera, conçue par l’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré, lauréat du prix Pritzker, à Laongo, au Burkina Faso. (Photo by Olympia de Maismont / AFP)

C’est au nom de l’hospitalité, au nom de la solidarité, que dans certaines provinces du Burkina Faso, vous trouvez des populations qui viennent d’ailleurs (provinces et pays) et sont bien intégrées.  J’aime citer l’exemple de la ville de Bobo Dioulasso. Si vous partez par exemple à l’ouest du Burkina Faso à Bobo Dioulasso vous avez une forte communauté peule qui est bien intégrée au point où dans l’imaginaire, dans l’esprit, des gens du Bobo ne sont plus des gens qui viennent d’ailleurs.  Et une parenté à plaisanterie est établie entre les Bobo et les peules. En principe, aucun conflit ne doit pouvoir les opposer sans trouver un règlement fraternel. Voilà comment par les valeurs culturelles on arrive à renforcer la cohésion sociale entre des population.

La sensibilisation est un autre volet qui permet de construire une identité nationale mise au service de la cohésion sociale. En général quand on parle d’éducation, on cible les plus jeunes. Il est difficile d’éduquer une personne adulte dont les référents de valeurs sont déjà établis. On peut sensibiliser les adultes et les plus jeunes en recourant au cinéma, au théâtre, à la musique, à tous les arts en général. Les arts nous rappellent souvent notre histoire, donc les chemins parcourus et aident à développer une conscience historique sans laquelle il peut être difficile pour différents peuples vivants sur un même territoire de s’entendre pour vivre ensemble. Souvent le souvenir du passé peut aider une société diversifiée à sortir de sa prison pour toujours réenvisager un futur possible.

Quelles sont les mesures pratiques qui peuvent être prises pour utiliser la culture dans la lutte contre l’extrémisme violent ?

Pour gagner le combat contre l’extrémisme violent il faut déconstruire le discours sur l’extrémisme violent qui est diffusé au sein de la société. Sur ce plan, ce que le gouvernement doit faire n’est pas théorique, il doit s’inspirer des modèles qui ont réussi. Et des cas existent. Quand j’étais ministre de la Culture, j’ai organisé un colloque de tous les ministres de la Culture du G5 Sahel autour du thème « la contribution de la culture à la lutte contre l’extrémisme violent ». Mon homologue de la Mauritanie a fait un bel exposé où il a expliqué comment la culture les a aidés à déconstruire le discours sur l’extrémisme violent.  Pour ce faire, ils ont recouru aux Ulémas qui sont des hommes ayant une très bonne connaissance dans la religion musulmane et du Coran.  Grâce à ces interventions des Ulémas, les personnes endoctrinées ont compris que l’extrémisme violent était contraire à la religion. À mon avis, le gouvernement doit renforcer les partenariats avec les nombreuses association islamiques intervenant sur les questions religieuses.

Il faut avoir un autre discours bien construit avec un argumentaire où on démontre que la voie des extrémistes violents est sans issue pour les jeunes qui l’empruntent

Le deuxième aspect c’est qu’aujourd’hui les partisans de l’extrémisme violent utilisent beaucoup les réseaux sociaux pour diffuser des messages de haine, d’intolérance pour légitimer leurs crimes. Les Etats doivent s’aider mutuellement pour faire la guerre au discours de la haine et de l’intolérance sur les réseaux sociaux. On a constaté que la Côte d’Ivoire a signé un accord avec ses partenaires pour mieux traquer les désinformations.

Si on veut contrer les mouvements djihadistes, il faut avoir un autre discours bien construit avec un argumentaire où on démontre que la voie des extrémistes violents est sans issue pour les jeunes qui l’empruntent. Il n’y a aucun avenir là-dedans pour ceux qui s’y engagent. Je pense qu’il faut même une initiative portée par les Nations unis pour interpeller les multinationales qui gèrent les réseaux comme Facebook, WhatsApp sur la nécessité de mettre en place des mécanismes pour une meilleure régulation.  Nous devons activement traquer tous ceux qui font l’apologie de l’extrémisme violent parce que on ne peut pas parler de liberté de l’expression quand cette liberté tant à détruire les valeurs humaines construites après tant de luttes.

