La portée croissante des récits autoritaires
Les coups d’État militaires qui ont balayé l’Afrique de l’Ouest au cours des dernières années ont été justifiés par un discours pernicieux selon lequel la démocratie a échoué en tant que modèle de gouvernance, car elle n’a pas apporté la croissance économique, la sécurité et l’amélioration des moyens de subsistance espérés.
Ce récit, parfois exprimé par des jeunes portant des pancartes identiques du drapeau russe et répété par une myriade d’analystes et de journalistes, représente l’un des principaux messages avancés par les régimes autoritaires d’envergure mondiale. Leur objectif est de favoriser la désillusion des citoyens à l’égard de la démocratie et la normalisation des pratiques autoritaires.1
Et comme l’illustrent les coups d’État eux-mêmes, plus de 15 ans de recul de la liberté dans le monde ont créé une dynamique non seulement en faveur de rationalisations plus agressives du régime autoritaire, mais aussi de résultats autoritaires plus extrêmes, le récit et l’action se renforçant l’un l’autre.
On estime que 4,7 milliards de personnes dans le monde utilisent aujourd’hui des plateformes de médias sociaux, contre 1,4 milliard il y a dix ans. Les pouvoirs autoritaires disposent ainsi d’une occasion sans précédent d’atteindre des audiences mondiales à un coût marginal et de fausser les environnements d’information nationaux et les perceptions de l’efficacité de la démocratie, tout en renforçant l’attrait des alternatives autoritaires.
Les récits sont un puissant instrument de pouvoir asymétrique, car ils recadrent les événements selon une vision du monde particulière et la propagent. Ils peuvent modifier les relations entre la société et l’État, ainsi qu’entre des États en particulier et des coalitions plus larges.2 Tout en employant des tactiques différentes, les régimes chinois et russe promeuvent les récits autoritaires comme un outil essentiel pour amplifier leur influence, projeter l’inévitabilité des résultats qu’ils souhaitent et remodeler l’ordre international d’une manière qui désavantage la démocratie.
En Amérique latine, par exemple, la chaine de télévision publique russe RT sème le doute parmi ses 14 millions de téléspectateurs quotidiens sur le fait que la démocratie est le modèle de gouvernance optimal, offrant une couverture idéologique aux dirigeants antidémocratiques du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba et du Salvador.3
En Europe de l’Est, les récits soutenus par le Kremlin ont sapé la confiance dans les médias, les institutions politiques et la vérité objective, dans le but d’alimenter la méfiance de la société à l’égard du processus démocratique en Bulgarie, en Hongrie, en Moldavie, en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie, entre autres.4
Le Parti communiste chinois (PCC) a tenté d’utiliser des récits pour modifier les normes de gouvernance mondiale, en s’éloignant de la participation politique populaire et du respect des droits humains, et en s’en remettant aux systèmes politiques des partis dominants. Le secrétaire général du PCC, Xi Jinping, a fait de la politique du « pouvoir discursif » une priorité nationale. Dans un discours prononcé en mai 2021 devant le comité central du parti, il a expliqué que la Chine devait prendre le contrôle du discours dans ses communications internationales, en permettant à ses « amis étrangers » d’être les « meilleurs soldats de la propagande ».5
« Construire une communauté [mondiale] avec un avenir commun » est un slogan favori du PCC visant à promouvoir le modèle de Pékin comme étant légitime, fondé sur des règles et gagnant-gagnant.6 En Asie, le gouvernement chinois cherche à établir des partenariats en racontant qu’ils sont tous victimes de l’impérialisme occidental et qu’ils sont menacés par des « puissances extérieures » qui sèment le trouble et la division dans la région.7 Ces messages sont associés à des thèmes sur l’inévitabilité de la montée en puissance de la Chine, minimisant ainsi la résistance à ses normes.8
Le PCC invoque les principes de « non-ingérence » et de « souveraineté de l’État », tout en critiquant la démocratie américaine pour avoir « beaucoup trop de freins et de contrepoids ».9 Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, a fait allusion à ces principes dans un discours prononcé lors du Forum de coopération Chine-États arabes, affirmant que « c’est à un pays de décider s’il est démocratique et s’il respecte les droits de l’homme. La Chine et les pays du Moyen-Orient devraient fermement suivre leur propre voie ».10 Bien entendu, les autorités de Pékin et d’autres capitales autoritaires n’offrent pas ce choix à leur population.
Si Moscou et Pékin ont pris la tête des efforts visant à diffuser des récits autoritaires à l’échelle mondiale, des acteurs régionaux tels que les régimes iranien, saoudien et vénézuélien ont régulièrement renforcé les mêmes thèmes.
Le paradoxe est que presque tous les citoyens des sociétés ciblées par ces récits autoritaires aspirent à plus de liberté, d’influence publique sur la politique et l’élaboration des politiques, et de souveraineté populaire.11
Redorer le blason de l’autoritarisme en le faisant passer pour de la non-ingérence et de la multipolarité
Menacés par leur isolement politique et idéologique croissant dans le contexte de la diffusion mondiale de la démocratie dans les années 1990 et au début des années 2000, les dirigeants autoritaires ont depuis lors redoublé d’efforts pour saper l’attrait et la viabilité de la démocratie. La préservation et l’augmentation du nombre de gouvernements autoritaires ont également pour objectif fonctionnel d’élargir la cohorte de partenaires réceptifs à l’influence autoritaire mondiale.
