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Élections présidentielles
Octobre
À première vue, l’élection présidentielle de 2025 au Cameroun semble être une continuation du système politique invariable en place depuis l’arrivée au pouvoir du président Paul Biya en 1982. M. Biya, qui est le deuxième plus ancien dirigeant d’Afrique (après Teodoro Obiang en Guinée équatoriale), se présente aux élections d’octobre pour son huitième mandat présidentiel. La prolongation du mandat de M. Biya est d’autant plus remarquable que les mandats présidentiels au Cameroun sont de 7 ans. Le mandat extraordinairement long de M. Biya a été rendu possible par un amendement constitutionnel conçu par son parti en 2008, abolissant la limite de deux mandats présidentiels.
Le parti de Biya, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), est au pouvoir dans ce pays de 29 millions d’habitants depuis l’indépendance en 1960, reflétant le système de parti dominant en place malgré l’introduction d’élections multipartites en 1992.
Biya et le RDPC ont maintenu leur mainmise sur la politique camerounaise en contrôlant toutes les institutions gouvernementales, y compris la commission électorale et le pouvoir judiciaire. Cette situation a donné lieu à ce que les observateurs indépendants considèreFnt comme une série d’élections frauduleuses, ce qui a conduit les partis d’opposition à boycotter les élections législatives et municipales de 2020. Le candidat de l’opposition, Maurice Kamto, et plus de 200 de ses partisans ont été arrêtés pour avoir protesté contre les élections présidentielles controversées de 2018. Alors que M. Kamto a été libéré au bout de dix mois, 41 de ses partisans restent derrière les barreaux après avoir été condamnés à sept ans de prison. En 2020, le gouvernement a interdit les manifestations.
Le cycle électoral de 2025 devrait toutefois constituer un point d’inflexion dans cette trajectoire. Aujourd’hui âgé de 91 ans, M. Biya est plus vieux chef d’État du monde. En mauvaise santé, il a été absent de la scène publique pendant de longues périodes au cours de l’année écoulée. En coulisses, cette situation a déclenché une bataille de succession nerveuse au sein du RDPC. En cas de décès ou de démission de M. Biya, la constitution camerounaise prévoit en effet que les responsabilités du chef de l’État soientt transférées au président du Sénat, Marcel Niat Njifenji. Ce dernier serait tenu d’organiser des élections dans un délai de 20 à 120 jours, mais il lui serait interdit de s’y présenter lui-même ou de modifier la constitution ou la composition du gouvernement. Membre de longue date du RDPC, M. Njifenji occupe le poste de président du Sénat depuis sa création en 2013 et ne devrait pas être chargé de superviser des changements radicaux de politique.
L’unité de l’opposition est essentielle dans le système majoritaire à un tour du Cameroun, qui favorise le candidat sortant.
Ce cycle électoral pourrait également être différent dans la mesure où 30 partis de l’opposition camerounaise, connue pour être fracturée, ont accepté de se regrouper autour de la coalition de l’Alliance politique pour le changement (APC) de Maurice Kamto qui s’est lancé dans une campagne visant à étendre les services de santé et d’éducation et à réduire les inégalités criantes de la société camerounaise. M. Kamto a officiellement recueilli 14 % des voix lors de l’élection présidentielle contestée de 2018. L’unité de l’opposition est essentielle dans le système majoritaire à un tour du Cameroun qui favorise le président sortant.
Ce cycle électoral a également été marqué par les efforts de sensibilisation des citoyens menés par le Dr Enow Abrams Egbe, président de l’institution chargée de superviser les élections, Elections Cameroun. Il a activement impliqué le public dans la sensibilisation des citoyens au processus électoral, mené une campagne d’inscription des électeurs qui a permis à plus de 750 000 citoyens de se rendre aux urnes et est considéré comme ayant augmenté de manière significative l’inscription des femmes et des jeunes. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par la société civile, dont certains ont été organisés par l’Église catholique, pour insuffler à la jeunesse camerounaise une ferveur pour l’engagement civique.
Les règles du jeu électoral restent très inégales.