L’autre aspect porte sur le rôle des médias classiques. Il faut multiplier les campagnes de communication et de sensibilisation sur la déconstruction du discours de l’extrémiste violent à la télévision et dans la radio. Nous devons à l’échelle mondiale, mobiliser de nombreuses ressources pour financier des projets dans ce domaine. Il faut former les jeunes pour une meilleure utilisation des médias. Bien formés et informés, ils seront des fantassins de la guerre numérique en diffusant les messages de la paix et de la tolérance dans tous les espaces médiatiques. Les jeunes qui sensibilisent d’autres jeunes, c’est un moyen efficace sur le plan pédagogique pour atteindre les cibles. Voilà comment nous pourrons créer un environnement de paix et de sécurité collective dans les sociétés en crise. Les pays qui prétendent défendre la liberté et la démocratie doivent aider les citoyens du Sahel. Les difficultés de ce moment ne doivent pas nous faire oublier les grandes valeurs que nous partageons ensemble.

Et que pensez-vous de l’argument selon lequel de telles pratiques peuvent s’avérer utiles, mais seulement une fois que les questions de sécurité sont résolues ?

Évidemment, il ne faut pas négliger les forces de la sécurité mais il ne faut pas surestimer ce qu’ils peuvent faire. Je cherche toujours un exemple de pays qui est arrivé à bout de l’extrémisme violent selon une approche basée exclusivement sur la guerre. C’est pourquoi il faut très sérieusement revoir la question de la place de la culture. Elle nous invite à considérer la contribution tangible de la culture.

On a l’impression que c’est quelque chose de purement théorique ou intellectuel, mais la culture a des dimensions économiques et sociales. Beaucoup de gens qui sont recruté dans les groupes extrémistes sont de jeunes souvent en désarroi, sans emploi et aucune perspective sérieuse d’avenir. Alors la culture peut être une opportunité si on sait la prendre par le bon bout. Le développement du secteur de la culture peut être un moyen efficace pour trouver de l’emploi aux jeunes dans le cinéma, en théâtre, dans les arts plastiques, en musique.

« La guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes et c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger les défenses de la paix ».

Il ne faut pas oublier que l’Unesco a une belle formule qui dit dans sa charte que « la guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes et c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger les défenses de la paix ».  La crise sécuritaire est une crise qui demande les solutions de plusieurs dimensions et chaque dimension joue un rôle fondamental qui peut aider à gagner cette guerre.

Je ne suis pas un rêveur, je ne suis pas un utopiste. La culture de la violence qui est devenue la règle de nos jours va détruire notre monde si on ne s’arrête pas pour questionner notre façon de faire. Il faut comprendre que le défi ce n’est pas seulement ce qui se passe nécessairement aujourd’hui, mais aussi penser l’avenir. Le vrai défi pour un pays comme le Burkina Faso, c’est comment réapprendre à vivre ensemble. Si nous ne faisons pas assez pour résoudre nos problèmes sociaux, les problèmes économiques, les problèmes culturels nous pourrions nous retrouver quelques années plus tard dans les situations plus graves. La question sécuritaire est holistique et les partenaires du Burkina Faso doivent l’intégrer dans leur approche.

Vous et d’autres intellectuels africains, tels que Nelson Mandela, Wole Soyinka, Achille Mbembe, Cheick Anta Diop, Felwine Sarr et, bien sûr, l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, avez soutenu que la démocratie était profondément enracinée dans les valeurs africaines. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Oui je me réjouis de défendre la même thèse que mes illustres devanciers que vous citez ! Nul ne peut contester que ces gens soient de brillants esprits qui savent de quoi ils parlent. Quand j’affirme à leur suite que la démocratie était profondément enracinée dans les valeurs africaines c’est surtout en réaction à cette catégorie d’Africains qui tentent d’expliquer que la démocratie en fait est une valeur qui a été imposée aux Africains par les occidentaux et que le soi-disant « échec de la démocratie » est lié au fait qu’elle ne fait pas partie de notre culture.

L’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo.
(Photo : Buala)

La démocratie c’est une forme d’organisation des sociétés qui repose sur deux éléments fondamentaux. Le premier élément de la démocratie, c’est l’idée que tout le monde doit être traité sur le même pied et bénéficié des mêmes droits et libertés. C’est l’idée que le pouvoir conféré à des dirigeants n’est pas un pouvoir absolu et doit nécessairement être limité. C’est autour de ces principes que chaque société définit sont modèle de démocratie.  Et aucune société démocratique ne doit déroger à ces principes.

Sur ces deux éléments, il faut apprécier si les sociétés africaines les ont connus avant l’arrivée du colon. C’est un oui catégorique ! L’exercice du pouvoir dans les sociétés traditionnelles est limité par la coutume. La coutume ce n’est rien d’autre que les lois des sociétés traditionnelles avant les lois des colonisateurs. Partout il y a un groupe des sociétés, il y a toujours un souci de s’organiser et avant la colonisation les sociétés africaines étaient organisées autour de certaines règles qui, parce que nous n’utilisons pas l’écriture, étaient des règles non-écrites mais qui sont des règles qui ont été transmises progressivement au sein de la collectivité.