S’appuyant sur le recul démocratique des quinze dernières années, que ces récits ont facilité, Moscou et Pékin sont devenus plus explicites dans leurs efforts pour normaliser l’autoritarisme en tant que forme de gouvernement tout aussi viable et légitime.12
Il est rare que les récits autoritaires prennent la forme d’appels ouverts à l’autoritarisme. L’attrait de la liberté, de l’autodétermination populaire, des droits individuels inhérents, de la transparence, de la responsabilité gouvernementale et de la concurrence multipartite est tel que même le PCC vante son modèle de gouvernance à parti unique comme une « démocratie aux caractéristiques chinoises » ou une « démocratie qui fonctionne ».13 La Russie de Vladimir Poutine maintient également une façade de démocratie en organisant des élections périodiques, même si elles sont fortement manipulées. Comme tous les dirigeants autoritaires modernes, les dirigeants de ces deux pays tentent de revendiquer le manteau de la légitimité démocratique sans réellement obtenir l’aval de la population ni respecter les libertés fondamentales.
Au lieu d’essayer de vendre l’autoritarisme en tant que tel, les récits des autoritaires se concentrent sur des thèmes qui ont un attrait populaire, tout en imputant un large éventail de griefs viscéraux à la démocratie. Ces récits se répartissent en quatre grandes catégories :
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Non-ingérence, choix et menaces pour la souveraineté
Le premier type de récit tente d’invoquer des thèmes universels tels que la souveraineté, la non-ingérence et le choix,14 qui, de manière incongrue, sont présentés comme menacés par l’expansion de la démocratie. En mettant l’accent sur l’autonomie de l’État plutôt que sur celle de l’individu, ces arguments présentent astucieusement les partis au pouvoir comme les défenseurs (et les interprètes) de la liberté de leurs nations face à l’ingérence étrangère. Concrètement, cette tendance narrative affirme qu’il appartient au parti au pouvoir de fixer ses propres règles en matière de respect des droits de l’homme, de participation politique et de sélection des dirigeants nationaux. Toute critique à l’encontre de ces partis pour manque d’espace démocratique est donc redéfinie comme une « ingérence ».
Les acteurs autoritaires présentent parfois ces messages comme une défense des « valeurs traditionnelles », s’appropriant les symboles culturels de la force et de la masculinité tout en associant la démocratie et les préoccupations relatives aux droits de l’homme à la faiblesse et à la féminité.15
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Exploitation des griefs dans les pays du Sud
Une deuxième catégorie de discours autoritaire mondial vise à attribuer les nombreux griefs des pays du Sud à l’exploitation par l’Occident. Malgré les nombreux facteurs complexes qui contribuent à ces griefs, ce type de formulation simple peut gagner du terrain dans des contextes où la pauvreté et les disparités économiques persistent.
Les récits du PCC en Amérique latine, par exemple, dénoncent le soutien à la démocratie comme une forme de néo-impérialisme. Selon ce thème, l’aide à la démocratie provenant des États-Unis ou de l’Europe occidentale a précipité les « révolutions de couleur » en Europe de l’Est et en Eurasie et les soulèvements du printemps arabe au Moyen-Orient, apportant « chaos et désastres à de nombreux pays, sapant gravement la paix, la stabilité et le développement dans le monde ».16 Conjurer le spectre de l’impérialisme de cette manière permet également de détourner l’attention de l’expansionnisme russe et chinois en cours, comme on le voit en Ukraine et dans la mer de Chine méridionale, respectivement.
Le fait de désigner la démocratie comme une chose imposée par les puissances étrangères permet aux dirigeants autoritaires de qualifier les dirigeants démocratiques du Sud de mandataires de l’Occident, ce qui sape leur véritable légitimité. De la même manière, elle entache la réputation des militants démocrates locaux qui recherchent une gouvernance plus ouverte, plus réactive et plus responsable. De fait, cette vision des choses prive les élus, les militants et les citoyens locaux de tout pouvoir d’action.
Ce genre de récit autoritaire tente d’exploiter des questions à fort potentiel émotionnel pour susciter le soutien populaire contre une cible politique donnée. Un exemple frappant en est l’exploitation par le Kremlin du ressentiment latent à l’égard de l’héritage colonial de la France en Afrique de l’Ouest, 60 ans après la fin officielle de la domination coloniale, afin de saper la légitimité des gouvernements nationaux en place. Ce n’est pas une coïncidence si la plupart des gouvernements visés étaient de tendance démocratique, dont quatre – au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger – qui ont ensuite succombé à des coups d’État militaires. Le principal mécène international (et bénéficiaire) des nouvelles juntes militaires a été Moscou.17
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Les démocraties ne tiennent pas leurs promesses
Une troisième catégorie de récits autoritaires s’attaque à l’efficacité de la démocratie. Les systèmes démocratiques sont décrits comme source de division, chaotiques et instables. Les manifestations, qui sont une forme acceptée d’expression populaire et un moyen important de demander des comptes aux gouvernements dans les démocraties, sont présentées comme des signes de discorde et d’anarchie. Une formulation abrupte de ce récit est que les citoyens sont confrontés à un choix binaire entre la démocratie et la stabilité.
Des messages similaires sont diffusés sur les thèmes de la criminalité et de la corruption. Dans les démocraties, une presse libre, des militants de la société civile et des partis d’opposition attirent l’attention sur ces problèmes afin de sensibiliser le public et de l’inciter à prendre des mesures correctives. Les propagandistes autoritaires exploitent cette exposition saine pour dépeindre un déclin moral, des menaces pour la sécurité personnelle et l’effondrement de la loi et de l’ordre.
