Le Département d’État américain a honoré le Dr Assis Malaquias du Centre de l’Afrique en lui remettant un prix en reconnaissance de ses contributions uniques pour faire progresser les efforts de sécurité maritime en Afrique. DrMalaquias est responsable du portefeuille de la sécurité maritime du Centre de l’Afrique depuis 2009. En cette qualité, il a organisé de nombreuses discussions avec les gouvernements africains et les Communautés Economiques régionales sur le renforcement de l’architecture de sûreté maritime collective de l’Afrique. Ces efforts ont contribué à la Déclaration de Yaoundé du mois de juin 2013 et le « Code de Conduite Relatif à la Répression de la Piraterie, du Vol à main armée des Vaisseaux aux Activités Maritimes Illicites en Afrique Occidentale et Centrale » dans laquelle 26 chefs de gouvernement des états de l’Ouest et du centre de l’Afrique ont convenu de formaliser leur coopération sur les questions de sûreté maritime. Pour marquer l’occasion, Dr Malaquias se penche sur l’état actuel des efforts de sécurité maritime sur le continent :
1. Pourquoi la sécurité maritime est si cruciale au développement et à la sécurité économiques de l’Afrique ?
Le littoral de l’Afrique est d’environ 26 000 miles nautiques. Sa masse terrestre d’environ 11 724 000 miles carrés est limitée de tous les côtés par la mer – l’Océan Atlantique à l’ouest, la Mer Méditerranée et la Mer Rouge au Nord, et l’Océan Indien à l’Est. Historiquement les états côtiers pré-coloniaux du continent et les empires de l’arrière-pays ont développé des marines puissantes et de fortes cultures maritimes, y compris la dynastie Gobroon en Somalie, le Royaume d’Axoum en Erythrée, et le Royaume du Kongo en Angola. Le commerce et la sécurité de la région en ont été facilités. En dépit de cette géographie particulière et d’une puissante association historique avec la mer, la connaissance du domaine maritime des États côtiers de l’Afrique reste faible aujourd’hui. Cette faiblesse a été exploitée par les trafiquants de stupéfiants, d’armes, les migrants, et la faune ainsi que les pirates qui ont attaqué les vaisseaux qui traversent le continent. Le commerce africain est devenu plus coûteux et moins économique. L’absence de sécurité adéquate dans les espaces maritimes de l’Afrique a également fait que le continent a dû supporter des taux de pêche illégale les plus élevés au monde.
2. Pourquoi la connaissance du domaine maritime est absente du continent africain et que faire pour changer la situation ?
Il s’agit de la perception de la sécurité, ainsi que de la nature de l’État africain moderne. D’après les planificateurs militaires et les décideurs, les domaines qui ont besoin d’être protégés sont : les frontières terrestres et le siège du pouvoir. Les Forces armées africaines sont organisées en conséquence. Le domaine maritime est une réflexion après coup. Il n’est pas perçu comme étant vital pour l’intégrité territoriale ou la survie du régime. La sécurité maritime est donc l’un des domaines les plus négligés de la formulation africaine de la politique sur la sécurité nationale. Même le vaste potentiel économique du domaine maritime ne se traduit pas dans le calcul de la plupart des dirigeants africains. Les pays, tels que le Nigéria, le Mozambique et l’Angola ont commencé à modifier leur façon de penser après les découvertes de pétrole et de gaz naturel au large des côtes, toutefois, même ces facteurs-là n’ont pas été pris entièrement en compte dans les stratégies globales de sécurité maritime.
3. Quelles mesures doivent être prises pour changer les perceptions de la réflexion sur la sécurité ?
Les États africains commencent lentement à se rendre compte que leur développement continu est intimement lié à la mer. Toutefois, la transition correspondante dans la pensée politique n’est pas là où elle devrait se trouver. Cette situation va changer. La croissance démographique du continent associée au paysage démographique a déjà une incidence sur la sûreté nationale voire même le régime. Les manifestations populaires que nous voyons aujourd’hui illustrent l’incapacité de fournir des moyens de subsistance et des possibilités d’emplois pour les plus jeunes. L’augmentation de la population jeune est devenue une réalité. Pour la plupart, l’absence de développement est considérée comme résultant du manque de démocratie. Les pays africains devront donc devenir plus sérieux au sujet de la prestation de services et del’augmentation de la cadence du développement et ces deux tâches ne peuvent pas être exécutées sans exploiter le domaine maritime.
