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Implications juridiques et du secteur de la sécurité dans le cadre de la restitution des Sud-Soudanais

La restitution des Sud-Soudanais constitue une infraction au droit international et présente des risques juridiques pour les professionnels du secteur de la sécurité concernés.


Kenya Judiciary Building

Photo: Wing.

Deux militants sud-soudanais membres du MPLS-Opposition (Mouvement populaire de libération du Soudan en opposition) ont disparu le 24 janvier dernier. Selon les informations, ils auraient été enlevés par des agents sud-soudanais avec la collaboration de membres des services de sécurité du Kenya.

Suite à des menaces de mort à son encontre, Dong Luak, avocat et ancien vice-président de la Commission des affaires constitutionnelles du MPLS-Opposition, a fui le Soudan du Sud en 2013. Il a quitté ses amis le 23 janvier à 21 h 00 pour se rendre dans l’un des complexes résidentiels de Nairobi, mais il n’est jamais rentré à son domicile. Tôt le lendemain matin, le président de la commission des affaires constitutionnelles du MPLS-Opposition, Aggrey Idri Izbon, a été enlevé alors qu’il effectuait son footing par des individus toujours non identifiés à ce jour.

Suite aux interventions d’Amnesty International, de la Commission des droits de l’homme des Nations unies et des familles des victimes, la Haute Cour de Nairobi a, dans un premier temps, ordonné à la police kenyane d’enquêter sur les disparitions. La Cour a ensuite rendu le 25 janvier des ordonnances conservatoires demandant au ministère de l’Immigration de renoncer à leur extradition au Soudan du Sud, où ils encourent le risque de tortures et de mauvais traitements.

Il est apparu au cours de l’audience que des responsables sud-soudanais avaient agi en collaboration avec des agents kenyans, le tribunal a donc, dans son deuxième arrêt, ordonné l’arrestation de John Top Lam, l’attaché militaire de l’ambassade du Soudan du Sud impliqué dans la disparition. La famille de Luak soutient, dans les déclarations sous serment déposées auprès du tribunal, que les deux hommes étaient effectivement détenus par des responsables des services de renseignement kenyans. Elle affirme également que Top Lam l’a appelée, affirmant avoir connaissance de l’endroit où se trouvaient les disparus et exigeant 10 000 dollars pour faciliter leur libération. Top Lam conteste ces allégations dans une déclaration sous serment, déposée auprès de la Haute Cour.

Dans son arrêt du 22 février 2017, la Cour refuse de rendre une ordonnance d’habeas corpus (de déférer les deux Sud Soudanais devant la justice), ayant conclu que la disparition de Messieurs Leak et Izbon constituait un acte criminel d’enlèvement, vraisemblablement « en lien avec la situation politique précaire au Soudan du Sud… » Pour la Cour, les preuves qui lui ont été soumises ne permettent pas d’impliquer la police ou les services de renseignement kenyans, et « à première vue, le gouvernement kenyan n’a rien à gagner de cette disparition. » La police a reçu l’ordre de poursuivre l’enquête.

De nombreux rapports accusent le gouvernement du Soudan du Sud de graves violations des droits de l’homme, dont certaines ciblent des acteurs et des militants de la société civile. À mesure que s’intensifie au Soudan du Sud la répression à l’encontre des militants, journalistes et membres de l’opposition, le gouvernement semble faire monter d’un cran ses activités contre l’opposition dans les pays étrangers voisins, avec la collaboration des autorités de ces pays. Quelques semaines avant cet incident, James Gatdet, le porte-parole du MLPS-Opposition, avait été arrêté par les autorités du Kenya et déporté vers Djouba le 3 novembre 2016, s’attirant la condamnation générale. Il serait maintenu au secret par la redoutable Sécurité Nationale, un organisme de renseignement s’étant fait connaitre pour ses pratiques de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions de militants d’opposition au régime.

Restitution et droit international

Les cas kenyans ont suscité de multiples préoccupations d’ordre juridique. Du point de vue du droit international, les questions portent en particulier sur d’éventuelles violations des obligations internationales.

En vertu du droit international, les réfugiés bénéficient du principe de non-refoulement, une protection absolue, au titre duquel les pays d’accueil sont tenus de ne pas renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine où ils sont susceptibles de faire l’objet de graves préjudices.