L’amplification de la corruption dans les démocraties est également une forme de projection autoritaire, qui détourne l’attention du fait que la transparence et la responsabilité, reconnues depuis longtemps comme essentielles pour lutter contre la corruption, sont largement absentes dans les systèmes autoritaires.18
Certains récits du PCC revendiquent une « légitimité de performance » autoritaire, suggérant que les systèmes autoritaires prouvent leur valeur en obtenant des résultats pratiques, ce qui justifie l’absence de droits politiques et civils.
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Nécessité d’un nouvel ordre mondial
Collectivement, les allégations d’ingérence, d’exploitation et d’échecs de gouvernance de l’Occident visent à susciter une désillusion à l’égard de la démocratie et une réceptivité à l’égard des régimes non démocratiques. Elles sont également présentées comme une validation d’un nouvel ordre international non défini.
Le récit du nouvel ordre est associé à des appels apparemment inoffensifs à la multipolarité dans les affaires mondiales. Pékin et Moscou, bien qu’ils façonnent directement le système international actuel en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, se présentent comme une source « alternative » de leadership, s’engageant à s’opposer à la sagesse conventionnelle « dominatrice » fondée sur des règles et promue par les puissances occidentales. Ils diffusent ces appels au pluralisme mondial alors même que leurs structures politiques nationales reposent sur la suppression des droits individuels et de la diversité de pensée et d’expression.
Un message qui varie selon les publics
Des variantes de ces récits autoritaires sont élaborées pour cibler des publics spécifiques dans le monde entier, avec des objectifs qui se renforcent mutuellement : renforcer les autorités locales et semer le doute sur la capacité de la démocratie à relever les défis les plus urgents.
Les bénéficiaires les plus évidents sont les dirigeants autoritaires en place ou en devenir qui peuvent utiliser ces récits enveloppés dans une rhétorique nationaliste et populiste, pour faire avancer leurs revendications de pouvoir. Cela souligne un aspect essentiel des récits autoritaires mondiaux : ils ont presque toujours des défenseurs et des collaborateurs nationaux qui peuvent les utiliser de manière opportuniste pour réduire l’espace de la démocratie.
Les récits autoritaires ciblent également les populations des pays en voie de démocratisation afin de façonner l’espace d’information et de saper la confiance dans l’utilité des processus démocratiques. Ces récits atténuent la résistance du public à des actions qui sont initialement considérées comme inacceptables, telles que l’obstruction des rassemblements des partis d’opposition, la criminalisation de la critique des fonctionnaires, le harcèlement des médias indépendants ou la politisation des forces de l’ordre et de l’armée.
Dans les sociétés vivant sous un régime autoritaire ou semi-autoritaire, ces récits présentent les transitions potentielles vers la démocratie comme une trahison déstabilisante dans le but de décourager la pression populaire en faveur des réformes. À tout le moins, ils donnent à réfléchir et inhibent l’action collective en faveur d’une participation politique plus large.
Les discours alarmistes sur la démocratie dans les pays du Sud cherchent à caractériser la gouvernance démocratique comme une construction étrangère imposée de l’extérieur. S’appuyant sur un trope relativiste de longue date selon lequel les valeurs démocratiques sont incompatibles avec les cultures des pays en développement,19 ce récit persiste bien qu’il ait été réfuté à maintes reprises comme étant offensant pour l’égalité humaine et les héritages du pluralisme et du débat public en Asie, en Afrique et en Amérique latine.20
Un autre public cible des récits autoritaires est constitué par les médias internationaux, qui peuvent servir à cultiver les perceptions d’une performance et d’une stabilité autoritaires supérieures, et l’idée que l’accession des puissances autoritaires au leadership mondial est inévitable.21 De tels récits dans les médias internationaux renforcent également l’idée que les pratiques politiques extraconstitutionnelles et d’exclusion sont simplement la façon dont les choses se passent « dans d’autres parties du monde ». Ainsi, les coups d’État sont tolérés en Afrique. Les systèmes judiciaires compromis sont normalisés en Europe de l’Est. En Asie, on s’accommode du fait que les membres des minorités ethniques ou religieuses soient privés de leurs droits de citoyens à part entière. Et les élections frauduleuses sont reconnues en Amérique latine et ailleurs.
Plates-formes de promotion des récits autoritaires
La plupart des nouveaux utilisateurs de médias sociaux accèdent aux principales plateformes à partir de leur téléphone portable et n’ont jamais possédé d’ordinateur ou de télévision. La plupart d’entre eux ont des compétences numériques limitées et peuvent être mal équipés pour filtrer les fausses informations et la désinformation. Si leurs sociétés ne disposent pas d’une source d’information préexistante, fiable et indépendante, elles seront particulièrement vulnérables aux escroqueries sur les médias sociaux, aux messages trompeurs et aux théories du complot.
L’un des outils utilisés par les acteurs autoritaires pour exploiter cette vulnérabilité est constitué par les fermes de trolls parrainées par l’État, c’est-à-dire des réseaux orchestrés de professionnels rémunérés et de comptes « robots » automatisés qui peuplent les médias sociaux et les forums Internet de faux profils en ligne, diffusent de faux messages, partagent des contenus pour donner l’impression qu’ils sont populaires, harcèlent ceux qui ont des opinions divergentes et érodent la confiance dans les médias grand public. Ces pratiques affaiblissent les démocraties en entravant l’accès des citoyens à des informations fiables, en étouffant les opinions divergentes et en favorisant la polarisation. 22
Au fil des ans, les campagnes de trollage autoritaires sont devenues plus sophistiquées en faisant appel à des fermes de trolls dans des pays tiers et à des influenceurs locaux qui sont mieux connectés aux questions, sensibilités et expressions familières pertinentes dans le contexte, ce qui rend également plus difficile de retracer leur origine.23
Les récits autoritaires sont de plus en plus souvent confiés à ce que l’on appelle des « cyber mercenaires », qui diffusent des messages autoritaires contre rémunération, en occultant bien sûr leur origine. Un groupe s’est vanté d’avoir interféré dans 32 élections à travers le monde et d’avoir « réussi » 27 fois.24 Les recherches menées par le Computational Propaganda Project de l’Université d’Oxford indiquent que ce groupe n’est qu’un des 65 groupes de cyber mercenaires de ce type.25
Les récits autoritaires mondiaux sont également diffusés par des médias d’État tels que RT, Sputnik, Xinhua et China Global Television Network (CGTN). Ces médias ont le ton et l’imprimatur d’un service d’information officiel, ce qui leur confère un vernis de crédibilité qui élargit leur portée.
