Burundi : la crise continue


Burundi-11aLa crise au Burundi a pris une tournure dangereuse lorsqu’après des semaines de contestation populaire, un groupe d’officiers haut gradés a tenté sans succès de renverser le président Nkurunziza, candidat à un troisième mandat à la tête du pays. Depuis lors, les protestataires sont redescendus dans les rues et ont déclaré leur volonté de poursuivre leur action jusqu’au règlement de la question du troisième mandat. L’un des chefs du mouvement de protestation a bien exprimé ce sentiment en disant que la tentative de coup d’État était « une interruption fâcheuse » qui avait détourné l’attention de « la question centrale de la gouvernance et de la nécessité de rétablir les principes de l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha ». Dans certains quartiers, des manifestants arborent des pancartes sur lesquelles on peut lire « Non à un coup d’État et non à un troisième mandat ».

Les efforts diplomatiques de règlement de la crise se sont intensifiés après la tentative de coup d’État. La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui réunit le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda et le Burundi, a nommé un Comité d’experts éminents pour collaborer avec un Comité des sages du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et se rendre au Burundi pour y tenir des consultations avec le gouvernement, les militaires, la société civile et l’opposition politique. Des ministres de pays membres de la CAE se rendront dans des camps de réfugiés qui accueillent des Burundais au Rwanda et en Tanzanie pour évaluer leurs besoins sur le plan humanitaire.

Burundi-6a1Cette crise survient dans le contexte d’une réduction de l’espace démocratique. Tous les médias privés ont été fermés ou détruits pendant les affrontements. Les protestataires risquent toujours l’arrestation. La société civile, l’opposition politique et les dissidents au sein du CNDD-FDD, parti au pouvoir, maintiennent que la Constitution et l’accord d’Arusha sur laquelle elle est fondée limitent le nombre de mandats présidentiels à deux. Les partisans du président Nkurunziza soutiennent que le premier mandat de celui-ci ne compte pas parce qu’il avait été nommé par le Parlement. Les présidents de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie, qui avaient fait conjointement office de médiateurs pendant les négociations de l’accord d’Arusha, ont invité le président Nkurunziza à se retirer. L’Union africaine et les chefs d’État de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont lancé un appel en faveur d’un report des élections en disant que l’environnement actuel au Burundi n’était pas propice à un processus électoral libre et équitable.

La promesse d’Arusha menacée

Le modèle encore fragile d’inclusion politique, de tolérance et de gouvernance démocratique créé par l’accord d’Arusha risque de s’effriter. Signé en 2000, cet accord avait mis fin à une guerre civile sanglante longue de 13 ans et créé un cadre de gouvernance démocratique, de nouvelles institutions nationales inclusives et, pour la première fois depuis l’indépendance, une armée vraiment nationale qui transcendait les divisions ethniques et suscitait l’admiration des Burundais pour son professionnalisme et sa neutralité. Les forces armées burundaises fournissent également une contribution importante aux opérations de maintien de la paix à travers le continent, ce qui indique en soi qu’elle a surmonté des décennies de divisions sectaires dans ses rangs.

La société civile burundaise, formée d’une coalition multiethnique de groupes citoyens, défend ce qu’elle appelle la « promesse d’Arusha ». Les protestataires, qui s’identifient eux-mêmes collectivement comme le « mouvement d’Arusha », considèrent la crise actuelle comme un combat plus vaste pour préserver l’espace démocratique et amplifier les progrès effectués par le pays pour créer une société plus inclusive.

Leur désaccord avec le gouvernement date d’avant la crise actuelle. Au début 2014, le plus grand groupement de la société civile burundaise, le Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), coalition comptant plus de 200 organisations membres, s’est allié aux parlementaires de l’opposition pour faire échouer la tentative du parti au pouvoir de réviser la constitution pour permettre au président de briguer se porter candidat pour un troisième mandat. Cette même coalition a bloqué la tentative du gouvernement de soumettre cette question à un référendum.

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Ces deux voies étant fermées, il ne restait plus au CNDD-FDD qu’à justifier la désignation du président Nkurunziza comme son candidat – mais pas avant d’avoir perdu plusieurs de ses membres haut placés qui avaient recommandé à leur leader de ne pas briguer un troisième mandat et avaient été exclus en conséquence. Par ailleurs, l’influente Conférence des évêques catholiques du Burundi a publié une rare déclaration qualifiant d’inconstitutionnelle la candidature du président pour un troisième mandat.

