Au Burundi, l’adoption, dans un référendum controversé tenu en mai 2018, de changements radicaux à presque un tiers des articles de la Constitution de 2005, met le parti CNDD/FDD au pouvoir au bord d’un objectif qu’il a longtemps voulu : l’abolition de l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha de 2000.
Arbitrés par les anciens présidents Julius Nyerere de Tanzanie et Nelson Mandela d’Afrique du Sud, les Accords d’Arusha ont mis fin aux cycles de violence que le Burundi a connus depuis les années 60 jusqu’aux génocides de 1972 et 1991, et la guerre civile de 1993–2005. Les Accords avaient intégré des systèmes qui garantissaient le respect des minorités politiques, le partage du pouvoir entre les partis et une gouvernance inclusive. En abolissant ces systèmes, le CNDD/FDD a resserré son contrôle sur l’appareil de l’état et supprimé les mécanismes conçus pour le tenir responsable. Il va maintenant gouverner pratiquement incontesté.
La Communauté d’Afrique de l’Est, qui accueillait des négociations de paix sur le Burundi, ainsi que les garants internationaux des Accords d’Arusha, c’est à dire l’Union Africaine, l’Union Européenne, et les Nations unies —ont refusé d’envoyer des observateurs pour le referendum
La communauté de l’Afrique de l’Est (CEA), qui préside les pourparlers de paix sur le Burundi, ainsi que les garants multinationaux des accords d’Arusha — l’Union Africaine (UA), l’Union Européenne (UE) et les Nations Unies (ONU) — n’ont pas envoyé leurs observateurs pour le référendum. Ceci, et le fait que le référendum ait eu lieu malgré le déplacement de plus de 500 000 Burundais, qui n’ont pas pu participer au vote et qui se sentent presque tous menacés par le gouvernement, soulèvent des questions sur la légitimité du référendum.
De plus, le climat d’intimidation et de violence en a fait une compétition déséquilibrée. Les partis qui restent de l’opposition interne du Burundi, se sont largement tenus à l’écart du processus référendaire et ont accusé le gouvernement d’intimidation massive des électeurs. Lors du lancement de la campagne référendaire en décembre 2017, le président Pierre Nkurunziza a menacé de « corriger » ceux qui s’opposaient à cet exercice. « Toute personne qui s’y oppose… devra faire face à Dieu. … Mais je sais que certaines personnes sont sourdes à ces messages. Laissez-les essayer. » De la même manière, Désiré Bigirimana, administrateur de la municipalité de Gashoho, a déclaré lors d’un rassemblement en février : « Quiconque viendra vous dire autre chose qu’un « oui » au référendum, ou quelque chose de différent de ce que dit le président Pierre Nkurunziza, devrait être lynché. Est-ce clair ? »
Tout au long de la campagne et pendant le vote, la milice ethnique des jeunes du CNDD/FDD, les Imbonerakure, espionnait les opposants réels ou supposés, harcelait la population, menait des opérations de police illégales et procédait au recrutement forcé, dans plusieurs cas par la torture, pour le parti au pouvoir. Ceci a été corroboré par des interviews de témoins oculaires, menées par Human Rights Watch, qui ont également documenté de nombreux abus commis entre décembre 2017 et mars 2018, notamment des enlèvements, des viols et des meurtres commis par des membres de la police, des services de renseignement, de l’armée et des Imbonerakure. Ces atrocités se sont étendues au‑delà des frontières, où des réfugiés burundais ont été surveillés, menacés, enlevés et tués dans certains cas par des individus soupçonnés d’être membres des Imbonerakure. Le pire épisode de violence s’est produit une semaine avant le vote, lorsque des hommes armés non identifiés ont massacré au moins 24 personnes dans un village du nord-ouest du Burundi.
Les inquiétudes au sujet de la crédibilité du référendum existaient depuis quelque temps. Au début du mois de mai, le président de la Commission de l’UA, Musa Faki, a écrit au président de l’EAC et médiateur du dialogue inter-burundais, le président ougandais Yoweri Museveni, l’avertissant que le référendum aggraverait la crise burundaise. Des avertissements similaires ont été émis par l’UE, l’ONU et l’UA.