Ces médias d’État cherchent à intégrer leur contenu dans les environnements d’information nationaux. En Asie centrale, les médias d’État chinois, qui disposent de ressources importantes, cherchent à rendre les médias nationaux dépendants du financement, du contenu et de la capacité de production de la Chine, afin de promouvoir des points de vue positifs sur le PCC et d’évincer les messages critiques.26 En Ouganda, des millions de téléspectateurs de la Ugandan Broadcasting Corporation sont exposés à plusieurs heures de contenu de RT par jour, en échange, semble-t-il, de six hélicoptères militaires de fabrication russe.27
La CGTN, qui relève du Département central de la propagande du PCC, dispose de 70 bureaux d’information dans le monde – plus que tout autre diffuseur d’informations – dont la mission est de « rendre compte de l’actualité d’un point de vue chinois ». Plus de 50 % des sujets du principal bulletin d’information de CGTN Español, par exemple, sont liés à la Chine.28 China Radio International (CRI) a été particulièrement efficace pour gagner des audiences locales. Les pages Facebook de CRI en bengali, haoussa, kiswahili, cinghalais, tagalog et tamoul comptent chacune plus d’un million d’abonnés. 29
Le contenu gratuit auquel les médias du Sud, dont les ressources sont limitées, ont accès auprès des radiodiffuseurs chinois permet à Pékin de façonner le discours public dans de nombreux pays.30 Le PCC organise des formations annuelles pour un millier de journalistes d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et du Moyen-Orient, qui sont les prémices de relations suivies. Ces formations diffusent des normes de contrôle du parti sur la sphère de l’information publique et de déférence journalistique envers les représentants du gouvernement.31
Les entités chinoises fournissent également l’infrastructure de communication pour soutenir les radiodiffuseurs nationaux dans divers pays du monde. Au Pakistan, Pékin aurait tenté de tirer parti de cet arrangement en créant un « centre névralgique » chargé de surveiller et de façonner l’espace d’information pakistanais.32 L’achat partiel ou total de sociétés de médias étrangères, est un élément de la stratégie de communication du PCC en constant développement.33 Ces investissements ont pour effet d’encourager l’autocensure lorsqu’il s’agit de critiquer le PCC. Ce phénomène est activement renforcé par l’intimidation des journalistes qui publient des articles critiques.34
Le PCC dispose d’une bureaucratie institutionnelle spécialisée, appelée département du Front uni, chargée de promouvoir les récits du parti sur la gouvernance, les droits de l’homme et le rôle bienveillant de la Chine dans le monde.35 Travaillant ouvertement et secrètement par l’intermédiaire de centaines de milliers de personnes et d’organisations qui ne sont pas officiellement affiliées au PCC, le Front uni crée une chambre d’écho de points de vue positifs sur la Chine. Le résultat est d’adoucir l’image du géant autoritaire dans le monde et de montrer un apparent soutien populaire au modèle de gouvernance et à l’influence élargie du PCC. 36
Certains récits autoritaires sont institutionnalisés au sein de forums multilatéraux. Au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, par exemple, Pékin a obtenu l’adoption d’une résolution qui modifie la définition des droits de l’homme en délaissant les libertés politiques et civiles des individus au profit des « droits collectifs » et du « droit au développement économique ».
Le PCC concrétise également son discours par le biais d’organismes multilatéraux tels que la Conférence mondiale sur l’Internet, l’Organisation internationale de normalisation, la Commission électrotechnique internationale et l’Union internationale des télécommunications, où il peut influencer les normes relatives aux technologies de l’information et de la communication.37 Dans des organisations telles que le Forum Sud-Sud sur les droits de l’homme, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures et les BRICS, Pékin met en avant des concepts tels qu’un « monde harmonieux » (comme alternative à la responsabilité démocratique, à la transparence et à l’État de droit), la « démocratisation des relations internationales » (en s’éloignant d’un système international basé sur les Nations unies) et la « diversité et la tolérance » (en remettant en question la supériorité normative de la démocratie).38 Dans chacun de ces concepts, l’accent est mis sur la sacro-sainteté de l’État, avec la présomption que les gouvernements jouiront de l’impunité pour les actes de violence, d’oppression et d’intolérance à l’intérieur de leurs propres frontières.
Les récits autoritaires soutiennent les dirigeants autoritaires
La promotion des récits autoritaires mondiaux va, sans surprise, de pair avec la promotion des gouvernements autoritaires individuels. Ces derniers, à leur tour, fournissent un accès local supplémentaire et une apparente crédibilité aux premiers. Par exemple, alors que le PCC institutionnalise ses récits au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Pékin et Moscou ont tenté de défaire les enquêtes sur les droits de l’homme des régimes autoritaires du Belarus, de l’Érythrée, de l’Iran, du Nicaragua, de la Corée du Nord et de la Syrie. Les deux régimes ont également utilisé leur siège au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer les sanctions contre d’autres gouvernements autoritaires qui se sont engagés dans des actions répressives à l’encontre de leurs citoyens.