La Conférence des évêques a également menacé de demander aux catholiques de démissionner de la Commission électorale nationale si le président ne retirait pas sa candidature pour l’élection présidentielle qui doit se tenir le 26 juin. La menace de la violence modère les protestations de la société civile. La ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure (« ceux qui voient loin ») est soupçonnée d’avoir attaqué et harcelé des membres de l’opposition et des civils. Selon certaines informations, elle aurait été armée et intégrée dans des unités de police et de renseignement et elle serait opérationnelle à travers tout le pays.

Burundian refugees in Rwanda

Refugiés du Burundi au Rwanda

D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 100 000 Burundais ont fui leur pays depuis la tentative de coup d’État, s’ajoutant aux 70 000 qui étaient déjà partis pendant les semaines précédentes. L’ONU s’attend à ce que ce nombre continue d’augmenter tant que la menace de violence persistera. Le HCR a précisé qu’un grand nombre de ces réfugiés ont déclaré avoir fui le recrutement et les actes d’intimidation dont se seraient rendus coupables les Imbonerakure. En avril, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a émis une mise en garde contre l’accroissement « d’exemples extrêmes de discours haineux ».

Les acteurs clés pour gérer la crise

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Drapeau du partie CNDD-FDD

Nombre de gens se demandent si l’expérience multiethnique du Burundi est assez résiliente pour surmonter la crise actuelle. Jusqu’à présent, les formules de partage du pouvoir prévues dans l’accord d’Arusha étaient les fondements de la structure et de la composition de toutes les branches du gouvernement et de l’arrangement multiethnique. Suite à l’éclatement de la coalition du CNDD-FDD au pouvoir, il faut s’attendre à ce que la société civile subisse de fortes tensions pour conserver son caractère multiethnique. Elle y est parvenue pour l’instant, comme en témoigne le fait que des habitants des quartiers hutus et tutsis participent aux protestations. Comme l’a fait remarquer un leader de la société civile, « ce n’est que par l’élargissement de l’espace démocratique que les divisions ethniques seront atténuées ».

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L’armée est l’autre institution que tous les Burundais continuent d’observer avec attention. Avant le coup d’État, elle s’était attiré des éloges car elle était restée neutre, protégeait les protestataires et s’était abstenue de tout rôle antiémeute. Ce professionnalisme provient en partie du Programme de développement du secteur de la sécurité du Burundi qui a contribué à poser les fondements d’une culture de service et d’un esprit de corps nouveaux et inclusifs. Beaucoup de gens craignent que les affrontements entre les factions de l’armée lors de la tentative de coup d’État aient porté atteinte à cette confiance. Il s’exprime de graves préoccupations pour la cohésion de l’armée du haut en bas de la hiérarchie, qui a été mise à rude épreuve, étant donné que cette institution importante, considérée précédemment comme un symbole de l’intégration multiethnique, se retrouve aujourd’hui prise dans un environnement politique de plus en plus susceptible de créer des divisions.

Les voisins du Burundi et la région dans son ensemble ont également des responsabilités pour ce qui est d’atténuer la crise. La Tanzanie fut l’architecte de l’accord d’Arusha tandis que les négociations ayant abouti au cessez-le-feu et aux accords ultérieurs se sont tenues sous les auspices de l’Afrique du Sud. Il y a donc lieu de penser que ces deux pays ont particulièrement intérêt à faciliter une transition pacifique. L’Ouganda, le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie ont joué le rôle de garants du processus et, s’ils collaborent avec l’Union africaine, sont bien placés pour mener des actions diplomatiques préventives. Il ne faut pas non plus oublier le rôle du Rwanda étant donné que ce pays est de composition ethnique similaire à celle du Burundi et que les enseignements tirés de son histoire ont une résonance culturelle. Les voisins du Burundi et la communauté internationale dans son ensemble sont donc des acteurs influents pour élaborer les normes et les principes de gouvernance qui définiront l’avenir de ce pays.

saluteLe plus grand espoir du Burundi réside dans les efforts qu’il déploie pour s’écarter des pratiques d’exclusion de son passé tragique et créer une société nouvelle. L’ethnicité n’a jamais été un problème en soi : les Hutus, les Tutsis et les Twas, leurs cousins, ont en commun une même langue et une même culture. C’est plutôt la manipulation politique de leurs différences identitaires qui a entraîné des conflits extrêmes entre ces groupes et, à terme, le génocide. Quinze ans après la signature de l’accord d’Arusha, le Burundi se retrouve une fois encore à la croisée des chemins entre la paix et la violence.

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ACSS Experts

[Photos: Africa Center for Strategic Studies, US Army Africa, MrPenguin20, US Department of Defense]