Une action judiciaire contestant le référendum fut rejetée par la Cour constitutionnelle, qui avait été remplie de loyalistes de Nkurunziza depuis que son vice-président avait été contraint à l’exil en 2015 pour avoir refusé d’approuver la décision du président de se porter candidat pour un troisième mandat. Les changements constitutionnels demandés lors du référendum sont entrés en vigueur le 6 juin. Les explosions et les tirs se produisent maintenant avec une plus grande fréquence. Depuis la promulgation des nouvelles lois, les observateurs locaux ont documenté plus de disparitions et de meurtres, y compris des décapitations et des corps abandonnés dans des lieux publics, certains d’entre eux ayant les mains liées. Les attaques des Imbonerakure envers la population se sont poursuivies, notamment mi-juin, causant huit morts parmi la population civile. Les Burundais continuent de fuir l’intensification de la violence, en s’ajoutant aux 500 000 citoyens qui se sont réfugiés dans les pays voisins et aux 175 000 qui ont été déplacés à l’intérieur du pays. Les pourparlers de paix de la CAE restent suspendus et les garants des Accords d’Arusha réfléchissent à la marche à suivre.
Comment les résultats du référendum affaiblissent-ils les Accords d’Arusha ?
Le référendum a révisé 90 des 307 articles de la Constitution de 2005, touchant les protocoles des Accords d’Arusha qui avaient mis en place des mécanismes pour éviter le génocide, sauvegarder la démocratie et assurer la sécurité. En vertu de ces règles, les révisions constitutionnelles ne pouvaient être adoptées qu’avec le consentement des quatre cinquièmes de l’Assemblée nationale et des deux tiers du Sénat, majorités que le parti au pouvoir n’a pas pu obtenir en 2014 et 2015. Arusha avait mis ces contrôles en place principalement pour s’assurer que le parti au pouvoir ne pourrait pas utiliser sa majorité pour dominer les autres branches du gouvernement. Cependant, le CNDD/FDD a pu les contourner en soumettant ses amendements à un référendum dont il pouvait contrôler le résultat.
Ces changements confèrent au CNDD/FDD le contrôle absolu du pouvoir exécutif.
Ces changements confèrent au CNDD/FDD le contrôle absolu du pouvoir exécutif, lui donne de nouveaux pouvoirs d’adoption de lois sans risque de résistance législative, supprime les garanties permettant une plus grande participation et représentation des minorités politiques et ethniques et affaiblit les systèmes de contrôle et de contrepoids.
Les directives présidentielles remplacent maintenant les règles parlementaires, contrairement aux dispositions des Accords d’Arusha qui garantissaient l’indépendance du pouvoir législatif. De surcroît, en vertu de la nouvelle constitution, tout projet de loi adopté par le parlement est automatiquement annulé si le président n’y consent pas dans les 30 jours. Toujours dans le but de prouver la domination du pouvoir exécutif, un décret présidentiel émis après le référendum déclarait que le parlement n’a besoin que d’une majorité simple pour adopter des révisions constitutionnelles, modifier les lois, approuver les membres de la commission électorale et changer les règles électorales. En effet, le parlement a voté tous les changements constitutionnels à la majorité simple, selon les directives de l’ordre présidentiel. Les amendements constitutionnels réduisent davantage le dynamisme du pouvoir législatif en exigeant des partis minoritaires qu’ils obtiennent 5 % du vote national avant d’être représentés au parlement, en hausse du seuil de 2 % inscrit dans les Accords d’Arusha pour permettre aux petits partis de participer au processus politique.