Le fait d’aider d’autres dirigeants autoritaires à accéder au pouvoir, puis à le conserver, accroît l’influence des principaux acteurs autoritaires tout en augmentant la dépendance des partenaires juniors à l’égard de leurs protecteurs mondiaux.39
L’implication active du Kremlin dans l’ingérence électorale est un autre moyen par lequel les récits autoritaires mondiaux font pencher la balance en faveur des gouvernements autoritaires. Moscou s’est engagé dans des campagnes de désinformation concertées, dans le financement des partis politiques au pouvoir et dans l’intimidation des rivaux politiques – un schéma d’attaques contre la démocratie qui a été observé dans deux douzaines de pays africains au cours des dernières années. 40
En partie à cause de ces interventions autoritaires mondiales, des pays qui étaient autrefois sur la voie de la démocratie ont aujourd’hui des régimes qui soutiennent avec véhémence des récits autoritaires. Les médias et les analystes internationaux peuvent alors, sans le vouloir et à tort, présenter les déclarations des nouveaux dirigeants comme le reflet de la volonté des citoyens, de la stabilité de l’autoritarisme et de l’échec de la démocratie.
Un miroir pour les récits autoritaires
Les récits autoritaires sont essentiellement des tentatives de recadrage d’une proposition de valeur autoritaire peu attrayante en rendant la voie démocratique moins attrayante et en proposant l’autoritarisme comme alternative. Pour contrer les récits autoritaires sur la non-ingérence, l’exploitation occidentale, l’échec de la démocratie et un nouvel ordre mondial fondé sur la multipolarité, les démocraties doivent remettre l’accent sur leurs principes fondamentaux tout en rappelant les avantages de la démocratie sur le plan moral, du développement et de la sécurité.41
Une telle stratégie s’articulerait autour de cinq grands impératifs :
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Élever la démocratie au rang de principe organisateur des relations internationales
Les démocraties sont engagées dans une compétition idéologique qui affectera les contours du futur ordre mondial, et elles doivent donner la priorité au soutien des processus démocratiques, des normes démocratiques et des pays en transition démocratique. Ces dernières années, elles ont été moins enclines à entreprendre un tel soutien pour diverses raisons, notamment la réticence à paraître arrogantes, la reconnaissance des lacunes de la démocratie et la nécessité de faire face à une série de crises financières, sécuritaires et sanitaires à court terme. Beaucoup, et c’est compréhensible, veulent aussi éviter une division du monde en camps hostiles à la manière de la guerre froide.
Pourtant, la réticence des démocraties à affirmer la valeur de leur propre système de gouvernance a contribué à un vide d’information que les pouvoirs autoritaires ont comblé, ce qui leur a permis de mieux redéfinir la démocratie comme un modèle inefficace et instable.
Les démocraties doivent reconnaître que leur prospérité économique, leur sécurité et leur capacité à élaborer des réponses collectives à toute une série de défis transnationaux sont intégralement liées au dynamisme des autres démocraties. Alors que les dirigeants démocratiques ont souvent plaidé pour l’expansion des pratiques démocratiques, les sociétés démocratiques doivent engager davantage de capital politique, financier et sécuritaire pour soutenir les gouvernements dont les dirigeants arrivent au pouvoir par des moyens démocratiques.
Les politiques qui s’accommodent des dirigeants étrangers qui conservent le pouvoir par la répression, même lorsque cet accommodement semble se justifier pour des raisons de sécurité nationale, constituent un point d’entrée facile pour l’influence des puissances autoritaires d’envergure mondiale. Pour recalibrer leurs priorités, les gouvernements démocratiques devront réinvestir dans des corps diplomatiques capables de défendre vigoureusement les normes démocratiques et d’établir des relations solides, tant dans les forums internationaux que dans les pays du Sud où se déroule une grande partie de la compétition normative sur la gouvernance. 42
Les démocraties devront également soutenir fermement les acteurs démocratiques confrontés à des menaces extraconstitutionnelles. Le premier ministre du Timor-Oriental, Xanana Gusmao, a exprimé ce sentiment en expliquant pourquoi son petit pays a soutenu avec tant de vigueur le mouvement démocratique au Myanmar, en dépit des répercussions politiques : « Parmi les petites nations fragiles, tout ce que nous avons, c’est notre solidarité ».43
La solidarité entre les démocraties et les pays en voie de démocratisation diffère de la rivalité transactionnelle de la guerre froide, qui se traduisait souvent par une concurrence entre les deux camps pour obtenir l’allégeance temporaire des autocrates. Il ne s’agit pas d’une bataille à court terme pour l’accès ou l’influence. Il s’agit plutôt de soutenir une coalition mondiale de gouvernements et de sociétés attachés à la participation populaire, à la liberté d’expression, à la liberté de pensée et de croyance, et à l’État de droit. Ces principes partagés devraient servir de base à des partenariats continus et mutuellement bénéfiques, ainsi qu’à la coopération Nord-Sud.
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Articuler une vision positive de la démocratie et d’un ordre mondial démocratique
Les récits autoritaires sont plus susceptibles de gagner du terrain lorsqu’ils opèrent dans un espace où l’examen critique est limité. Les acteurs démocratiques ne doivent pas céder cet espace d’information en supposant que l’efficacité de la démocratie est bien reconnue ou en craignant les réactions numériques des trolls autoritaires. En plaidant publiquement en faveur de la démocratie, les défenseurs des droits humains laisseront leurs audiences mieux informées dans le monde entier et contribueront à les prémunir contre les sirènes de l’autoritarisme.
