Deux ans après l’annonce par Pierre Nkurunziza de son intention de briguer un troisième mandat de président, la crise au Burundi continue d’empirer. Le Rapport de février 2017 du Secrétaire général des Nations Unies António Guterres sur le Burundi signalait que des assassinats, des disparitions, des actes de violence sexiste et la découverte de corps sans vie se poursuivaient en plus grand nombre. Entre octobre 2016 et février 2017, plus de 200 disparitions ont été rapportées au Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, contre 77 entre avril et octobre 2016. Les découvertes de corps sont aussi en hausse, dont 22 ont été signalées pour le seul mois de janvier.
Nombre de ces violations ont été attribuées à Imbonerakure, une milice de jeunes parrainée par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, qui opère hors de la chaîne de commandement militaire et qui s’avère être un élément de plus en plus central du pouvoir du régime. Une mission d’enquête de l’Union africaine a décrit les violations par les forces de sécurité du Burundi comme étant « omniprésentes, intenses et systématiques. » Et l’enquête indépendante de l’ONU au Burundi a conclu que ces actes n’étaient pas fortuits « ou le résultat de quelques mauvais sujets mais ils émanaient de décisions et d’actes délibérés. »
Le rapport du Secrétaire général souligne également l’usage fréquent de discours de haine et d’incitations à la violence ethnique, notamment la diffusion d’un questionnaire du ministère du Service civil le 8 novembre 2016, demandant à tous les fonctionnaires de déclarer leur appartenance ethnique. Ces incidents rappellent le profilage ethnique qui a présagé aux génocides de 1972 et 1993..
Le 11 octobre 2016, fâché par la surveillance, le gouvernement de Nkurunziza a stoppé toute coopération avec les agences de l’ONU, y compris le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et la Commission d’enquête internationale sur le Burundi. Il a également rejeté le déploiement des observateurs de l’UA et refusé d’accepter une force de protection civile de l’UA de 5 000 personnes et 220 observateurs de police de l’ONU non armés.
Une crise en expansion
Malgré les déclarations du gouvernement de Pierre Nkurunziza faisant état d’une normalisation de la situation au Burundi, les faits sur place laissent penser le contraire. Durant l’année écoulée, le nombre de réfugiés Burundais a presque doublé et atteint 400 000 personnes. L’UNHCR évoque la possibilité d’un demi-million de réfugiés d’ici à la fin de l’année. De plus, le nombre de morts continue d’augmenter. Un Comité de secours international des réfugiés en Tanzanie a trouvé que 80 % des réfugiés interrogés déclaraient avoir été témoins de meurtres avant leur fuite. Des enquêtes par l’UA et l’ONU ont corroboré les rapports précédents sur l’existence de charniers et l’ONU annonce une nouvelle tendance selon laquelle des personnes sont tuées en un lieu et enterrées ailleurs pour éviter la détection. De même, certains détenus sont transférés d’une province vers une autre, parfois plusieurs fois durant une courte période, accroissant la difficulté d’enregistrer les décès et le risque de disparitions forcées. Ce risque est amplifié par l’augmentation du recrutement et des activités de l’Imbonerakure, tout particulièrement dans les provinces sensibles de Bururi, Cibitoke, Kirundo, Makamba, Muyinga, Rumonge, Rutana, et Ruyigi.
La situation humanitaire continue aussi de se détériorée. En 2016, le nombre de personne nécessitant une assistance humanitaire est passé de 1,1 million à 3 millions, soit un quart de la population, et le nombre de personne ayant besoin de protection est passé de 1,1 million à 1,8 million. Selon le Conseiller spécial de l’ONU sur le Burundi, le nombre de Burundais souffrant d’insécurité alimentaire est passé de 730 000 à 3 millions en 2017.
Les Accords d’Arusha vont-ils survivre?