Les Accords d’Arusha ont également encouragé le caucus indépendant, un outil qui a permis aux candidats indépendants de former des coalitions interethniques afin de promouvoir une compétition politique fondée sur des principes. Ces groupes constituaient une nouveauté au sein du système politique burundais grâce auquel les citoyens pouvaient participer au processus politique basé sur mérite individuel et non sur l’appartenance à un parti politique. Ils sont devenus une alternative populaire aux partis traditionnels du Burundi et ont pris la forme de coalitions qui ont séduit les jeunes électeurs. Toutes les coalitions indépendantes existantes au Burundi sont multiethniques, ce qui a, au fil du temps, contribué à promouvoir la réconciliation. Cependant, la nouvelle constitution impose de nouvelles conditions strictes sur le caucus indépendant. Les individus sont maintenant obligés de rompre tous les liens politiques et d’attendre trois ans et de soumettre la preuve qu’ils l’ont fait avant de former des coalitions. Les principaux opposants du gouvernement, qui agissent tous en tant que coalitions multiethniques, seront automatiquement exclus des élections de 2020 par cette disposition. La règle interdit également aux personnes ayant la double nationalité de se présenter aux élections, même si elles renoncent à leur seconde nationalité. Cette règle exclura les exilés, y compris les délégués qui ont participé aux pourparlers de paix menés par la CAE, ainsi que les éventuels candidats au sein du CNDD/FDD.
La Constitution de 2005 exigeait des quotas ethniques au sein du gouvernement et des militaires pour équilibrer la représentation Hutu et Tutsi (63 % de Hutu et 33 % de Tutsi au parlement, 67/33 au pouvoir exécutif et 50/50 au sein de l’armée. Ces quotas n’ont pas été modifiés dans la nouvelle constitution, mais ils ont été rendus impossibles à maintenir à cause de la suppression des quatre garanties fondamentales des Accords d’Arusha : le veto législatif, les seuils parlementaires, les modalités d’une représentation équilibrée et inclusive, et les règles de proportionnalité. En vertu des Accords d’Arusha et de la Constitution de 2005, les quotas avaient été attribués et appliqués conformément à ces règles. Maintenant qu’ils ont été retirés, les nombres et les pourcentages censés constituer ces quotas seront désormais décidés par une directive présidentielle. Cela encouragera le favoritisme puisque l’alignement sur le gouvernement sera un critère d’attribution des quotas. De plus, le parlement contrôlé par le CNDD/FDD s’est vu accorder de nouveaux pouvoirs pour les réviser tous les cinq ans.
À quoi s’attendre
Le paysage gouvernemental qui a été redessiné au Burundi favorise la répression qui a déclenché la crise politique qui dure depuis avril 2015, lorsque Nkurunziza avait annoncé qu’il se présenterait aux élections pour la troisième fois. Les articles de la constitution qui interdisaient les restrictions à la Déclaration des droits ont été supprimés, les perquisitions policières sans mandat sont désormais autorisées par la loi et les clauses prévoyant la remise des personnes accusées de crimes contre l’humanité ont été supprimées.
La disposition d’avoir deux vice-présidents, l’un du parti au pouvoir et l’autre de l’opposition, a été remplacée par un vice-président faible de l’opposition et un puissant premier ministre du parti au pouvoir. Dans le cadre des arrangements d’Arusha, le bureau exécutif était composé d’un président et de deux vice-présidents égaux, l’un du parti présidentiel et l’autre de l’opposition. En vertu des nouveaux arrangements, le président choisira un puissant premier ministre de son parti et un vice‑président faible et largement cérémonial de l’opposition. La création d’une fonction de Premier ministre est largement perçue comme une tentative de concilier des rivaux pour la présidence du CNDD/FDD, mais elle ne fait que formaliser le déséquilibre de pouvoir qui s’est produit lorsque les deux vice-présidents burundais ont fui le pays en 2015. Alors que le parti au pouvoir contrôle désormais fermement l’exécutif, les mandats présidentiels ont été portés à sept ans, permettant à Nkurunziza, qui est au pouvoir depuis 2005, de se faire réélire en 2020 et 2027.
La crise en spirale du Burundi s’étend également à l’armée, dont la réforme était autrefois considérée comme un succès des Accords d’Arusha. Une grande purge des membres de l’armée perçus comme s’opposant aux efforts de Nkurunziza pour contourner les limites de mandats constitutionnels, a été entreprise, provoquant des vagues de défections, des assassinats de représailles et même des fusillades à l’intérieur des installations militaires. De nombreux transfuges ont rejoint les groupes rebelles qui luttent contre les forces gouvernementales.