Les voix démocratiques issues de divers contextes doivent rappeler aux audiences que les démocraties sont de meilleurs garants des libertés fondamentales – la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté de religion, le droit à une procédure régulière et le droit de vote. De même, les démocraties offrent davantage de possibilités de répondre aux griefs des citoyens tels que la corruption, l’impunité et le manque de dignité.
Étant donné que les dirigeants qui accèdent au pouvoir par des moyens non démocratiques sont plus susceptibles d’être cooptés par les grandes puissances autoritaires, la gouvernance démocratique offre également aux citoyens des garanties contre la mainmise de l’État et la domination étrangère.
Un récit démocratique positif devrait mettre en avant une vision d’un ordre mondial démocratique fondé sur des règles, avec tous les avantages qui en découlent. Les démocraties ont une capacité supérieure à collaborer et à trouver des compromis pour relever les défis transnationaux.44 Une telle vision positive favoriserait l’espoir et inciterait les citoyens à s’opposer à l’apathie et au cynisme souvent engendrés par les récits autoritaires.45
Cette vision devrait reconnaître les problèmes existants et catalyser les actions visant à améliorer le système mondial actuel. Elle doit être juxtaposée aux résultats que produirait un ordre mondial autoritaire. Les récits autoritaires ont vanté la nécessité d’un « nouvel » ordre mondial amorphe. Présenté comme bénin et multipolaire, il s’agit en fait d’un effort pour rétablir un ancien ordre, antérieur aux Nations unies, qui était transactionnel, permettait aux pays puissants de poursuivre leurs ambitions impériales en toute impunité et ne rendait pas compte des violations des droits de l’homme commises par les gouvernements au niveau national.46
Cette vision démocratique doit s’articuler autour d’illustrations pratiques et de récits attrayants qui résonnent avec les expériences des publics nationaux. Par exemple, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe – et en particulier ses attaques directes contre les cargaisons de céréales ukrainiennes destinées aux pays du Sud – illustre la mesure dans laquelle les régimes autoritaires contribuent à rendre le monde plus anarchique et moins prospère. La pression constante exercée par Pékin sur l’intégrité territoriale de l’Inde, du Bhoutan, du Viet Nam, des Philippines, de Taïwan, du Japon et d’autres pays met également à mal le discours autoritaire selon lequel les démocraties et leurs valeurs font obstacle à l’harmonie internationale et au respect de la souveraineté nationale. Le rôle prédominant de la Chine dans la pêche illégale et non réglementée en Asie, en Amérique latine et en Afrique est une autre illustration de ce à quoi ressemblerait cet ordre mondial alternatif et autoritaire.
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Contester les revendications de « légitimité de performance » de l’autoritarisme
L’une des postulats essentiels des récits autoritaires est que les gouvernements autoritaires sont meilleurs que les démocraties pour assurer la sécurité. Le marché que les dirigeants autoritaires proposent ostensiblement est que les citoyens peuvent bénéficier d’une plus grande stabilité en renonçant à leurs libertés. Pour contrer les récits autoritaires, les défenseurs de la démocratie doivent dénoncer cette erreur.
Il est bien établi que les autocraties sont beaucoup plus sujettes aux conflits.47 Elles sont à l’origine de la plupart des conflits interétatiques, comme en témoigne l’attaque non provoquée de Moscou contre l’Ukraine. Elles sont également plus sujettes aux conflits civils, qui sont souvent le résultat de structures de pouvoir exclusives qui ne laissent aux citoyens aucun moyen pacifique d’exprimer leurs griefs. De même, les autocraties sont beaucoup plus exposées aux crises financières et aux contractions économiques soudaines, en raison de l’absence de contre-pouvoirs, de l’hostilité à la transparence et de la tendance à privilégier les intérêts étroits des dirigeants au détriment du bien-être général.48
Les gouvernements démocratiques, les groupes de la société civile et les médias doivent rappeler au public que les démocraties ont de meilleurs antécédents en matière de progrès économique et de développement humain, même parmi les pays à faible revenu.49 Le classement médian de l’indice de développement humain des démocraties dans les pays en développement est supérieur de 17 places à celui des autocraties. Cela se traduit par un taux de mortalité infantile inférieur de 25 % et une scolarisation des enfants pendant deux années supplémentaires, en moyenne. L’espérance de vie globale est plus longue de six ans. Comparez les économies de voisins démocratiques et autoritaires comme la Corée du Sud et la Corée du Nord, la Colombie et le Venezuela, ou le Botswana et le Zimbabwe. Il y a des avantages tangibles à vivre sous une gouvernance transparente et responsable.
La corruption publique est un sujet qui suscite une émotion viscérale dans toute société, car elle représente une trahison des intérêts des citoyens par ceux à qui sont confiées les ressources publiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles la corruption occupe une place si importante dans les récits antidémocratiques des autoritaires. Pourtant, l’ouverture des démocraties les rend institutionnellement plus aptes à dénoncer et à combattre la corruption – un argument clé pour contrer les discours autoritaires. Le classement médian des pays à gouvernement autoritaire dans l’indice annuel de perception de la corruption de Transparency International est de 142 sur 180 pays, alors que le classement médian des démocraties est de 41, soit une différence de 100 places.50 Cet écart de performance a des conséquences directes sur le bien-être social, le dynamisme du secteur privé et la confiance du public.
Une priorité pour les journalistes et les analystes est d’éviter de diffuser involontairement des récits autoritaires non fondés. Une sensibilisation plus délibérée de ces professionnels est nécessaire pour éviter de tels pièges.51 Une étape importante consisterait à faire la distinction entre les autocraties qui organisent des élections de façade et les pays qui s’engagent véritablement sur la voie de la démocratie.
