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Pluies record
27 pays de la zone tropicale de l’Afrique ont connu des précipitations exceptionnellement fortes en 2024 par rapport à leurs normes historiques. Ces augmentations de la quantité et de l’intensité des précipitations en Afrique reflètent les tendances observées ailleurs dans le monde.
Les inondations causées par les pluies abondantes ont touché environ 11 millions de personnes, entraînant environ :
- 2,500 morts
- 4 millions de personnes déplacées
- Des millions d’hectares de terres agricoles inondées
- Des centaines de milliers de têtes de bétail perdues
- Des centaines d’établissements de soins de santé détruits ou endommagés
- 10 millions d’enfants au Niger, au Nigeria, en République démocratique du Congo (RDC) et au Mali n’ont pas pu aller à l’école car des milliers d’écoles ont été inondées ou transformées en logements temporaires pour les personnes déplacées.
La saison des pluies en Afrique de l’Ouest et centrale s’étend généralement de juin à septembre. Cependant, de graves inondations ont persisté jusqu’en novembre dans le centre et le sud du Tchad, le nord du Cameroun, la Guinée, la Guinée-Bissau, le centre et le sud du Mali, le sud du Niger, le nord du Nigeria, le Sénégal et le nord de la Sierra Leone.
Les populations ont également été affectées par les risques sanitaires associés aux fortes pluies et aux approvisionnements en eau contaminée (tels que l’augmentation des cas de malaria, de pneumonie et de choléra).
Les 2,4 millions de personnes déplacées en raison des inondations sont venues s’ajouter aux 45 millions de personnes déplacées de force en Afrique, un chiffre record, en grande partie à cause des conflits.
Une nouvelle réalité ?
Les inondations de 2024 au Nigeria, au Cameroun, au Niger et au Tchad sont comparées aux inondations historiques qui ont frappé ces neuf pays en 2022, résultat de précipitations supérieures de 20 % à la moyenne. Au Tchad, les précipitations de 2022 ont été les plus importantes depuis 30 ans. Le fait que l’année 2024 soit comparée à ces niveaux records suggère que ces événements météorologiques extrêmes ne sont plus rares et qu’ils devraient devenir plus fréquents.
Les données sur les précipitations annuelles compilées par la Banque mondiale pour les pays les plus touchés par les inondations indiquent que 2024 était moins une aberration qu’une continuation d’une tendance à l’augmentation des précipitations au cours des cinq dernières années par rapport à une base de référence des trois décennies précédentes.
- Les niveaux médians de précipitations entre 2018 et 2022 dans ces 9 pays étaient supérieurs de 6,5 % à la médiane sur 30 ans entre 1988 et 2017.
- L’élévation des températures contribue à des précipitations plus abondantes. Pour chaque augmentation de 1°C de la température moyenne, l’atmosphère peut contenir jusqu’à 7 % d’humidité en plus. Les précipitations plus abondantes contribuent à leur tour à l’augmentation des inondations côtières et fluviales.
- Si les températures dans la zone tropicale de l’Afrique restent supérieures à la normale, la fréquence de ces inondations de grande ampleur continuera probablement à augmenter.
2024 est moins une aberration que la poursuite d’une tendance à l’augmentation des précipitations.
- Parfois, ce n’est pas la quantité mais l’intensité de la pluie qui pose problème. Les sols secs ne peuvent pas absorber l’eau assez rapidement lors de fortes pluies. L’excès d’eau s’écoule sur les terres arides, entraînant des inondations. Le Sahel, avec ses sols arides et semi-arides, est très sensible à cet effet.
- En Afrique de l’Est, le phénomène climatique El Niño a provoqué des inondations extrêmes au Burundi, au Kenya, en Somalie et en Tanzanie au cours du premier semestre de l’année.
- En Afrique australe, l’exacerbation par El Niño de la période de mi-saison la plus sèche de la région depuis un siècle a contribué à une sécheresse catastrophique qui a touché plus de 61 millions de personnes.
