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La COVID-19 et la crise des déplacements en Afrique

La propagation du coronavirus en Afrique s’entrecoupe avec la crise des déplacements de la population sur le continent. Protéger les personnes déplacées et les migrants constituera un élément clé pour réduire le taux de transmission du virus.


A camp for internally displaced persons in Juba, South Sudan

Un camp de personnes déplacées en interne à Juba au Soudan du Sud. (Photo: UN/Isaac Billy)

La pandémie de la Covid-19 se propage en Afrique alors même que le continent est confronté à un chiffre record de déplacement de population. L’Afrique fait actuellement face à plus de 25 millions de personnes déplacées de force – personnes déplacées en interne (PDI) et réfugiés – le résultat de conflits et de la répression. Environ 85 % de ces déplacés sont originaires de huit pays: la République démocratique du Congo, le Soudan du Sud, la Somalie, l’Éthiopie, le Soudan, le Nigéria, la République centrafricaine et le Cameroun.

L’Afrique connaît aussi des taux élevés de migration – des personnes qui quittent leur domicile en quête de meilleures opportunités – souvent vers des zones urbaines où l’activité économique est plus importante. Les destinations clés sont l’Algérie, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Maroc, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Les migrants ont tendance à suivre trois itinéraires principaux : de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est vers l’Afrique du Nord, de l’Afrique de l’Est vers le Moyen Orient, et de l’Afrique de l’Est vers l’Afrique du Sud. Environ 80 % des migrants économiques restent en Afrique.

Sources des données : UNHCR, IOM, MMC

Si ces groupes n’ont pas été identifiés comme des vecteurs importants de transmission de la COVID-19, les fortes densités de population parmi les populations déplacées, couplé à la haute mobilité des migrants, rend les deux groupes particulièrement vulnérables à l’exposition au virus. Ils seront donc prioritaires pour réduire la propagation du virus en Afrique. Ceci nécessitera des engagements politiques avisés et efficaces et des messages destinés au public, ainsi que l’atténuation de la stigmatisation et de la xénophobie basée sur la peur envers ces groupes.

Risques auxquels sont confrontés les déplacés de force en Afrique

Sources des données : UNHCR, IOM

Un grand nombre des déplacés de force d’Afrique se trouvent dans des camps gérés et des quartiers informels. Ceux-ci abritent souvent des dizaines, voire des centaines de  milliers de personnes. Dix pays africains hébergent la plus grande partie de personnes déplacées.

  • Le Soudan héberge plus d’un million de réfugiés et 1,86 millions de PDI, parmi lesquels 1,6 millions se trouvent dans des camps au Darfour.
  • L’Ouganda héberge plus d’un million de réfugiés. L’agglomération informelle de Bidi Bidi, le plus grand camp de réfugiés en Afrique, abrite plus de 230 000 réfugiés du Soudan du Sud.
  • En raison de l’insurrection de Boko Haram, plus de deux millions de personnes sont déplacées internes au Nigeria. Elles vivent dans 32 camps gérés par le gouvernement.
  • L’Éthiopie héberge plus de 700 000 réfugiés. La région de Gambela abrite plus de 300 000 réfugiés du Soudan du Sud dans ses sept camps. La région Somali héberge près de 160 000 réfugiés de Somalie dans cinq camps.
  • Les trois camps de Dadaad au Kenya hébergent quelques 200 000 réfugiés somaliens.
  • La RDC, le Tchad, le Cameroun, le Soudan du Sud et la Tanzanie hébergent chacun plus d’un quart de million de réfugiés.

Sources des données : UNHCR, IOM

Pour trouver un emploi, un grand nombre de populations déplacées de force s’installent dans des zones urbaines surpeuplées. Dans tous ces environnements – camps, quartiers informels, bidonvilles – les services de santé sont débordés ou inaccessibles, aggravant le risque d’exposition et de vulnérabilité à l’infection. La capacité de ces communautés à pratiquer la distanciation sociale est quasiment impossible. Si le coronavirus parvenait à atteindre ces communautés, sa propagation serait rapide et destructive.

De nombreux camps de réfugiés et de PDI sont situés dans des zones frontalières relativement isolées. Tandis que cette isolation offre à leur population un degré de protection, elle présente aujourd’hui de nombreuses possibilités d’exposition. Les fonctionnaires du gouvernement, les organisations humanitaires et les vendeurs font régulièrement entrer et sortir des individus de ces camps. Parmi les communautés déplacées, beaucoup font le va et vient de ces quartiers en quête de travail, de nourriture, de carburant ou d’eau. Bien qu’il soit recommandé aux habitants des  camps de rester chez eux, de nombreux défis pratiques les en empêchent au quotidien.

Risque pour les migrants économiques

Le continent voit un flux vigoureux de migration informelle :  des centaines de milliers de personnes traversent officieusement les frontières chaque année. En majorité des jeunes hommes et femmes, dont beaucoup de marchands saisonniers et journaliers, ils voyagent tous en dehors des voies légales. En Afrique, la migration informelle représente une solution temporaire à un système de gestion migratoire brisé ou peu développé. Sans une forme de reconnaissance légale, les personnes voyagent à leurs propres risques. Quand elles traversent les frontières pour travailler, elles demeurent légalement portées disparues et introuvables.

