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Élections présidentielles et legislatives
Octobre
Quatre ans après sa mort, l’ancien président John Magufuli continue de jeter une ombre sur les élections de 2025 en Tanzanie et sur les perspectives de reprise de la démocratie dans le pays. Surnommé « le bulldozer » pour ses tactiques intransigeantes et dures, M. Magufuli avait remodelé le paysage politique tanzanien. D’un système modéré à parti dominant largement admiré pour son respect des libertés civiles fondamentales, la politique s’est transformée sous Magufuli en un culte répressif de la personnalité. Il avait en effet les partis d’opposition et ignoré l’État de droit dans l’intérêt de la mise en œuvre de son programme et de la poursuite de la domination du parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM). La violence politique, auparavant rare, s’était normalisée, notamment lors de la tentative d’assassinat de 2017 du dirigeant de l’opposition Tundu Lissu, qui l’avait laissé criblé de 17 balles.
Le CCM et son précurseur sont au pouvoir depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1961.
L’accession au pouvoir de la présidente Samia Suluhu Hassan à la suite du décès de Magufuli (que l’on pense dû au COVID) a donné l’occasion à ce pays de 67 millions d’habitants de se ressourcer et de revenir à la culture politique de la Tanzanie, historiquement plus modérée.
Elle a introduit des réformes visant à rétablir les droits civiques, notamment en levant les interdictions qui pesaient sur les médias, en libérant les dirigeants de l’opposition emprisonnés et en créant un environnement plus ouvert au dialogue et à l’engagement politiques. En janvier 2023, elle a levé l’interdiction imposée par Magufuli aux rassemblements des partis d’opposition.
Un groupe de travail sur la réforme politique, soutenu par le gouvernement, a recommandé en 2022 la création d’une nouvelle Commission électorale nationale, indépendante (CENI) et non partisane, et la possibilité de contester les résultats des élections devant Haute Cour.
Dans le cadre de son programme des 4 R (réconciliation, résilience, réformes et reconstruction), Samia a rencontré Tundu Lissu, qui est rentré en Tanzanie après choisi l’exil cinq ans durant. Samia, quant à elle, a remplacé les principaux partisans de la ligne dure de M. Magufuli, notamment le chef de la sécurité nationale, qui avait supervisé la répression brutale des libertés civiles menée par l’ancien président. S’écartant des clivages politiques, elle était présente auprès de l’aile féminine du parti d’opposition Chama cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema) pour célébrer la Journée internationale de la femme en 2023.
Ces actions lui avaient valu de nombreux éloges dans le pays et à l’étranger, renouvelant les possibilités d’accroître les investissements internationaux et la collaboration avec son pays.
L’ouverture a également permis aux partis d’opposition de commencer à reconstruire leurs structures organisationnelles et de renouer publiquement avec les citoyens. En raison des restrictions draconiennes, de la partialité des processus électoraux et de l’usage de la violence par Magufuli, la plupart des partis d’opposition avaient boycotté les élections législatives de 2020, laissant l’opposition avec une représentation officielle réduite. Bien qu’il existe 19 partis politiques d’opposition enregistrés, les deux partis les plus populaires sont le Chadema, dirigé par Tundu Lissu, et l’Alliance pour le changement et la transparence (Chama cha Wazalendo, ACT-Wazalendo), dirigée par Zitto Kabwe.
De nombreux observateurs ont été consternés par le retour de certaines des tactiques de Magufuli notamment les enlèvement, l’intimidation et l’assassinat des critiques du CCM au cours de l’année écoulée.
Compte tenu de ce dégel dans la vie politique du pays, de nombreux observateurs ont été consternés par le retour de certaines des tactiques de Magufuli, notamment les enlèvements, l’intimidation et l’assassinat de critiques du CCM au cours de l’année écoulée.
En août 2024, 500 partisans du Chadema ont été arrêtés avant un rassemblement qu’ils avaient organisé pour la Journée internationale de la jeunesse. Parmi eux figuraient le président de l’époque du Chadema, Freeman Mbowe, son vice-président, Tundu Lissu et son secrétaire général, John Manyika. Ces arrestations ont également ravivé les inquiétudes concernant la politisation du secteur de la sécurité.
