Bulletin de la sécurité africaine N° 21

Print Friendly, PDF & Email

Un chantier inachevé : Balise pour la paix dans les Grands lacs

Par Rigobert Minani Bihuzo

10 juillet 2012


Téléchargez ce bulletin en version PDF:
English | Français | Português

Résumé

Malgré de multiples accords de paix, la région des Grands Lacs en Afrique demeure dans un état de conflit permanent et ce, depuis ces deux dernières décennies. Les contributions et les lacunes des principales initiatives de paix précédentes permettent de tirer des leçons vitales pour atténuer les tensions au niveau local, dans les milieux politiques, et celles entourant les intérêts régionaux conflictuels ; facteurs qui alimentent la violence.

Leçons à retenir du processus de réforme du secteur de la sécurité au Burundi

Points Saillants

  • La persistance des conflits dans la région des Grands lacs en afrique est liée à l’enchevêtrement de la complexité de la politique régionale, des intérêts financiers, de la polarisation ethnique, et d’une gouvernance inefficace et illégitime.
  • Les précédents accords de paix ont contribué de manière significative à la stabilité. Leur réussite a cependant été seulement partielle parce qu’ils n’ont pas tenu compte de toutes les causes du conflit.
  • Les acteurs internationaux, particulièrement les Etats-Unis, l’Europe et les pays européens, qui fournissent une aide financière significative aux gouvernements de la région des Grand Lacs, sont essentiels pour la réussite d’un règlement complet, étant donné la nature régionale de l’instabilité.

Les accords de paix signés en 2002 par 11 gouvernements africains et les divers groupes armés étaient censés mettre fin à 7 ans de guerre qui ont ravagé la région des Grands Lacs en Afrique

Une décennie plus tard, l’instabilité, étroitement entrelacée avec la géopolitique régionale, persiste. Des conflits récurrents ont tué des dizaines de milliers de personne, en majorité des civils, et ont provoqué le déplacement de millions d’autres. La durée de cette « instabilité a également provoquée l’effondrement des services sociaux de base et la déstructuration de l’activité économique avec comme conséquence, un nombre plus élevé de décès dû à la malnutrition, au manque d’accès aux soins de santé de base, et à une absence de toute perspective d’avenir1 ». Cette situation a aussi favorisé l’émergence dans cette région, des formes barbares de violence. En effet, en l’espace de quatre jours, presque 400 femmes, hommes, et enfants ont été violés par des milices. Et depuis 1996, on a recensé plus de 200.000 viols. La plupart du temps attribués aux milices armées2.

Les provinces du Nord et Sud Kivu dans la partie orientale de la RDC sont l’épicentre des combats (voir la carte). Elles sont le plus grand réservoir de milices prêtes à louer leurs services aux plus offrants. Le nombre des groupes armés aujourd’hui au Kivu est évalué à plus au moins 19 groupes avec un effectif oscillant entre 7 et 17 000 combattants3. En raison de la fragmentation typique remarquée dans d’autres conflits prolongés, la mission de maintien de paix des Nations Unies a alerté sur la possibilité de « création de nouveaux groupes4 ». Plusieurs de ces groupes sont des milices criminalisées qui profitent du trafique illicite des ressources naturelles de la région. Certains sont dirigés par des politiciens locaux et d’autres sont des forces d’autodéfense au service des communautés. Les objectifs, les alliances et le leadership parmi ces groupes sont ponctuelles, souvent opportunistes, très versatiles et parfois contradictoires. Les conflits au Kivu sont alimentés également par des puissants facteurs externes. Des milices opposées aux gouvernements du Burundi, du Rwanda, et de l’Ouganda sont basées au Kivu.

Source : “The Role of Exploitation of Natural Resources in Fuelling and Prolonging Crises in the Eastern DRC,” International Alert, janvier 2010, 79. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires-Nation Unies. Tous les deux cartes ont été modifiées par l’auteur.