« Si les migrants informels étaient exposés au virus ou en présentaient des symptômes, ils éviteraient fort probablement de chercher de l’aide. »

Ces migrants informels sont attirés vers des centres urbains économiquement dynamiques à haute densité. Un grand nombre de ces villes et localités sont entourées de bidonvilles surpeuplés où les systèmes d’égout et d’approvisionnement en eau courante propre font défaut. Ils viennent s’ajouter dans ces quartiers qui logent aussi les habitants les plus pauvres de la communauté hôte. Tous ces résidents vivent au jour le jour et sont incapables de rester chez eux et encore moins de pratiquer la distanciation sociale.

Conscients du fait qu’ils ne jouissent d’aucun statut juridique, les migrants informels craignent non seulement d’être identifiés aux frontières, les entrainant à les éviter, mais ils évitent aussi d’attirer l’attention au quotidien. Au-delà des forces de l’ordre, les demandeurs d’asile et les migrants informels craignent aussi d’être victimes de la violence de populations locales apeurées par la pandémie. Ceci signifie que s’ils étaient exposés au virus ou en présentaient des symptômes, ils éviteraient fort probablement de chercher de l’aide ou de se faire remarquer, accélérant donc la propagation du virus.

Que faire ?

La solidité de la chaîne sociétale n’est aussi forte que son maillon le plus faible. Les gouvernements doivent souligner que cette pandémie nécessite de se concentrer sur les communautés dans leur intégrité, y compris les personnes les plus marginalisées et vulnérables. Ceci inclut les personnes déplacées de force et les migrants économiques, ainsi que les communautés appauvries qui les accueillent. La stigmatisation, l’hostilité et la persécution répandront le virus au lieu de le contenir. Ceux qui ressentent le besoin de cacher leur statut de migrant pour travailler et vivre librement se sentiront également obligés de cacher leur exposition au virus ou à tout autre symptôme, devenant alors une menace pour l’ensemble de la communauté.

Kibera Slum Nairobi Kenya along railroad tracks

Chemin de fer traversant le bidonville de Kibera à Nairobi au Kenya. (Photo: Trocaire)

Dans de nombreux contextes, que ce soit dans les bidonvilles urbains ou dans les camps, ne donner que des conseils sur les mesures d’hygiène et la distanciation sociale ne suffit pas. Des adaptations sont requises pour augmenter l’accès au savon et à l’eau. Il est également nécessaire d’assurer l’accès à la nourriture et au carburant pour limiter le besoin des habitants de se déplacer hors des camps. Heureusement, il existe déjà de bons modèles, allant de l’approvisionnant les services publics (écoles, cliniques et points d’eau potable) dans les bidonvilles urbains, à la production d’annonces de services publics dans les dialectes locaux et à la création de cuisines communautaires dans les zones vulnérables pour servir des millions de repas à la fois. De tels modèles doivent être adaptés au contexte et reproduits autant que possible.

Jusqu’à présent, aucun cas de COVID-19 n’a été signalé dans les camps de réfugiés et de déplacés internes africains. Néanmoins, le HCR a mis en place des plans pour contrôler, signaler, atténuer et réagir aux menaces à la  santé publique dans ses camps de réfugiés. Ces pratiques doivent être reproduites par les autorités qui gèrent d’autres populations déplacées. L’État de Borno au Nigéria a interdit les visites dans ses camps de PDI. D’autres mesures sont nécessaires pour empêcher le virus de s’infiltrer dans les camps. Les administrateurs de camps, en coopération avec les résidents doivent également réfléchir à la manière de modifier la manière de distribuer les denrées essentielles afin d’éviter les grands rassemblements, fournir des réserves de médicaments à ceux qui souffrent de maladies chroniques et développer des sections d’auto-isolement pour réduire les transmissions au sein des ménages et du camp lorsque les résidents tombent malades.

Les migrants qui se sont installés dans les zones urbaines devraient être soutenus dans le cadre de l’effort global de santé publique pour contenir et répondre au virus. Les gouvernements devraient également envisager d’encourager les migrants informels à sortir de l’ombre pour être enregistrés et si nécessaire testés et soignés, sans crainte de représailles, d’incarcération ou de déportation.

« Forcer les migrants informels à rester par peur dans l’ombre ne fera que propager plus rapidement l’étendue du virus. »

Ce n’est qu’en identifiant, isolant et soignant les cas que les responsables de la santé publique pourront réagir efficacement à la menace sociétale. Forcer les migrants informels à rester par peur dans l’ombre ne fera que propager plus rapidement l’étendue du virus. Les gouvernements devraient également encourager les migrants à rester où ils se trouvent tant qu’ils sont en sécurité, l’objectif étant de de réduire des mouvements inutiles. Les migrants poseront ainsi moins de risques pour eux-mêmes et pour les communautés d’accueil. Dans le même esprit, la messagerie publique dans les pays d’origine devrait également être intensifiée afin de décourager le départ de nouveaux migrants.

L’Afrique est confrontée à de nombreux défis pour répondre à cette pandémie mondiale. En donnant la priorité aux principaux groupes vulnérables, tels que les populations déplacées de force et les migrants, ceux qui tentent d’endiguer la propagation de la COVID-19 sur le continent peuvent aider à aplanir la courbe de transmission et ainsi, réduire les impacts globaux de la maladie.


Ressources complémentaires