Dans le but de renforcer la loyauté dans les rangs, les anciens commandants de la guerre civile dominent maintenant l’organe suprême du CNDD/FDD, le Conseil des sages, ainsi que le Conseil national de Sécurité et le ministère de la Défense. Ces partisans du parti, dont beaucoup sont sous le coup des sanctions de l’UE, de l’ONU et des États-Unis, n’occupent pas de position officielle dans la fonction publique mais exercent des chaînes de commandement parallèles qui contournent le ministère de la défense. Selon les rapports de l’ONU, c’est à travers eux que des instructions sont données aux Imbonerakure et à d’autres branches de l’appareil coercitif de l’État, tel que les renseignements généraux et la police. Cette politisation manifeste a été renforcée par des amendements qui rebaptisent l’armée, réorganisent son commandement et créent une force de réserve que beaucoup craignent d’y voir incorporer les Imbonerakure. Selon les enquêteurs de l’UA et de l’ONU, cette milice est désormais au centre des opérations de sécurité du régime et est impliquée dans de graves violations des droits humains.
Les purges du régime ont également des connotations ethniques, car elles visent principalement les membres tutsis des anciennes Forces armées du Burundi (FAB). Ceci en dépit du fait que beaucoup de ceux qui s’opposaient à un troisième mandat de Nkurunziza étaient des membres hutu des anciens partis et mouvements armés (PMPA), qui sont dominés par le CNDD/FDD. La politisation continue de l’armée est importante car la stabilité du Burundi entre 2005 et 2015 a été largement soutenue par le professionnalisme de l’armée, par une représentation équilibrée et l’opinion largement répandue que l’armée était suffisamment indépendante pour résister à la manipulation des hommes politiques. Cela a été démontré lors des manifestations contre le troisième mandat, lorsque les soldats protégeaient les civils en se mettant entre les manifestants, les Imbonerakure et la police. Cependant, depuis les purges, les militaires se sont progressivement éloignés de leur position apolitique, tendance qui devrait se poursuivre à mesure que les nouvelles dispositions constitutionnelles prendront de l’ampleur.
Ce qui est en jeu
Lors du sommet de la CAE en mai 2017, Benjamin Mkapa a rappelé aux participants les dangers de la révision de la constitution burundaise : « Où va la médiation dirigée par la CAE dont je facilite le dialogue ? Car je crains que la région ne se trouve devant le fait accompli. »
Les enjeux ne peuvent être plus élevés à mesure que la fenêtre des compromis se ferme et que les garants des Accords d’Arusha se décident sur la marche à suivre. Compte tenu de l’incapacité de la CAE et de l’UA à exécuter l’accord lorsque ses dispositions étaient bafouées, leur crédibilité s’en trouve menacée. Cela soulève à son tour d’autres questions sur les engagements régionaux et continentaux en faveur des « solutions africaines aux problèmes africains » et sur la logique de l’architecture africaine de paix et de sécurité.
D’autres mesures visant à relancer les pourparlers de paix devront maintenant aborder les implications du démantèlement des Accords d’Arusha et les effets négatifs sur le processus politique burundais. La restauration de ces accords, avec des garanties plus fortes et une application renouvelée par les garants, reste la voie la moins coûteuse pour réaliser la paix au Burundi.
Experts du CESA
- Paul Nantulya, Associé de recherche
Ressources complémentaires
- International Crisis Group, « Référendum à haut risque au Burundi », Commentary, 15 may 2018.
- Centre d'études stratégiques de l'Afrique, « Limites et durée de mandat des dirigeants africains liés à la stabilité », Infographie, 23 février 2018.
- Centre d'études stratégiques de l'Afrique, « Démantèlement des Accords d’Arusha en pleine crise du Burundi », Éclairage, 13 mars 2017.
- Thierry Vircoulon, « A l’intérieur de la crise burundaise (I): Une armée divisée et en perte de repères », International Crisis Group, 2 octobre 2015.
- Nicole Ball, « Leçons à retenir du processus de réforme du secteur de la sécurité au Burundi », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Bulletin de la sécurité africaine N° 29, 30 novembre 2014.
- Emile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des forces armées en Afrique », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Papier de recherche N° 6, 31 juillet 2014.
En plus: Coopération régionale et internationale en matière de sécurité Démocratisation Gouvernance du secteur de la sécurité Burundi conflit ethnique État de droit gouvernance