Le premier élément de la démocratie, c’est l’idée que tout le monde doit être traité sur le même pied et bénéficié des mêmes droits et libertés.

Certaines sociétés africaines selon d’éminents anthropologues reposent sur l’idée même qu’il ne doit pas avoir un chef au-dessus des autres. Tous les citoyens sont placés sur un pied d’égalité. Ces sociétés ont existé en Afrique.

Je peux citer l’exemple des sociétés moagha, lobi, gourounsi pour illustrer ce que je viens d’avancer. C’est tout cela qui nous poussent à affirmer que la démocratie n’est pas méconnue en Afrique.

Le deuxième élément de la démocratie, c’est l’idée que le pouvoir conféré à des dirigeants n’est pas un pouvoir absolu.

Un autre exemple c’est la forme des prises de décision dans les sociétés traditionnelles en Afrique fondée sur le consensus, généralement appelé l’arbre à palabres. Sur le plan démocratique, on ne peut pas trouver une meilleure modalité de prise des décisions.  Parce que les sociétés africaines sont parties du postulat qui veut qu’il faille dans toutes les situations préserver les idéaux du groupe au détriment des idéaux des individus. Donc ça fait qu’en Afrique quand il y a un problème on le discute en prenant le temps d’écouter tout le monde. Ça fait dire souvent à certains auteurs que les africains n’ont pas la notion de temps. Non, les africains ne sont pas les esclaves de temps mais c’est plutôt le temps qui est soumis aux Africains au nom de la recherche de la cohésion sociale. C’est toute la collectivité qui compte.

Il est évident que le modèle démocratique tel quel nous avons hérité de la colonisation a contribué à briser notre propre modèle. On a contribué à casser notre système interne d’organisation sans évaluer si c’était ce qu’il y avait de meilleur pour la population. À partir de ce moment lorsque nous héritons comme ça du modèle qui vient de l’extérieure sans l’adapter à nos valeurs à notre identité ça peut créer des problèmes. Ça donne les résultats que nous avons aujourd’hui. C’est cela qui fait que la démocratie dans certains pays est très contestée. Et avec raison !

Comment voyez-vous la relation entre la démocratie et la sécurité ?

C’est un gros débat qui a émergé avec surtout les crises sécuritaires qu’on vit dans le Sahel. Avant cette période, je ne me rappelle aucun écrit qui tendait à opposer démocratie et sécurité. C’est pareil dans des pays comme la RDC. Les états fragiles sont souvent traversés par ce type de questionnement. Voilà, c’est ça ! C’est ça qui fait dire à certaines personnes « security first, democracy second ». Mais je pense que c’est un débat qui ne résiste à l’analyse parce que l’insécurité émerge et se nourrit de la fragilité des Etats. Et une des causes de la fragilité des Etats c’est la faiblesse des institutions démocratiques. Pour moi les deux notions démocratie et sécurité se tiennent. Il n’y a pas l’un sans l’autre.

Si vous prenez la carte du monde, on peut observer que les Etats où il y a le plus d’insécurité sont des Etats à faible capacité institutionnelle.  Plus un Etat est véritablement démocratique, il est plus fort pour assurer la sécurité de ses citoyens.

Femmes déplacées se rassemblent à l’ombre dans le camp de déplacés de Torodi à Dori, dans le nord-est du Burkina Faso. (Photo: Fanny Noaro-Kabre / AFP)

En fait ce qu’on observe aujourd’hui dans l’espace sahélien c’est un phénomène qui est lié à la faiblesse de l’Etat et donc à la faiblesse des institutions. La vraie question en Afrique est celle de savoir ce qu’est la démocratie ? Quelle est le bon modèle pour les Etats comme le nôtre après l’expérience que nous avons connue.

Des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, ont commencé à s’engager sur la voie de la démocratie autour des années 1990. Avant cela, ils ont connu divers types de régimes et il y a eu un mauvais pratique démocratique. Avec la crise sécuritaire, les gens pensent que c’est la démocratie qui en est en partie la cause. À priori, on peut le penser. Mais ce qu’il faut au sortir de tous ces problèmes c’est la mise en place des reformes courageuse pour renforcer les règles démocratiques et les institutions en vue de renforcer la sécurité. On ne peut donc pas opposer la démocratie et la sécurité. Elles vont de pair.

Quelles leçons peut-on tirer de l’expérience passée de l’Afrique en matière de régime militaire ?

