République centrafricaine : La capture des élites se mue en capture de l’État


Élections présidentielles et legislatives
Décembre


Le référendum constitutionnel de 2023 en République centrafricaine (RCA) a donné un aperçu de ce que l’on peut attendre de l’élection présidentielle de 2025. À mi-chemin de son deuxième et dernier mandat présidentiel, selon les limites imposées par la constitution, le président Faustin-Archange Touadéra a entamé une révision constitutionnelle pour supprimer cette limite  et contourner cette rambarde contre la concentration du pouvoir. Les efforts visant à contourner la limitation des mandats s’inscrivent presque toujours dans un contexte d’autres mesures visant à affaiblir l’État de droit. Dans le cas de Touadéra, il s’agissait notamment de faire de la Cour constitutionnelle une institution contrôlée par le gouvernement, de permettre au président de nommer des juges supplémentaires à la Cour suprême et de supprimer le rôle de l’Assemblée nationale dans le contrôle des contrats miniers. Les mandats présidentiels passeraient également de 5 à 7 ans.

Les efforts visant à contourner la limitation du nombre de mandats s’inscrivent presque toujours dans le cadre d’autres mesures visant à affaiblir l’État de droit.

Lorsque la présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, a jugé que le projet de référendum constitutionnel était illégal, Touadéra l’a remplacée. La campagne autour du référendum qui a suivi a été unilatérale, les critiques du coup de force — y compris les politiciens, les médias et les acteurs civils — ayant été intimidés, détenus et empêchés de se rassembler. Touadéra et ses sponsors russes, quant à eux, ont dominé les médias et les réseaux sociaux en faveur du référendum. Cela a produit le résultat escompté, en fournissant à Touadéra une feuille de vigne, derrière laquelle il se présenterait à nouveau en 2025.

Le référendum avait lui aussi suivi le modèle des tactiques d’intimidation déjà utilisées lors des élections présidentielles de 2020.

Le paysage politique de la RCA n’a fait que se détériorer depuis, avec peu de prétention à l’équité. Des dirigeants de l’opposition, tels que le député Dominique Yandocka, ont été emprisonnés en dépit de leur immunité parlementaire. Des militants des droits civils, comme Crépin Mboli Goumba, ont été arrêtés pour diffamation et outrage à magistrat. (Mboli Goumba a ensuite été détenu au tristement célèbre Office central de répression du banditisme pour avoir fourni des documents sur la corruption, impliquant quatre juges et le ministre de la Justice). Les partis d’opposition sont interdits de rassemblement et discrédités par des campagnes de désinformation organisées qui les accusent de soutenir des groupes armés rebelles. Les critiques font également l’objet d’une surveillance, d’intimidations en ligne et de violences physiques de la part des milices de jeunes associées au parti au pouvoir, le Mouvement des cœurs unis (MCU). L’un de ces groupes, Les requins, effectue des patrouilles armées et passe à tabac les personnes soupçonnées d’être des partisans de l’opposition. Son fondateur Héritier Doneng a été nommé ministre de la Promotion de la jeunesse et des sports en 2024.

Faustin Archange Touadéra (C) greets his supporters at an electoral rally, escorted by the presidential guard and Russian mercenaries, in 2020. (Photo: AFP/Alexis Huguet)

Faustin Archange Touadéra (au centre) salue ses partisans lors d’un meeting électoral, escorté par la garde présidentielle et des mercenaires russes. (Photo : AFP/Alexis Huguet)

L’intimidation des partis d’opposition s’est également accompagnée d’un rétrécissement de l’espace médiatique. Les journalistes et les médias qui soulèvent des préoccupations concernant l’insécurité permanente ou l’influence indue de la Russie (dont les mercenaires servent de garde présidentielle à Touadéra tandis qu’un Russe occupe le poste de conseiller à la sécurité nationale) font l’objet de menaces, d’arrestations ou de fermetures. En conséquence, la plupart des médias s’abstiennent désormais de publier toute critique, que ce soit à l’égard du gouvernement ou de son partenariat avec la Russie. À l’image des opérations russes de manipulation d’information menées ailleurs en Afrique, la Galaxie panafricaine sponsorisée par la Russie mène des campagnes agressives sur les médias sociaux afin d’intimider les critiques du gouvernement centrafricain et de les empêcher d’exprimer leurs opinions. Cela inclut la diffusion en ligne d’informations privées sur les critiques. Les forces russes surveilleraient également les mouvements des critiques à l’aide de drones.

Voters wait as a electoral commission official checks a voter's roll at the polling station in Bangui. (Photo: AFP/Camille Laffont)

Des électeurs attendent qu’un fonctionnaire de la commission électorale vérifie les listes électorales dans un bureau de vote à Bangui. (Photo : AFP/Camille Laffont)

La Russie a profité de sa prise de contrôle effective du gouvernement Touadéra pour s’emparer des ressources naturelles de la RCA, notamment des concessions d’or, de diamants et  forestières. Cela a conduit à l’annexion effective du territoire autour de ces concessions, avec des attaques contre les orpailleurs artisanaux et l’expulsion des communautés locales de leurs villages. Parmi les incidents recensés figurent l’attaque de la mine d’or de Ndassima en 2021, où les forces de Wagner ont tué des mineurs pour prendre le contrôle du site. Des attaques similaires ont eu lieu dans l’Aïgbado et à Yanga au début de l’année 2022, faisant au moins 70 morts. Les survivants sont confrontés à un danger permanent, des disparitions et des meurtres ayant été signalés sur les nouveaux sites d’exploitation minière. Avec le projet russe d’établissement d’une base militaire permanente dans le pays, la RCA offre aux autres pays africains des leçons sur le risque de perte de souveraineté associé à l’extension de l’ingérence politique de la Russie.

Le recul démocratique de la RCA — et les possibilités réduites d’autocorrection démocratique qui en découlent — a des conséquences directes sur le bien-être des citoyens. La RCA est classée 149e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International, et on estime que 95,5 % de sa production d’or est exportée en contrebande. Ce niveau de corruption limite considérablement les revenus qui pourraient être investis dans des initiatives de développement, tout en alimentant les réseaux de trafiquants criminels qui perpétuent l’instabilité de la RCA.

Malgré les risques et les nombreux obstacles à un processus électoral libre et équitable, les partis d’opposition continuent de proposer des voies alternatives.

La situation sécuritaire en RCA reste volatile, en particulier dans le nord-ouest et l’est du pays, où les groupes armés se disputent le contrôle des ressources naturelles et des taxes sur les routes principales. La menace croissante posée par ces groupes a entraîné une augmentation de 83 % du nombre de victimes civiles au cours de l’année écoulée. Le soutien de la Russie et des Émirats aux forces de soutien rapide des rebelles du Soudan voisin, via la RCA, ajoute une couche régionale d’instabilité au déclin de la gouvernance redevable en RCA.

Malgré les risques et les nombreux obstacles à un processus électoral libre et équitable, les partis d’opposition continuent de proposer des voies alternatives pour la RCA. Il s’agit notamment des membres du parti au pouvoir qui ont été mis à l’écart et qui se positionnent comme une alternative, comme Henri-Marie Dondra, un ancien premier ministre et ministre des Finances. Ces efforts de réforme méritent une plus grande attention régionale et internationale si l’on veut briser le cycle croissant de l’impunité. À défaut, la trajectoire politique de la RCA aura des répercussions plus larges sur l’instabilité, le trafic illicite et l’influence des acteurs extérieurs dans la région.


Hany Wahila est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.