La Gambie a évité de justesse une crise régionale quand Yahya Jammeh a quitté le pouvoir. L’action coordonnée des pays voisins et des organisations régionales pourrait offrir un modèle pour les crises de gouvernance à venir.
La Gambie a évité de justesse une crise de sécurité régionale quand, le 21 janvier, le Président Yahya Jammeh a finalement quitté ses fonctions après 22 ans de pouvoir. Bien qu’Adama Barrow ait remporté les élections le 1er décembre, Jammeh a refusé de se retirer et provoqué la mobilisation des pays voisins et d’organisations régionales pour assurer un transfert du pouvoir démocratique. L’action coordonnée de la région pourrait s’avérer être un modèle pour d’autres interventions sur le continent. Dorina Bekoe du Centre de l’Afrique apporte certaines perspectives sur la crise et présente d’éventuelles implications sur la sécurité pour la Gambie et la région si Jammeh était resté en poste.
Qu’aurait-il pu arriver si le Président Jammeh avait refusé de quitter le pouvoir au terme de son mandat désigné ?
Le refus de Jammeh de quitter le pouvoir aurait augmenté le risque de conflits internes et régionaux du fait de la réaction régionale à la crise. L’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont annoncé leur refus de reconnaître Jammeh en tant que président. La CEDEAO a mis ses menaces à exécution en intervenant lorsque les forces d’intervention dirigée par le Sénégal ont traversé la Gambie le 19 janvier, dernier jour du mandat. Le navire de guerre nigérian, NNS Unity, a renforcé l’engagement de la région lors de son déploiement dans les eaux gambiennes. Le 22 janvier, au lendemain de la fuite de Jammeh, les forces de la CEDEAO sont entrées dans Banjul afin de sécuriser le retour de Barrow. Elles ont été accueillies par la population, et le chef des armées, Ousman Badjie, a promis de soutenir Barrow, toutefois l’engagement des hommes de troupes est incertaine.
La menace d’intervention faisait courir le risque de représailles de la Gambie et d’un conflit qui pourrait se répandre aux pays voisins, en particulier au Sénégal. Aux frontières de la Gambie, la région sénégalaise de Casamance, en proie à l’agitation, aurait été particulièrement vulnérable car la Gambie aurait servi de sanctuaire ou fourni apporté son soutien au Mouvement des forces démocratiques de Casamance.
L’état d’urgence et le retard de l’inauguration déclarés par Jammeh ont posé un risque de sécurité interne. Les forces de sécurité ayant reçu pour consigne de « maintenir l’ordre absolu dans le pays, » les probabilités de violations des droits humains étaient élevées. Même si l’annonce exigeait le respect des droits humains, la promesse sonnait creux du fait de mauvais antécédents de la Gambie dans ce domaine. Anticipant une période de violence, de nombreux Gambiens avaient quitté le pays même avant la déclaration de l’état d’urgence. Des représentants officiels, notamment Barrow, le futur président, ainsi que le commissaire électoral et plusieurs ministres, ont également fui le pays.
Quel rôle les pays voisins ont-ils joué dans la résolution de la crise ?
Les États membres de la CEDEAO se sont rendus sur place à plusieurs reprises, priant Jammeh de quitter le pouvoir, tandis que le Nigeria et le Maroc lui offraient l’asile. Il est indéniable qu’offrir un asile crédible s’accompagne de défis. L’ancien Président du Liberia et seigneur de la guerre Charles Taylor avait accepté l’invitation du Nigeria d’un asile dans l’État de Calabar en 2003 ; trois années plus tard, il a été livré à la Cour pénale internationale pour violation des termes de son accord avec les Nigérians en s’immissant à nouveau dans la politique du Liberia. Par contre, le leader de longue date du Burkina Faso, Blaise Compaoré, poursuit confortablement sa résidence en Côte d’Ivoire, voisin de confiance et allié politique qui lui avait offert l’asile.
La région est bien placée pour aider à la gestion de la crise de réfugiés. Les conflits en Afrique de l’Ouest du milieu des années 1990 ont démontré que les crises de réfugiés mal gérées pouvaient susciter un climat d’insécurité au-delà des frontières. Bien que la plupart des 45 000 réfugiés gambiens qui ont fui le Sénégal résident actuellement dans des résidences privées, le Sénégal a développé des plans pour aider jusqu’à 100 000 réfugiés. Toutefois, le départ de Jammeh a provoqué le retour vers la Gambie de nombreux réfugiés. La CEDEAO doit cependant travailler de manière proactive pour veiller à ce que les réfugiés en provenance de Gambie sont protégés car nombre de réfugiés de la région ont subi les attaques des populations locales durant les conflits précédents.
La Gambie est un minuscule pays en Afrique de l’Ouest. Pourquoi l’issue démocratique de la Gambie est-elle importante pour le reste de l’Afrique ?
Jusqu’au départ de Jammeh, la Gambie et le Togo étaient les deux seuls pays membres de la CEDEAO dirigés par des gouvernements autoritaires de longue date. En 2015, la Gambie et le Togo ont fait opposition à la proposition de la CEDEAO d’interdire le troisième mandat des présidences. L’issue démocratique en Gambie a permis d’aligner ce pays sur la plupart des autres pays de la région, consolidant encore les normes démocratiques, et de faire pression sur le Togo pour adopter des mesures plus démocratiques. Il est aussi important de noter que l’impulsion agressive de la CEDEAO visant à forcer la Gambie à reconnaître une issue démocratique influence le reste du continent. À l’heure où beaucoup commencent à remettre en question le sérieux des institutions régionales et continentales de l’Afrique pour confirmer les valeurs démocratiques (comme le montrent les crises politiques au Burundi et en République démocratique du Congo), une réussite de la CEDEAO offre une feuille de route pour d’autres régions et pays influents quant aux moyens de prendre efficacement position.
Adama Barrow étant à présent capable d’assumer le pouvoir, quelles sont les priorités du secteur de la sécurité du pays pour faciliter une transition stable ?
Barrow ayant maintenant assumé le pouvoir, il devrait reconnaître que, même après le départ de Jammeh, il est probable qu’un certain nombre d’éléments lui restent fidèles. Durant les mandats de Jammeh, des représentants du secteur de la sécurité pourraient avoir acquis des richesses ou des pouvoirs, avoir bénéficié de protection pour violations des droits humains, ou d’autres avantages. Barrow doit être explicite sur la manière avec laquelle les membres du secteur de la sécurité actuel vont s’en tirer, quelles protection seront mises en place et s’il pourrait y avoir restitution.
Compte tenu de forts antécédents de violations des droits humains en Gambie, certains leaders du secteur de la sécurité craignent des persécutions et entreprennent des démarches pour affaiblir l’État. Ainsi, Barrow pourrait considérer établir une commission de vérité et de réconciliation. La Commission de réconciliation nationale du Ghana servira de modèle. Inaugurée en 2002, elle entend fournir un recours aux Ghanéens contre les abus subis aux mains de l’État durant la période post-coloniale. Barrrow devrait aussi lancer un programme de réforme du secteur de la sécurité qui porterait sur l’amélioration du professionnalisme, la transparence et la responsabilisation des services de sécurité.
Experts du CESA
- Dorina Bekoe, Professeure associée Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits
- Joseph Siegle, Directeur de la recherche
En plus: Coopération régionale et internationale en matière de sécurité Démocratisation CEDEAO