Conclus sous la direction de Julius Nyerere et de Nelson Mandela, les Accords d’Arusha de 2000 ont mis fin à 12 années de guerre civile et ont été reconnus comme la meilleure possibilité pour le Burundi de trouver la paix et de rompre avec les cycles d’atrocités de masse du pays qui remontaient jusqu’à l’indépendance. Les Accords prévoyaient le partage du pouvoir, le renforcement de la coalition, la participation équitable au gouvernement, un système d’équilibre du pouvoir et l’intégration des anciens ennemis au sein d’une armée plus représentative. Outre la valeur fonctionnelle des Accords, leur symbolisme est devenu une caractéristique d’une nouvelle identité nationale burundaise en tant que société multiethnique, une identité profondément ressentie par un grand nombre de Burundais, tout particulièrement les jeunes. De plus, les Accords étaient largement perçus comme accompagnant une période de stabilité et de progrès sans précédent au Burundi – jusqu’à ce que survienne la crise de 2015. Même durant ces moments, malgré l’utilisation par le gouvernement de l’incitation ethnique, la crise n’a pas été marquée par des violences entre groupes ethniques communautaires. Au lieu de cela, la violence a été systématiquement administrée, en grande partie par le gouvernement comme moyen d’intimidation des opposants pour les pousser à la coopération. L’opposition à Nkurunziza transcende les divisions ethniques. En effet, la plupart des membres de la coalition d’opposition sont hutus, de même que la vaste majorité des réfugiées Burundais en Tanzanie, qui regroupent à présent 234 578 personnes.
Au cours des deux dernières années, il apparait de plus en plus clairement que l’un des principaux objectifs du gouvernement de Nkurunziza est de saper les Accords d’Arusha.
Toutefois, au cours des deux dernières années, il apparait de plus en plus clairement que l’un des principaux objectifs du gouvernement de Nkurunziza est de saper les Accords d’Arusha. En octobre 2015, Nkurunziza a formé la Commission du dialogue inter-burundais (CNDI) pour favoriser les discussions et résoudre la crise. Les motifs de la commission ont été mis en doute lorsqu’elle a mené une série de réunions provinciales couvrant des amendements de grande envergure à la constitution qui visaient à démanteler les Accords d’Ashura. Ces craintes ont été confirmées lorsque la CNDI a divulgué son rapport préliminaire en août 2016 recommandant la levée des limites de mandats, proposant de nouvelles directives pour la surveillance des ONG et des organisations de la société civile, et altérant les dispositions d’Arusha quant au partage du pouvoir, à la participation et à la représentation.
Répondant aux préoccupations grandissantes concernant ces changements proposés, la CNDI a déclaré que les Burundais soutenaient la constitution plutôt que les Accords d’Arusha – opinion qui faisait écho aux déclarations faites par le CNDD/FDD durant les mois qui menèrent à la décision de Nkurunziza de contester un troisième mandat en avril 2015. Durant cette période, le parti au pouvoir a déposé un projet de loi visant à réviser des dispositions-clés du partage du pouvoir ainsi que la participation et la représentation politique. La loi ayant été mise en échec par le Parlement, le gouvernement a soumis les propositions à un référendum dont l’issue fut également négative. Les propositions ont ensuite été soumises au comité central du parti, démarche qui provoqua la défection de plus d’une centaine de représentants officiels du parti en faveur de l’opposition. Ces mêmes propositions controversées apparaissent à présent dans les recommandations de la CNDI et le gouvernement a créé une Commission d’examen constitutionnelle qui les inclura dans une liste d’amendements.
Le mécontentement du CNDD/FDD au pouvoir quant aux Accords d’Arusha est antérieur à la crise actuelle. Depuis la guerre civile, certains loyalistes ont soutenu que les dispositions relatives à la surreprésentation des minorités étaient injustes et devaient être révisées. D’autres signalent régulièrement sur les réseaux sociaux que le CNDD/FDD, n’ayant pas signé les Accords d’Arusha, n’avait pas l’obligation de respecter ses dispositions. D’autres encore suggèrent que les règles de l’équilibre ethnique (60 % Hutu/40 % Tutsi dans la fonction publique et 50/50 dans le secteur de la sécurité) sont périmées. L’ex-Président d’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, l’un des principaux architectes des Accords d’Arusha, a indiqué que les Burundais “ne peuvent se permettre de démanteler les Accords d’Arusha car la guerre civile en résulterait » Plus récemment, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a mis en garde contre les amendements proposés qui risquaient d’aggraver la crise.
