Guinée : Malgré les manifestations, la junte militaire se positionne pour se maintenir au pouvoir


Élections présidentielles et legislatives
Septembre-octobre


La junte militaire dirigée par celui qui n’était que colonel Mamadi Doumbouya a annoncé son intention d’organiser des élections présidentielles et législatives reportées en 2025. Cette décision intervient après que l’armée n’a pas réussi à organiser les élections promises en décembre 2024 et que la junte n’a fait preuve que de peu d’engagement en faveur d’une transition vers un gouvernement démocratique.

La feuille de route de la junte guinéenne pour la transition a toujours manqué de transparence, de respect des délais et d’engagements budgétaires adéquats.

La junte a saisi le pouvoir des mains du premier président démocratiquement élu de Guinée, Alpha Condé, en septembre 2021.

On s’attend à ce que Doumbouya se présente à la présidence lors des élections prévues, bien que la junte ait déclaré à plusieurs reprises que tous les membres de l’autorité militaire de transition ne pourraient pas faire partie d’un nouveau gouvernement.

Pour ouvrir la voie à la candidature de Doumbouya, la junte devrait organiser un référendum constitutionnel en mai 2025 qui fixerait les conditions de l’élection. Les membres de la junte se réfèrent désormais à Doumbouya comme président de la République, et non plus comme président de la transition, comme c’était le cas auparavant.

Le changement de tactique de la junte en faveur de la tenue d’élections semble viser à suivre le modèle élaboré par le général Mahamat Déby au Tchad, qui a supervisé un dialogue national hautement orchestré, un référendum constitutionnel autorisant les dirigeants de la junte à se présenter aux élections, puis des élections superficielles en 2024.

La feuille de route de transition en dix points négociée par la junte guinéenne avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a toujours manqué de transparence, de respect des délais et d’engagements budgétaires adéquats. Cela a conduit de nombreux dirigeants de la société civile à remettre en question l’engagement de la junte en faveur de la transition.

Le chef de la junte guinéenne, Mamadi Doumbouya (au centre). (Photo : Aboubacarkhoraa)

Ce point de vue est renforcé par la militarisation croissante du gouvernement guinéen. En 2022, Doumbouya a remplacé les 34 préfets civils du pays par des officiers militaires, retardant ainsi la conversion à la vie civile. En mars 2024, Doumbouya a dissous les 342 conseils municipaux élus du pays, nommant directement leurs 3 000 remplaçants. Entre autres responsabilités, les conseils municipaux sont normalement chargés d’organiser les élections.

Les principaux partis politiques et organisations de la société civile guinéenne, regroupés sous la bannière des Forces vives de Guinée (FVG), ont organisé des manifestations périodiques (même si celles-ci sont interdites depuis 2022) contre le contrôle unilatéral et opaque du processus de transition par la junte. Les dirigeants de l’opposition soutiennent que tout processus d’administration des élections ou d’inscription sur les listes électorales devrait être géré par des organismes indépendants afin de limiter les conflits d’intérêts. Selon eux, toute réforme constitutionnelle devrait pareillement attendre la mise en place d’un gouvernement légitime et démocratiquement élu.

La junte a répondu à ces manifestations par une répression violente qui a fait des dizaines de morts. L’armée a appliqué des tactiques tout aussi sévères en suspendant plus de 50 partis d’opposition et en considérant les autres comme étant « en observation ». En revanche, les rassemblements organisés pour soutenir Doumbouya sont autorisés.

Trois membres de l’opposition guinéenne — Oumar Sylla (également connu sous le nom de Foniké Menguè), Mamadou Billo Bah et Mohamed Cissé — ont été arrêtés au domicile de Menguè à Conakry le 9 juillet 2024 et emmenés dans un centre de détention à Kissa, une île au large de Conakry, où ils auraient été torturés. Si Cissé a finalement été libéré, Menguè et Bah n’ont toujours pas été retrouvés. Ces enlèvements s’inscrivent dans le cadre d’une escalade du harcèlement, des emprisonnements et des procès contre les critiques de la junte, notamment le célèbre rappeur Djanii Alfa. Toujours en 2024, le dirigeant de l’opposition Aliou Bah a été arrêté par des hommes en uniforme et rapidement condamné à deux ans de prison pour « offense » à Doumbouya.

La résistance au régime militaire met en évidence la résilience de la société civile et du mouvement démocratique guinéens.