La gouvernance a un impact sur la résilience des pays face aux inondations
Si des niveaux extraordinaires de précipitations dans la zone tropicale ont été le déclencheur, des facteurs de gouvernance ont directement contribué au nombre relatif de personnes touchées par les inondations.
- Le Tchad, le Soudan du Sud et le Niger se distinguent par le nombre de personnes touchées par les inondations, en tenant compte de la taille de la population.
- Les neuf pays ayant le plus grand pourcentage de personnes touchées par les inondations sont tous classés comme « non libres » par Freedom House. Le classement médian de ces neuf pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International est de 167 (sur 180 pays). Huit de ces neuf pays sont en situation de conflit.
- Le pourcentage de personnes touchées par les inondations de 2024 est également très proche de l’indice INFORM pour la gestion des risques, qui mesure la capacité d’adaptation aux catastrophes naturelles. Cette mesure comprend la capacité institutionnelle d’un pays en matière de gestion des catastrophes, de réduction des risques, de réponse aux situations d’urgence et de rétablissement.
Les neuf pays ayant le plus grand pourcentage de personnes touchées par les inondations sont tous classés dans la catégorie « non libres ».
- La faible capacité de réaction aux catastrophes est l’indicateur qui présente la corrélation la plus forte (0,57, 1,0 étant une corrélation parfaite) avec le pourcentage de personnes touchées par les inondations dans un pays. D’autres mesures de gouvernance telles que le manque de transparence, l’autocratie et les conflits armés étaient également fortement corrélées (0,42-0,45) au pourcentage de personnes touchées.
- Le risque d’inondation fluviale, en revanche, avait une corrélation relativement plus faible (0,37) avec le pourcentage de personnes touchées, ce qui souligne la forte influence de la gouvernance dans l’atténuation des effets des catastrophes naturelles. En d’autres termes, des niveaux extraordinaires de précipitations n’ont pas été déterminants pour le grand nombre de personnes touchées. Les interventions de préparation, d’atténuation et de réaction ont également une influence sur les résultats.
Les facteurs de gouvernance sont étroitement liés à l’impact des inondations sur la population
- Même en tenant compte de la vulnérabilité aux inondations fluviales et des conflits, la capacité de réaction aux catastrophes présente une corrélation statistiquement significative avec le pourcentage de personnes touchées par les inondations.
- Le Sénégal, la Gambie, le Kenya, la Tanzanie et le Bénin, par exemple, ont fait preuve d’une résilience relativement plus forte pour atténuer l’impact sur leurs populations de niveaux de précipitations plus élevés.
- La capacité de réaction aux catastrophes est, quant à elle, étroitement liée à d’autres caractéristiques de la gouvernance telles que la transparence (corrélation de 0,65) et la gouvernance démocratique (0,56).
- Les effets cumulés des catastrophes naturelles sur la faiblesse de la gouvernance sont illustrés par le fait que 13 des 27 pays touchés par les inondations sont également confrontés à des conflits armés. En plus de refléter des niveaux élevés de friction sociétale, les conflits drainent des ressources qui pourraient être consacrées à la résilience aux catastrophes et aux mesures d’intervention.
Description de la situation dans certains pays
Tchad
- Les 23 provinces du Tchad ont toutes été touchées par d’importantes inondations, les provinces du Lac, du Mandoul, du Moyen Chari, de la Tandjilé et de N’Djamena étant les plus sévèrement touchées dans la région du sud-ouest.
- Environ 1,9 million de personnes au Tchad ont été touchées par les inondations en 2024. Avec une montée des eaux de 8,6 mètres, le fleuve Chari a dépassé le précédent record de 8,14 mètres établi lors des inondations de 2022.
- Environ 400 000 hectares de terres agricoles et 70 000 têtes de bétail ont été perdus, tandis que quelque 13 000 personnes ont été déplacées. Les autorités ont déploré plus de 570 décès dus aux inondations.