En septembre, un membre du secrétariat du parti Chadema, Ali Mohamed Kibao, a été enlevé puis retrouvé mort et présentant des signes de violence physique et des brûlures à l’acide sur le visage — un acte que Samia a rapidement condamné. Ce cas semble néanmoins s’inscrire dans une tendance, puisque la Société de la Loi de Tanganyika a publié une liste de 83 personnes qui ont été enlevées ou qui ont disparu mystérieusement récemment.
Les partis d’opposition ont protesté contre la disqualification de milliers de leurs candidats lors des élections locales de novembre 2024, au cours desquelles les candidats du CCM ont remporté 99 % des sièges d’après les décomptes officiels, un résultat invraisemblable. À titre de comparaison, les partis d’opposition avaient recueilli 45 % des voix lors des élections législatives de 2015 en Tanzanie.
ACT-Wazalendo a déposé 51 recours pour contester les résultats des élections locales de 2024, invoquant des irrégularités dans la rédaction des règlements, l’inscription des électeurs et la désignation des candidats.
Les médias ont également fait l’objet de pressions accrues. Trois plates-formes d’information en ligne —The Citizen, Mwananchi et Mwanaspoti — ont été suspendues pendant 30 jours pour avoir publié des caricatures considérées comme critiques à l’égard de Samia.
Entre-temps, les réformes électorales proposées, y compris la reconstitution de la CENI, sont restées au point mort, laissant l’administration des élections sous le contrôle du CCM.
Ces revirements coïncident avec la politique interne du CCM qui a vu la résurgence des partisans de la ligne dure de Magufuli à des postes de direction au sein du parti. Confrontée à des défis internes et elle-même « étrangère » parmi les factions du CCM, Samia a manifestement ressenti le besoin de consolider sa base en s’accommodant du camp Magufuli, plutôt que de se débarrasser de ces influences.
Le combat pour la direction du CCM témoigne de désaccords profonds sur la place du parti dans la société tanzanienne. Le CCM et son précurseur, l’Union nationale africaine tanzanienne, sont au pouvoir depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1961. À l’instar d’autres partis de libération en Afrique, certains membres du CCM se sentent autorisés à gouverner indéfiniment et, enhardis par le mandat de Magufuli, sont prêts à recourir à toutes les tactiques nécessaires pour maintenir leur hégémonie absolue.
Le combat pour la direction du CCM témoigne de désaccords profonds sur la place du parti dans la société tanzanienne.
D’autres membres du parti estiment que le CCM peut rivaliser par des moyens démocratiques et se présenter sur la base d’une plate-forme de projets d’infrastructure, d’une croissance économique forte et d’une responsabilité fiscale. Compte tenu de sa longue histoire et de ses avantages organisationnels, cette faction estime que le CCM peut s’accommoder de réformes démocratiques, ce qui renforcerait la légitimité interne du parti et élargirait les perspectives d’investissements et de partenariats internationaux. Il s’agit notamment des anciens du parti qui se sont alignés sur la vision de Julius Nyerere et qui continuent d’être très influents. Ils constituent la conscience du CCM et font pression pour un consensus qui s’éloigne de l’inclinaison draconienne de Magufuli. Samia offre également à la CCM une histoire passionnante, celle de la première femme élue à la présidence de la Tanzanie.
Les élections de 2025 seront le point de mire de cet exercice d’équilibre à plusieurs niveaux. En surface, la question se posera de savoir dans quelle mesure l’opposition pourra contester l’élection et quelle sera la crédibilité du résultat. En filigrane, toutefois, se pose la question de savoir comment Samia naviguera entre les différentes factions du CCM. Les résultats collectifs de cette exercice équilibriste façonneront la trajectoire de la démocratie tanzanienne et définiront ce à quoi ressemblera le retour à une politique « normale » dans l’ère post-Magufuli du pays.
Hany Wahila est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
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