Pour de nombreux pays africains, tels le Gabon, le Mozambique, le Kenya, la Tanzanie et le Cameroun, cela signifie la protection du pétrole offshore vulnérable et d’autres ressources naturelles d’origine maritime. Le domaine maritime est également vital pour la sécurité alimentaire en Afrique. Bien que les poissons puissent représenter une énorme quantité de l’apport quotidien en protéines sur le continent, les stocks de poissons ne sont pas sécurisés correctement. Entre-temps, la part des protéines fournies par le poisson en l’Afrique est la plus basse au monde. Cette absence de sécurité alimentaire, dans un environnement caractérisé par une mauvaise gouvernance, un développement asymétrique, le manque de prestation de services, et l’augmentation de la jeunesse est une source majeure d’insécurité et ce n’est plus qu’une question de temps avant que des changements soient opérés dans le calcul de la sécurité et de la survie sur le continent.
Pour combler les lacunes en matière de sécurité maritime, le point de départ s’adresse aux planificateurs de sécurité pour qu’ils tiennent compte du concept d’une « économie bleue ». Le domaine maritime, dans ce nouveau type de pensée de sécurité, est une importante source d’énergie, de nourriture, et pour le développement économique. Au Kenya, par exemple, le tourisme est la deuxième plus importante source de revenu du pays. Le domaine maritime représente plus de la moitié de ces revenus. Dans l’« économie bleue », l’importance des voies de navigation, le passage des importations et des exportations, la sécurité des lignes de communication maritimes, la prévention et la gestion des déversements de pétrole, l’exploitation sécurisée des plates-formes pétrolières, et la nécessité de préserver la pêche sont des considérations importantes.
4. Que font les Communautés Économiques Régionales pour combler les lacunes en sensibilisation et gestion du domaine maritime ?
En 2012, l’Union Africaine a adopté un document important, la Stratégie Africaine Intégrée pour les Mers et les Océans – horizon 2050 (AIM). Ce document stipule trois annonces politiques importantes. Premièrement, il reconnaît l’importance vitale du domaine maritime de l’Afrique en déclarant que 38 pays africains sont des États côtiers ou de navigation intérieure. Entre-temps, 52 de plus d’une centaine d’installations portuaires de l’Afrique ont accommodé la manutention de conteneurs et diverses formes de fret maritime. Deuxièmement, il stipule que de nombreux navires, ports et chantiers navals offrent des milliers d’emplois aux Africains et, en conséquence, toute perturbation dans le système maritime de l’Afrique peut avoir des répercussions économiques désastreuses. Troisièmement, il reconnaît que le poisson apporte une contribution essentielle à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de plus de 200 millions d’Africains et assure un revenu à plus de 10 millions de personnes.
Ceci a des implications directes sur les quelques 46 pour cent des Africains qui vivent dans la pauvreté absolue. En utilisant les trois annonces en tant que base pour l’engagement, AIM 2050 crée un cadre prioritaire des défis que les pays africains doivent relever et les oblige à réfléchir globalement sur leurs domaines maritimes.
Les Communautés économiques régionales (REC) ont développé leurs propres stratégies de sécurité maritime en ligne avec AIM 2050. En 2008, la Communauté Économique des États d’Afrique centrale (ECCAS) a adopté une stratégie de sécurité et de sûreté maritime qui vise à assurer la sécurité en protégeant les ressources pétrolières en mer, la pêche et les routes maritimes. La Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) lui a emboîté le pas en 2011 comme l’a fait la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (ECOWAS) en 2014.
Les REC, à leur tour, sont censés fournir un cadre pour les stratégies de niveau national et, le travail à cet égard est déjà en cours. Les 11 pays membres de la SADC ont, par exemple, signé des accords de coopération lors de la réunion du 20ème Comité Permanent Maritime tenue à Lusaka, Zambie en avril 2014. Sont inclus des accords visant à établir des centres de sensibilisation de domaine maritime (MDAC) au Mozambique et en Tanzanie qui seront liés aux MDAC existants à Durban et Cape Town. En outre, un accord de coopération entre le Botswana, le Lesotho, la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi est en cours de finalisation, comme c’est le cas pour une coopération maritime entre l’Afrique du Sud, l’Angola et la Namibie.