Restructuration de l’armée
Le professionnalisme de l’armée, ressentie comme l’une des réussites d’Arusha, s’est amélioré depuis la signature des Accords d’Arusha grâce aux années de formation internationale et de participation à des missions de paix. En conséquence, l’armée (par opposition à la police) est considérée comme étant un organe pluri-ethnique et apolitique défendant la constitution et sans aucune appartenance à un parti politique. L’expérience de l’armée a été démontrée durant les premiers mois de la crise, lorsque les troupes, déployées pour réprimer les émeutes, ont refusé de tirer sur la foule et, se sont positionnées entre les protestataires, la police et l’Imbonerakure, essuyant même des pertes parmi leurs effectifs.
Toutefois, l’examen constitutionnel du gouvernement est allé de pair avec de profonds changements dans l’armée. Un nouveau projet de loi du Sénat donne un nouveau nom à l’armée, réorganise ses structures de commandement internes et crée de multiples services, notamment des unités de réserve et un service national pour les jeunes. Beaucoup craignent que des forces auxiliaires permettent au régime d’inclure l’Imbonerakure et d’autres milices au sein des forces régulières.
La réorganisation militaire est évidemment une initiative du régime visant à accroitre le contrôle sur la situation apolitique de l’armée.
La réorganisation militaire est évidemment une initiative du régime visant à accroitre le contrôle sur la situation apolitique de l’armée. Suite au coup d’état manqué de 2015, des tentatives d’élimination de la déloyauté au sein de l’armée ont été perçues comme ayant particulièrement visé les officiers tutsi, minant le niveau de confiance entre les anciens membres, surtout tutsis, des Forces armées du Burundi (FAB) et les anciens membres, à majorité hutu, des Parties et des mouvements armées (PMPA). Des anciens membres des FAB ont exprimés leurs plaintes de perquisitions, enlèvements, arrestations et meurtres de leurs membres par des éléments de l’Imbonerakure. Ces tensions ont été également soulignées par une série de meurtres d’officiers de haut niveau émanant des deux côtés, notamment l’assassinat d’un ancien chef d’état-major (ex-FAB) et la tentative d’assassinat du chef d’état-major actuel (ex-PMPA). En janvier, l’UNHCR a annoncé qu’il craignait une augmentation des demandeurs d’asile de membres de l’armée burundaise car plusieurs dizaines d’officiers détachés à l’étranger, tout particulièrement des membres de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), avaient déserté après leurs périodes d’affectation.
Exigence d’un plan de paix renouvelé
Malgré un environnement fortement polarisé, l’opposition à Nkurunziza reste multi-ethnique et la population a su, jusqu’à présent, résister à l’incitation ethnique du gouvernement. De l’avis général des Burundais, les principes d’Arusha offrent la voie la plus sûre vers la paix, la justice et la responsabilisation. Toutefois, ces objectifs ne peuvent se réaliser sans un plan de paix renouvelé, inclusif et participatif, reposant sur les Accords d’Arusha. En outre, tout nouveau plan de pays exigera un fort engagement externe, particulièrement par les pays d’Afrique de l’Est qui ont absorbé plus de 400 000 réfugiés, et qui pourraient se trouver mêlés à l’instabilité croissante du Burundi. Comme c’est le cas pour les Accords d’Arusha, la réussite ne sera possible sans une application cohérente de mesures convaincantes et coercitives par des partenaires externes et un partage des attentes parmi les leaders régionaux s’exprimant d’une même voix.
Expert du DESA
Joseph Siegle, Directeur de la recherche
Ressources complémentaires
- Joseph Siegle, « La crise politique et la détérioration du secteur de sécurité au Burundi », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, 10 décembre, 2015.
- Nicole Ball, « Leçons à retenir du processus de réforme du secteur de la sécurité au Burundi », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Bulletin de la sécurité africaine N° 29, novembre 2014.
- Thierry Vircoulon, “Insights from the Burundi Crisis II: An Army Divided and Losing Its Way,” International Crisis Group, 2 octobre 2015.
- Paul Nantulya, « Arrêter l’engrenage de la violence au Burundi », À la une, Centre d'études stratégiques de l'Afrique, 28 janvier 2016.
- Paul Nantulya, « Burundi : ce qui fait l’importance cruciale des accords d’Arusha », À la une, Centre d'études stratégiques de l'Afrique, 5 août 2015.
En plus: Démocratisation Gouvernance du secteur de la sécurité Identité et Conflits Prévention ou atténuation des conflits Burundi État de droit