Le terrain de jeu électoral reste cependant très inégal et susceptible à l’influence du RDPC. L’interdiction par le gouvernement des deux principales coalitions d’opposition, dont l’APC, les déclarant « illégales » et de constituer des « mouvements clandestins », en est une illustration. M. Kamto pourrait être confronté à d’autres obstacles : aujourd’hui, son parti, qui a boycotté les dernières élections législatives, ne dispose pas de sièges au sein l’Assemblée nationale. Or, en disposer est une condition préalable pour un candidat à la présidence. Le RDPC au pouvoir tente d’exploiter ce vice de forme en reportant les élections législatives à 2026, alors qu’elles sont normalement sensées se dérouler en même temps que l’élection présidentielle.
Les mois précédant l’élection ont également été marqués par une augmentation des arrestations arbitraires, des actes d’intimidation et des procès devant les tribunaux militaires à l’encontre des membres des partis d’opposition, des journalistes et des dirigeants de la société civile. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une répression plus large à l’encontre des journalistes jugés critiques à l’égard du gouvernement. Les licences des médias ont ainsi été suspendus et des journalistes violemment attaques et arrêtés pour avoir dénoncé la corruption ou la mauvaise gestion du gouvernement.
Alors que le Cameroun a longtemps été dominé par un parti unique, le recours à des tactiques répressives s’est accru ces dernières années, démentant la riche diversité socioculturelle et linguistique du pays, ainsi que son héritage d’inclusivité. Les mesures sévères prises pour restreindre les droits des communautés anglophones dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (qui représentent de 15 à 20 % de la population) depuis 2016 en sont la preuve la plus flagrante. Le conflit qui en a résulté, au cours duquel des violations des droits humains auraient été commises par les deux parties, a fait plus de 3 000 morts, près de 700 000 personnes déplacées et entraîné l’interruption de la scolarisation d’environ 600 000 enfants. L’insécurité et l’aliénation croissantes de ces régions anglophones y feront certainement baisser la participation électorale, contribuant ainsi à leur sous-représentation politique.
Les élections camerounaises auront également des répercussions sur la sécurité régionale, car le Cameroun, tout comme le Nigeria et le Tchad, est confronté depuis plus de dix ans à la menace de groupes islamistes militants (notamment Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest). Cette menace, concentrée dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, s’est intensifiée, le pays ayant connu l’année dernière une augmentation de 50 % du nombre de morts (plus de 800 aujourd’hui) liées à ces groupes cette année. La mesure dans laquelle les élections présidentielles au Cameroun contribueront à légitimer les résultats et à unifier la population aura un impact direct sur la capacité du gouvernement à gagner le soutien de la population et à poursuivre une stratégie de stabilisation holistique face à cette menace.
Le Cameroun est également au cœur du défi sécuritaire régional que représente la protection des forêts tropicales du bassin du Congo. L’exploitation illégale de ces forêts, souvent liée à des groupes criminels transnationaux organisés, coûte au pays des milliards de dollars en revenus perdus, compromet des milliers de moyens de subsistance et menace le puits de carbone terrestre le plus important au monde ainsi qu’un élément essentiel des cycles de transpiration hydrique en Afrique. Le leadership du gouvernement camerounais sera essentiel pour mettre en place les mécanismes nationaux et régionaux de sécurité et de surveillance financière nécessaires pour contrôler cette exploitation.
L’élection présidentielle camerounaise fera probablement l’objet d’une ingérence extérieure.
L’élection présidentielle au Cameroun fera probablement l’objet d’une ingérence extérieure. Le siège d’Afrique Média, l’organe de presse parrainé par la Russie qui promeut des récits prorusses dans toute l’Afrique, se trouve à Douala. Des réseaux d’information liés à la Russie ont soutenu le mandat prolongé de Biya, et le Cameroun a été une cible prioritaire des campagnes russes anti-occidentales, anti-ONU et antidémocratiques.
Alors que le Cameroun s’achemine, après quatre décennies de règne de Biya, vers une transition inévitable, le thème central de l’élection de 2025 sera de savoir si les forces réformistes au sein et en dehors du RDPC peuvent obtenir une traction suffisante pour construire une coalition qui s’attaquera aux tensions politiques intérieures et aux menaces locales à la sécurité tout en réalisant l’énorme potentiel du pays.
Hany Wahila est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
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