- Plus de 926 000 personnes ont franchi la frontière du Tchad pour fuir le conflit au Soudan voisin. Les tentes et les abris de fortune de certains de ces réfugiés ont été détruits par les inondations.
Soudan du Sud
- 4 millions de personnes dans 44 comtés (sur un total de 79) et dans la région administrative d’Abeyi ont été touchées par de fortes pluies. Environ 380 000 personnes ont été déplacées.
- En septembre, les pluies et les inondations ont rendu impraticables 15 routes d’approvisionnement majeures, ce qui a retardé l’acheminement de l’aide humanitaire à 500 000 personnes.
- Les Nations unies ont signalé une augmentation des cas de paludisme dans plus de la moitié des États du Soudan du Sud.
- Dans les régions de l’État du Haut-Nil qui sont devenues les principaux points d’entrée des réfugiés fuyant la guerre au Soudan, les organisations humanitaires ont signalé une augmentation alarmante des cas de choléra, avec plus de 1 500 cas confirmés et suspects. Elles attribuent cette épidémie à une combinaison d’inondations, d’un accès insuffisant à l’eau, à l’assainissement et aux services d’hygiène, ainsi qu’à la vague de réfugiés en provenance du Soudan, où une épidémie de choléra sévit depuis des mois.
Mali
Le Mali a connu ses pires inondations depuis 60 ans et on estime à 370 000 le nombre de personnes touchées.
- Le Mali a connu ses pires inondations depuis 60 ans. On estime à 370 000 le nombre de personnes touchées. Environ 17 800 personnes ont été déplacées.
- Presque toutes les provinces du pays ont été touchées par les inondations. La région de Ségou, au centre du pays et en proie au conflit, a été la plus touchée avec près de 72 000 personnes affectées. Bamako a vu plus de 16 000 personnes touchées par les inondations, et Tombouctou environ 37 000.
- En raison de l’absence de médias libres et impartiaux au Mali, ces impacts peuvent être plus importants que ce qui est rapporté.
Soudan
- 15 des 18 États du Soudan ont connu de fortes pluies et des inondations cette année. Plus de 4 millions d’hectares de terres (dont 41 % de l’ensemble des terres arables du pays) ont été touchés.
- Ces inondations ont eu lieu dans le cadre d’un conflit dévastateur qui a déplacé plus de 13,5 millions de Soudanais.
- Près de 200 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays par les inondations. Plus de 40 % des personnes déplacées l’étaient déjà dans le cadre d’un conflit.
- En guise d’exemple de cumul des difficultés, 50 camions transportant près de 5 000 tonnes d’aide alimentaire ont été bloqués dans tout le Soudan en août en raison des inondations et de l’impraticabilité des routes. Cette situation a été particulièrement dévastatrice étant donné que l’accès à l’aide humanitaire a été très limité tout au long du conflit au Soudan.
Nigeria
- 34 des 36 États du Nigeria ont été touchés par des pluies diluviennes cette année. La région du nord-est a été particulièrement touchée. Le barrage d’Alau sur la rivière Ngadda dans l’État de Borno a débordé en septembre, inondant les deux tiers de la capitale de l’État, Maiduguri, et tuant 1 000 personnes. Les autorités ont déclaré qu’il s’agissait des pires inondations depuis 30 ans.
- Près de 4 millions de personnes ont été touchées par les inondations dans tout le pays. Au niveau national, environ 260 000 hectares de terres cultivées ont été perdus et plus de 740 000 personnes ont été déplacées.
- Maiduguri accueillait déjà des centaines de milliers de personnes déplacées par les violences de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. Les inondations ont contraint les autorités à évacuer un grand nombre de ces personnes déplacées, tout en générant 300 000 personnes déplacées supplémentaires dans la région. La réponse du gouvernement a toutefois permis d’atténuer l’impact des inondations dans la région.