Il reste encore beaucoup à faire en termes d’actifs, des capacités et des tactiques maritimes ainsi que avec le renforcement des dispositions juridiques, législatives et institutionnelles, mais on peut affirmer sans risque que la nouvelle pensée normative sur la sécurité et la sûreté maritime est en train de prendre racine grâce à ces efforts continentaux et régionaux.
5. Quelles sont les meilleures pratiques qui émergent et quelles sont les perspectives qu’elles appuieront ?
La notion centrale de l’AIM 2050 est que la sécurité est tributaire du développement. Les REC tentent de concrétiser cette réflexion en établissant des zones maritimes pouvant faciliter l’organisation de l’espace maritime partagé. ECCAS a ouvert la voie en 2009 en activant le Centre de Coordination Régional pour la Sécurité Maritime en Afrique Centrale (CRESMAC) à Pointe-Noire, République du Congo. Ce Centre de Coordination est responsable du commandement de trois centres de coordination multinationale (CMC) un par zone maritime d’Afrique Centrale : Zones A, B et D, couvrant l’Angola à la pointe sud du Cameroun à l’extrémité nord de la zone. Les marines de ces pays partagent des informations, coordonnent les activités anti-piratage, et ont autorisé des protocoles prévoyant la poursuite mutuelle des navires suspects à travers les frontières maritimes. Le CMC pour la zone D, par exemple, coordonne les efforts anti-piratage par les marines du Cameroun, la Guinée Équatoriale, le Gabon et Sao Tomé-et-Principe. Cette collaboration a donné des résultats tangibles à savoir, une réduction de la criminalité maritime et de la prise d’otages, ainsi que plus de 17 citations pour pêche illégale entraînant de lourdes amendes au Cameroun uniquement.
Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette expérience. Tout d’abord, aucun pays n’est en mesure de résoudre les menaces maritimes seul. Il est impossible que le Cameroun, par exemple, puisse lutter contre la piraterie sans la collaboration de la Guinée équatoriale et du Gabon. Les actifs nationaux doivent, d’une part être synchronisés et coordonnés et d’autre part, être interopérables. Deuxièmement, les ressources de sécurité sont insuffisantes. Pour être efficaces, les opérations maritimes régionales doivent mettre en commun des ressources et de l’expertise. Troisièmement, des cadres juridiques sont indispensables. La leçon de l’ECCAS est que les principes énoncés dans AIM 2050 et dans les CMC doivent être intégrés aux législations nationales pour permettre la coordination maritime régionale.
Le modèle de l’ECCAS a été reproduit par l’ECOWAS tant au niveau régional qu’aux niveaux nationaux. Cette organisation régionale a établi des zones maritimes semblables dans les eaux ouest-africaines : zones E, F et G, s’étendant du Nigéria au Sénégal.
En Afrique orientale, le problème de la piraterie dans le Golfe d’Aden et l’Océan Indien a été largement abordé par le groupe d’intervention navale des 25 pays. Cette solution n’est toutefois pas durable. Pour ce faire, il faudra renforcer les cadres de coordination et de collaboration maritime entre la Tanzanie, le Kenya et le Mozambique. En l’absence d’une puissante coopération régionale, toute une panoplie de menaces de sûreté maritime ré-émergera certainement et exposera cette vulnérabilité.
Experts
- Raymond Gilpin, Doyen, Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique
Lire en plus
- Assis Malaquias, “Africa’s Maritime Safety and Security Challenges,” presentation au Programme pour la prochaine genération de dirigeants africains du secteur de la sécurité, 27 octobre 2014
- Adeniyi Adejimi Osinowo, “La lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée,” Bulletin de la sécurité en Afrique No 30, Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, fevrier 2015
- Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, Gulf of Guinea Maritime Safety and Security Primer, avril 2015
- Liesel Louw, “What does ensuring SADC’s maritime security mean for South Africa?” Institute for Security Studies, 16 avril 2014
- Thierry Vircoulon, “Gulf of Guinea: A Regional Solution to Piracy?” International Crisis Group, 4 septembre 2014
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