Il est également nécessaire de renforcer l’éducation civique. Entre autres objectifs, les programmes d’éducation civique devraient se concentrer sur la distinction entre les systèmes fondés sur l’élite et ceux fondés sur les citoyens. Les récits autoritaires mondiaux sont en fait des ruses conçues pour convaincre les citoyens qu’ils seront mieux lotis s’ils se soumettent à un régime autoritaire. L’éducation civique démocratique doit non seulement contrer ces mensonges, mais aussi inciter le public à se défendre, car les modèles autoritaires sont expressément axés sur la construction et la consolidation de structures de pouvoir exclusives. Dans les sociétés où une presse libre ne peut fonctionner, l’éducation civique démocratique dépendra de médias régionaux indépendants tels que Radio Free Europe/Radio Liberty, de médias nationaux indépendants opérant depuis l’exil, de bulletins d’information en ligne et de réseaux de médias sociaux.52
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Favoriser les cultures d’autocorrection démocratique
L’une des caractéristiques essentielles des démocraties est qu’elles ont besoin d’un engagement soutenu de la part des citoyens pour prospérer. L’objectif de l’éducation civique est donc en partie de favoriser une culture démocratique constructive – participation, transparence et formation de coalitions – afin de donner aux citoyens les moyens de s’opposer aux récits autoritaires.
Si les démocraties tendent à obtenir de meilleurs résultats, elles n’en restent pas moins confrontées à de nombreux défis. Les citoyens des pays à faible revenu, en particulier, sont confrontés à une multitude de difficultés : pauvreté, manque d’opportunités, menaces sanitaires et insécurité. Le fait de s’engager sur la voie de la démocratie ne les efface pas comme par magie. L’ouverture des sociétés démocratiques attire d’ailleurs une attention disproportionnée sur leurs lacunes, ce que les récits autoritaires exploitent. Pourtant, la reconnaissance des lacunes, loin d’être une faiblesse, est le premier pas vers la correction et l’amélioration. Les récits démocratiques devraient donc se concentrer sur les tendances et pas seulement sur les défis qui restent à relever.
Il convient de noter que les juntes militaires qui ont pris le pouvoir dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest ces dernières années ont justifié leurs coups d’État de manière opportuniste en invoquant le sous-développement, la corruption et l’insécurité. De tels prétextes ne devraient pas être ignorés. En grattant juste sous la surface, on constate que les brèves périodes de progrès démocratique au Niger, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée au cours de la dernière décennie ont produit des résultats économiques nettement meilleurs que les décennies précédentes de régime autocratique (généralement militaire).
Les progrès dans les pays à faible revenu ayant un faible héritage démocratique ont toujours été plus difficiles à réaliser que dans les sociétés plus riches ayant des niveaux d’éducation plus élevés et des États stables. Plutôt que de s’engouffrer dans la brèche du pessimisme démocratique lorsque des difficultés surgissent, les citoyens, les journalistes, les analystes et les partenaires démocratiques devraient reconnaître que la démocratie offre un éventail d’options pour répondre aux griefs authentiques entre les élections. Il s’agit notamment de l’activisme civique pour promouvoir les réformes, du journalisme d’investigation pour demander des comptes, de l’adoption de lois pour renforcer les organes de contrôle indépendants tels que les défenseurs des droits et les médiateurs, de l’établissement de règles pour rendre les nominations judiciaires plus transparentes et fondées sur le mérite, de l’institutionnalisation de services civils apolitiques, de la nomination de groupes de travail sur la sécurité nationale et de l’organisation de manifestations, pour n’en citer que quelques-unes. L’utilisation de ces leviers d’influence à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement est ce qui permet l’autocorrection démocratique. En dissolvant les constitutions démocratiques, en vidant de leur substance les contre-pouvoirs démocratiques et en supprimant la dissidence, les coups d’État militaires et autres interventions autoritaires non seulement ne répondent pas aux revendications sous-jacentes, mais détruisent également les outils mêmes dont les sociétés ont besoin pour y faire face.
Recentrer le débat sur la manière dont les démocraties et les pays en voie de démocratisation peuvent mieux répondre aux défis permettra d’atténuer les discours autoritaires qui font de l’existence de ces défis un motif de suspension des droits politiques et des libertés civiles. Il convient de rappeler au public que les réponses antidémocratiques aggravent les problèmes d’une société, entravent les moyens de changer de cap et laissent les citoyens moins libres.
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Construire des écosystèmes d’information sains pour contrer la manipulation
Les démocraties s’appuient sur des espaces d’information publique fiables pour fonctionner efficacement, débattre des problèmes et demander des comptes aux gouvernements. Les effets de la manipulation de l’information dans les démocraties sont donc particulièrement pernicieux, et c’est l’une des raisons pour lesquelles elles sont souvent la cible de récits autoritaires fondés sur la désinformation.
Il est impératif que les démocraties renforcent leur capacité à détecter la désinformation, dont la prise de conscience est souvent limitée par le manque d’experts qualifiés capables d’identifier et d’exposer les campagnes, les acteurs et les récits pertinents. La création de collectifs de journalistes, de chercheurs et de vérificateurs de faits locaux possédant les compétences nécessaires est une étape essentielle de ce processus. Il faut pour cela renforcer les capacités médico-légales et poursuivre avec succès les cybermercenaires qui tentent de saboter la démocratie et d’encourager la polarisation sociale.