- Le Centre nigérian de contrôle des maladies a annoncé que le pays avait enregistré près de 11 000 cas de choléra en 2024, soit une augmentation de 220 % par rapport à la même période en 2023. Le nombre de décès dus au choléra est passé de 106 à 359. L’État de Borno, l’une des régions les plus durement touchées par les inondations et théâtre d’attaques de militants islamistes, a enregistré un nombre important de cas de choléra.
Sénégal
- Selon l’Institut de recherche et de développement du Sénégal, les précipitations de 2024 ont dépassé de 30 % la norme saisonnière.
- Une crue des fleuves Sénégal et Gambie a entraîné de graves inondations dans les zones environnantes, touchant de nombreux agriculteurs qui s’étaient rapprochés des rives pour réduire le coût de l’irrigation après des périodes de sécheresse.
- Les champs submergés ont détruit les cultures qui étaient prêtes à être récoltées. Selon la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal (SAED), à la suite des inondations, « des milliers de ménages vont basculer dans l’extrême pauvreté ».
- En octobre, l’armée sénégalaise a été mobilisée pour évacuer les personnes et le bétail des régions touchées, le président Bassirou Diomaye Faye a visité les zones inondées et le premier ministre Ousmane Sonko a annoncé l’allocation d’environ 13 millions de dollars pour soutenir les victimes des inondations.
Kenya
Répondant aux signaux d’alerte envoyés par son service météorologique avant la saison des pluies, le gouvernement kenyan a pris des mesures pour atténuer l’impact des inondations.
- Le Kenya a été durement touché par les pluies provoquées par El Niño et les inondations qui ont suivi. Plus de 400 000 personnes ont été touchées, dont 40 000 ménages vivant dans les quartiers d’habitation précaire de Nairobi qui ont dû être déplacés.
- Répondant aux signaux d’alerte envoyés par son service météorologique avant la saison des pluies, le gouvernement kenyan a pris des mesures pour atténuer l’impact des inondations.
- Le ministère de la santé du Kenya a déployé une équipe de gestion des incidents pour la surveillance des maladies, la gestion des cas et la communication des risques. Le ministère a également mis en place des camps médicaux pour fournir des soins à plus de 4 000 personnes affectées par la fermeture des centres de santé en raison des inondations.
- Plus de 700 secouristes ont été préparés à se déployer dans les camps de déplacés pour fournir des soins de santé aux réfugiés.
Ressources complémentaires
- Austyn Gaffney et Somini Sengupta, « Floods Wreak Havoc over Four Continents », [Les inondations font des ravages sur quatre continents ], New York Times, 19 septembre 2024.
- Laura Jaramillo, Aliona Cebotari, Yoro Diallo, Rhea Gupta, Yugo Koshima, Chandana Kularatne, Daniel Jeong Dae Lee, Sidra Rehman, Kalin Tintchev et Fang Yang, « Climate Challenges in Fragile and Conflict-Affected States », [Les défis climatiques dans les États fragiles et touchés par des conflits], Fonds monétaire international, 30 août 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Cycles d’escalade des menaces que le réchauffement climatique fait peser sur l’Afrique », Infographie, 17 juin 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Des cyclones et des tempêtes plus fréquents menacent l’Afrique », Infographie, 24 mai 2022.
- Francois A. Engelbrecht, Pedro M.S. Monteiro, « The IPCC Assessment Report Six Working Group 1 Report and Southern Africa : Reasons to Take Action » [Rapport d’évaluation du GIEC – Rapport du groupe de travail 1 et Afrique australe : raisons d’agir], South African Journal of Science 117, no. 11-12 (2021).
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Comment le réchauffement climatique menace a sécurité humain en Afrique », Infographie, 29 octobre 2021.
Plus sur : Environnement et sécurité Sahel Nigeria Soudan du Sud