Il y a beaucoup de passion là-dedans.  Faut-il un régime militaire ou un régime civil ? Un pays comme le Burkina Faso a expérimenté plus de régimes militaires que de régimes civils depuis les indépendances. Je ne pose pas le problème en termes de civils ou militaires. Ce qu’il nous faut c’est que toute personne qui exerce le pouvoir se soumette à la constitution.

Ce qu’il nous faut c’est que toute personne qui exerce le pouvoir se soumette à la constitution.

Il ne faut pas être naïf, un régime civil peut être pire qu’un régime militaire si ce régime ne respecte pas les règles de la constitution. Mais nous devons simplement éviter que l’armée intervienne dans la vie politique par des coups d’état dont les motivations peuvent a priori être sincères. D’où souvent on assiste à un soutien populaire de certains coups d’état.  Gardons nous d’ériger cette pratique en règle au risque d’être dans des logiques de coups d’état permanents.

Donc je préfère qu’on parle en termes de régime constitutionnel parce que c’est la constitution qui fixe les limites à tous les citoyens. Ce qu’il faut faire c’est plutôt travailler à ce que le régime constitutionnel soit accepté par tout le monde. Il faut mettre des mécanismes dans la constitution pour empêcher des gens incompétents d’accéder ou de s’accrocher au pouvoir. Aux États unis, vous avez la procédure de l’impeachment. Qu’est qui empêche les africains de mettre dans leur constitution la procédure d’impeachment ?  Si vous vivez une crise sécuritaire qui se prolonge à cause de l’incompétence du président, on doit pouvoir le démettre par la constitution sans que les militaires ne fassent un coup d’Etat. C’est vers ça que nous devons travailler progressivement.

Selon vous, que faut-il faire pour renforcer la démocratie en Afrique ? Quel avenir voyez-vous pour la démocratie en Afrique ?

Je pense que la démocratie est l’espoir des peuples libres. Et tous les peuples aspirent vivre dans une société de liberté.  Aucun peuple ne veut être tenu en esclavage donc de ce point de vue je ne me fais pas d’inquiétude sur l’avenir de la démocratie.  Il faut donner le temps aux Africains d’aller à leur rythme en bâtissant une démocratie authentique comme l’ont fait tous les pays qui donnent des leçons aujourd’hui. On n’a pas laissé les africains construire dans la durée leur rapport à la démocratie. On ne s’est pas posé la question à savoir quelle est le modèle du parlement qui convenait le mieux à nos peuples ? On ne s’est pas posé la question à savoir quel est le meilleur type du régime politique ? Est-ce-que le président doit être élu par la suffrage universel direct ?  On ne s’est pas posé la question à savoir quelle est le modèle d’Etat même qui est adapté à notre culture ? Est-ce-que c’est un état fortement décentralisé ou un Etat fédéral qui convient ?  Par exemple, je suis partisan d’un Etat fortement décentralisé avec de vrais gouvernants légitimes au niveau local et non des gens soumis à l’administration centrale comme c’est le cas dans le modèle burkinabè de décentralisation.

Mais ce qu’il faut au sortir de tous ces problèmes c’est la mise en place des reformes courageuse pour renforcer les règles démocratiques et les institutions en vue de renforcer la sécurité.

Nous sommes à un tournant de l’histoire. On peut donc prendre de très bonnes décisions pour refonder l’Etat et les institutions mais en ouvrant un débat inclusif et transparent.  En principe, l’insurrection de 2014 aurait dû permettre au peuple burkinabè de régler durablement les questions institutionnelles. Mais j’avoue que le temps assez court de la transition ne l’a pas permis et nous avons été rattrapés quelques années plus tard. Il faut écouter les gens d’en bas. Ce que nous n’avons pas fait jusque -là. Une partie de l’élite (y compris moi) avait monopolisé le débat sur les choix stratégiques pour l’avenir du pays. Mais ce n’est pas ça la démocratie. La démocratie est la voix du peuple.

Pour répondre précisément à votre question je pense que les amis du Burkina Faso, les amis de l’Afrique doivent plutôt en ce moment très difficile faire-preuve de beaucoup de lucidité, écouter beaucoup, pourque nous ne trompions pas du combat mais que nous continuions de construire ce rêve de monde de paix et de sécurité. Si on abandonne le Burkina Faso, le pays peut basculer avec des conséquences certaines pour toute la sous-région ouest africaine. Ce que je dis est aussi valable pour les pays frères du Mali, du Niger.  Il ne faut pas croire qu’on peut consolider la sécurité en Côte d’Ivoire ou au Ghana, avec un Burkina Faso isolé. Nous devons en toute franchise penser à la sécurité collective de nos Etats. Cela exige la mise en place de ce que beaucoup de citoyens appellent « une vraie démocratie ».


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