La menace de la désinformation favorisée par des récits autoritaires est la plus grande dans les environnements d’information peu développés, dépourvus de plateformes médiatiques de confiance et d’organisations de vérification des faits. Ces environnements peuvent être rapidement submergés par des torrents de désinformation qui mettent en avant des manquements réels ou inventés. Les personnalités publiques des démocraties élargissent souvent la brèche aux récits autoritaires en attaquant gratuitement la fiabilité des organismes d’information crédibles.
Les médias locaux et les acteurs de la société civile connaissent le mieux leur contexte et les récits qui y trouvent un écho. Étant donné que les gouvernements peuvent être les bénéficiaires de récits autoritaires mondiaux, les médias et la société civile devront souvent prendre l’initiative de les contrer. Pourtant, le financement destiné à mettre en place et à soutenir ces initiatives de lutte contre la désinformation est cruellement insuffisant, ce qui entrave à la fois une réponse solide et le partage des enseignements entre les experts en matière de lutte contre la désinformation.
Pour que les environnements d’information soient moins propices aux récits autoritaires, il faut également que les médias soient plus compétents et plus dignes de confiance. Les démocraties en développement comptent de nombreux journalistes courageux et talentueux, mais la qualité et la cohérence du journalisme varient considérablement et les organes de presse manquent souvent de l’autonomie financière dont ils ont besoin pour prospérer. En outre, le PCC soutient un ensemble alternatif de normes journalistiques fondées sur la soumission au parti au pouvoir.
Les démocraties et les réseaux de la société civile doivent investir davantage dans le développement des compétences des journalistes et dans le renforcement des normes du journalisme professionnel. Les démocraties devraient également accroître leur soutien aux exigences technologiques et infrastructurelles des médias du Sud afin qu’ils ne dépendent pas uniquement de l’aide chinoise, qui peut être assortie de conditions.
Un alignement des intérêts et des valeurs
L’essor des communications numériques et l’audace croissante avec laquelle les pouvoirs autoritaires cherchent à remodeler les normes de gouvernance mondiale ont donné aux récits autoritaires une portée sans précédent dans le monde entier. Ces récits s’inscrivent dans une campagne visant à perturber l’ordre mondial fondé sur des règles et à le remodeler pour le rendre plus propice à un régime autoritaire.
Alors que la perception d’une sécurité à court terme ou d’intérêts économiques conduit régulièrement les démocraties à s’accommoder et à s’associer à certains gouvernements autoritaires, les décideurs politiques démocratiques doivent comprendre qu’un paysage mondial où le nombre de démocraties diminue constitue une menace directe pour la sécurité et le progrès économique. Étant donné que les dirigeants autoritaires sont moins sensibles à la volonté publique, moins concernés par les principes partagés et moins liés par les traités ou l’État de droit, une tendance mondiale à l’autoritarisme crée des obstacles majeurs au type de coopération cohérente nécessaire pour relever les défis transnationaux.
Les démocraties du monde doivent reconnaître l’ampleur des efforts déployés par les dirigeants autoritaires pour promouvoir leur discours et l’influence qu’ils ont acquise. Les démocraties ne peuvent pas partir du principe que la supériorité des modèles participatifs de gouvernance va de soi. Si elles le font, elles risquent d’exacerber un vide informationnel que les pouvoirs autoritaires ont été heureux de combler.
Les démocraties devraient formuler un message démocratique positif pour soutenir les progrès des pays en voie de démocratisation et contrer les distorsions créées par les récits autoritaires mondiaux.
Les démocraties disposent d’avantages importants dans cette bataille des récits. Le plus important est l’aspiration quasi universelle des peuples du monde entier à vivre en liberté. Même face à l’escalade des discours autoritaires, les démocraties continuent d’être perçues comme intrinsèquement plus désirables. C’est pourquoi les régimes de la Chine, de la Russie et d’autres États autoritaires persistent à se décrire comme des démocraties. Prétendre être quelque chose que l’on essaie en même temps de saper n’est pas une stratégie très convaincante – et cela révèle l’insécurité inhérente aux autoritaires sur le marché idéologique. Pour mettre en évidence cette faiblesse et gagner la partie, les démocraties doivent toutefois jouer les atouts qu’elles ont en main.
Cet article a d’abord été publié en anglais en février 2024 par le National Endowment for Democracy sous le titre « Winning the Battle of Ideas: Exposing Global Authoritarian Narratives and Revitalizing Democratic Principles ».
Notes
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- ⇑ Kenton Thibaut, China’s Discourse Power Operations in the Global South : An Overview of Chinese Activities in Sub-Saharan Africa, Latin America, and the Middle East (Washington, DC : Atlantic Council, avril 2022).
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- ⇑ Les chiffres concernent les pays dont le revenu annuel par habitant est inférieur à 4 000 dollars. Mise à jour de Morton Halperin, Joseph Siegle et Michael Weinstein, The Democracy Advantage : How Democracies Promote Prosperity and Peace (New York : Routledge, 2010 révisé).
- ⇑ Les désignations de démocratie et d’autoritarisme sont dérivées des catégories de pays « libres » et « non libres » de l’indice annuel Freedom in the World de Freedom House.
- ⇑ Veronika Vichová et Jakub Janda, The Prague Manual : How to Tailor National Strategy Using Lessons from Countering the Kremlin’s Hostile Subversive Operations in Central and Eastern Europe (Prague : European Values Center for Security Policy, Kremlin Watch Report, avril 2018).
- ⇑ Horacio Larreguy et John Marshall, « The Incentives and Effects of Independent and Government-Controlled Media in the Developing World », dans Oxford Handbook of Electoral Persuasion, ed. Elizabeth Suhay, Bernard Grofman et Alexander Trechsel (Oxford University Press, 2020).