Les membres du barreau guinéen se sont mis en grève pour protester contre les arrestations arbitraires et les détentions illégales de citoyens guinéens.

L’espace des médias se rétrécit également, ce qui limite l’entrée et la sortie d’informations en Guinée. La junte a imposé un accès limité à l’internet, empêché des chaînes de télévision et des stations de radio d’émettre et a poursuivi la répression contre les médias privés indépendants. Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général de l’Union des journalistes professionnels de Guinée, a été condamné en février 2024 à 6 mois de prison pour avoir organisé une manifestation et menacé l’ordre public et la dignité des personnes par le biais des technologies de l’information. En juillet, deux régulateurs des médias, Djene Diaby et Tawel Camara, membres de la Haute Autorité de Communication (13 membres), ont été reconnus coupables de diffamation envers le chef de l’État après avoir affirmé que la junte avait soudoyé les dirigeants de deux médias populaires (interdits depuis) en échange d’une couverture médiatique positive.

Cette résistance au régime militaire témoigne de la résilience de la société civile et du mouvement démocratique guinéens. La Guinée a été l’un des derniers pays africains à organiser des élections multipartites concurrentielles, qui n’ont eu lieu qu’en 2010. Cette étape n’a été franchie qu’après le tristement célèbre massacre de 2009 de plus de 150 manifestants civils et le viol de dizaines de femmes orchestrés par le gouvernement militaire de Moussa Dadis Camara dans le stade de Conakry.

Des citoyens envahissent les rues après que la coalition d’opposition déclarée illégale, le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), a appelé à des manifestations contre la junte au pouvoir à Conakry, le 20 octobre 2022. (Photo : AFP)

Le rejet du régime militaire en Guinée par les citoyens est fondé sur un long héritage d’autorité répressive et irresponsable. Les Guinéens ont beaucoup souffert sous le règne dictatorial de 25 ans (1958-1984) d’Ahmed Sékou Touré, suivi par le régime de 24 ans (1984-2008) du général Lansana Conté. Ces épreuves et ces droits acquis de hautes luttes ont gravé dans la psyché guinéenne un profond engagement en faveur de la démocratie.

Sous la junte de Doumbouya, la Guinée souffre d’une aggravation des tensions économiques. L’insécurité alimentaire aiguë a grimpé en flèche, atteignant environ 11 % des 14 millions de Guinéens (contre 2,6 % en 2020). Plus d’un million de Guinéens sont aujourd’hui confrontés à une crise alimentaire. Il s’agit de l’un des pays d’Afrique où l’augmentation de la population confrontée à une insécurité alimentaire aiguë a été la plus forte au cours de l’année écoulée. Les pénuries de carburant sont devenues chroniques et, avec une inflation annuelle de 11 %, l’accès aux produits de base devient de plus en plus difficile.

Le retour à une trajectoire démocratique permettrait au pays de renouer avec l’investissement, le développement et la croissance économique.

Le retour à une trajectoire démocratique permettrait au pays de renouer avec l’investissement, le développement et la croissance économique. Au cours de sa décennie de progrès démocratique, la Guinée avait réalisé un taux de croissance économique annuel moyen par habitant de 2,9 %, corrigé de l’inflation. En comparaison, la croissance économique a été inférieure à 1 % au cours des 25 années précédant 2010.

Le retour à un régime démocratique civil permettrait également à l’armée guinéenne de bénéficier d’un éventail plus large de financements et de formations dans le cadre de la coopération en matière de sécurité, ce qui pourrait s’avérer essentiel dans la mesure où l’insurrection islamiste au Mali se rapproche de plus en plus de la frontière septentrionale de la Guinée.

On peut s’attendre à des interventions russes visant à faire dérailler la transition démocratique guinéenne, étant donné l’implication de longue date de la Russie dans l’exploitation de la bauxite en Guinée, l’influence considérable de la Russie sur les juntes militaires sahéliennes voisines et les efforts délibérés du Kremlin pour saper la démocratie dans d’autres pays d’Afrique.

La réaction des Guinéens face à la tentative de la junte de prolonger son règne s’inscrit dans la continuité du long combat pour la démocratie mené par le pays au cours des décennies qui ont précédé 2010. Tel est le sous-texte des principes du calendrier électoral 2025 de la Guinée. La question clé à surveiller est donc de savoir dans quelle mesure les processus électoraux seront administrés de manière indépendante ou s’il s’agit d’un exercice géré par l’armée qui perpétue le régime militaire sous un nouveau nom.


Hany Wahila est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

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