L’article II (3) de la Convention de l’Union africaine qui régit les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (dans le cadre de la Convention de l’OUA) de 1969 stipule en particulier que :

Nul ne peut être soumis par un État membre à des mesures telles que le refoulement à la frontière, le renvoi ou l’expulsion, qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées… (nous soulignons)

Cette règle a acquis le statut de droit international coutumier et est incontestable. Cela signifie qu’une grande majorité des États membres considèrent que cette règle règlemente leur comportement au titre du droit et n’ont pas besoin, pour y être liés, d’avoir adhéré à l’un ou l’autre des deux principaux traités sur les réfugiés qui la codifient.

Le Kenya est lié aussi bien par la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, que par la Convention de l’OUA mentionnée précédemment. Cette dernière élargit au sein du contexte africain, les motifs pour lesquels un individu peut être considéré comme réfugié. Si la persécution représente bien le principal motif justifiant l’octroi du statut de réfugié, au titre de la Convention de 1951, le traité de l’UA reconnaît que les conflits armés et les troubles internes en Afrique constituent une source majeure de l’afflux de réfugiés. Les personnes fuyant la guerre, à l’instar de Luak, Idri et Dak, peuvent prétendre au statut de réfugié, indépendamment de la reconnaissance formelle accordée par les autorités kenyanes au terme d’une procédure de détermination du statut de réfugié, qui prend souvent des années pour aboutir.

Le refoulement de personnes protégées au titre du droit international constitue donc une violation du droit international de la part du Kenya. Les extraditions non contrôlées par le système judiciaire sont également une violation des règles de procédure régulière s’appliquant aux poursuites pénales, de la même façon qu’aux procédures d’extradition qui sont, elles, de nature civile.

La notion de “décrets d’extradition”, supposément promulgués dans les deux affaires, ne saurait en aucun cas invalider les obligations du gouvernement au regard du droit international. Une personne confrontée à une mesure d’expulsion vers un autre pays doit être en mesure de contester cette mesure devant un juge et d’exprimer d’autres préoccupations pertinentes. Enlèvements et restitutions, qu’ils soient clandestins ou pas, privent le sujet du droit de recours devant un juge supervisant son extradition et le privent de répondre aux inquiétudes du sujet.

En dehors du cadre des droits des réfugiés, une pratique juridique est apparue, qui consiste à annuler, pour les tribunaux du monde entier, des demandes d’extradition vers des pays où la personne, bien que faisant l’objet de poursuites judiciaires légitimes, peut être soumise à la torture, des traitements inhumains ou dégradants ou à la peine de mort.

Obligations légales des professionnels du secteur de la sécurité

En vertu du droit international, l’État est tenu de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits auxquels les citoyens et ceux résidant sur son territoire peuvent prétendre. Ces obligations mandatent les États pour créer des mécanismes de responsabilisation du secteur de la sécurité et de ses membres. Sur la base de la législation nationale adoptée en vertu de ce mandat, les agents de sécurité (y compris le renseignement) sont individuellement passibles de poursuites, mesures disciplinaires (y compris le licenciement) et poursuites pour indemnisation de la part des victimes de violations. Poursuites et actions en justices font partie d’un éventail plus large d’outils destinés au contrôle civil exercé sur le secteur de la sécurité, notamment les pétitions, les audits sociaux et le contrôle parlementaire.

La conduite des agents kenyans et sud soudanais impliqués dans ces cas constituent non seulement une infraction au droit international relatif aux réfugiés et aux règles de procédure, mais n’est pas non plus conforme au niveau de professionnalisme escompté en ce qui concerne le respect de la loi et les normes de conduite déontologique. Les allégations de demande de rançon et la corruption de fonctionnaires et agents étrangers soulèvent des questions troublantes supplémentaires au sujet du manque d’éthique des comportements dans le secteur de la sécurité. Il s’agit sans aucun doute de comportements criminels. Toutefois, lorsque cela se produit, l’estime du public pour le secteur s’en trouve impactée et la sécurité des citoyens et la stabilité de l’état en général s’en trouvent au final compromises.

Les demandes de restitution de personnes doivent se faire dans le respect du droit international et de la législation nationale des États requis. Ces demandes doivent au moins faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Cette affaire met en évidence le rôle des tribunaux en tant qu’instrument important pour tenir le secteur de la sécurité responsable de ses actes. La mise en vigueur de dispositions contenant des recours efficaces en cas de violation, notamment la poursuite des crimes accompagnée du renforcement de la surveillance, améliore le respect des droits de l’homme, favorise la stabilité dans la région et accroît la réputation du secteur de la sécurité pour son respect de l’état de droit et son professionnalisme.

Expert du CESA

Godfrey Musila, Chercheur universitaire