En représailles, ces pays financent et déploient des milices dans cette région et favorisent la prolifération des groupes armés dans la région. Presque tout le trafic illicite des minerais du Congo qui finance les groupes armés transitent par le Burundi, le Rwanda, et l’Ouganda.

En dépit de nombreux initiatives et accords, il n’existe pas encore une approche globale qui prenne en compte la complexité de ce conflit. Au contraire l’engagement de la communauté internationale continue à se fragmenter et se concentrer sur les symptômes. Et pourtant le coût de l’engagement de la communauté internationale à travers la mission de maintien de la paix et l’aide humanitaire s’élève annuellement à plus de $2 milliards. L’état persistant de cette crise défavorise aussi l’investissement économique au Burundi, au Rwanda, et en Ouganda. D’autres part, l’instabilité dans la région des grands Lacs a des répercussions sur d’autres défis d’ordre sécuritaire dans la région, dont les efforts de construction de l’Etat au Sud Soudan et la victoire sur les milices de l’Armée de résistance du Seigneur.

Un conflit régional bien établi

Dans son effort pour consolider son contrôle du Rwanda post-génocide, le Front patriote rwandais (FPR) a lancé en 1996 une opération à l’est de la RDC. Il visait par cette opération à neutraliser le reste de l’ancienne armée du Rwanda les Forces armées rwandaises (FAR), et la milice rwandaise d’Interahamwe principaux acteurs du génocide rwandais. Ces combattants, dont le nombre se compte en dizaines de milliers, s’étaient réfugiés au Congo où ils bénéficiaient de la liberté de mouvement et pouvaient lancer des incursions au Rwanda.

Peu après les premières opérations, le FPR avait élargi ses objectifs premiers pour renverser le régime de Mobutu Sese Seko, le président d’alors du Zaïre, qu’ils considéraient comme protecteur de leurs ennemis. Par la suite, plusieurs autres pays dont le Burundi et l’Ouganda, fourniront les troupes d’élites en appui à la rébellion congolaise, en apparence dirigée par Laurent-Désiré Kabila, connu sous le nom de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL)5. Le 17 mai 1997, suite à une guerre éclair de sept mois, dite de libération, face aux forces désorganisées de Mobutu, Kabila prend le pouvoir à Kinshasa. Mais, par manque de légitimité, d’une vision géopolitique, et d’ expérience de gouvernement, le régime se caractérise par sa brutalité et son inefficacité. Non satisfait et craignant que ce nouveau régime ne réactive les ex- FAR, dans l’est de la RDC, le Rwanda lance une deuxième invasion, qualifiée de « guerre d’occupation » de 1998-2003, organise et met en place une autre milice, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). En réaction, Kabila invitera les ex-Far, ses ennemis d’autrefois, à participer aux efforts de son gouvernement et à combattre le FPR. En réaction à cette deuxième guerre rwandaise, sept autres armées africaines vont se déployer pour contrer ou soutenir le Rwanda. Kabila, lui-même, sera assassiné en janvier 2001 par un membre de sa garde présidentielle. Il sera remplacer par son fils Joseph, qui met en place, après des négociations de 2002, un gouvernement de transition basé sur le partage du pouvoir. La plupart des armées étrangères se retireront du territoire congolais en 2003.

L’invasion de l’est du Congo par le Rwanda en 1996 a initié un type de conflit qui depuis lors se répète et perpétue la guerre civile du Rwanda sur le sol congolais.

La stratégie du Rwanda de créer périodiquement et en sous-main des milices soutenues par de ponctuelle opérations militaires rwandaises, pour résoudre les complexes défis politiques a servi de leçon à d’autres gouvernements de la région. C’est cette pratique qui est à l’origine de la prolifération des groupes armés qui alimentent l’interminable série de crises dans la région6.

« L’invasion de l’est du Congo en 1996 par le rwanda à mis en place un mécanisme de conflit qui depuis lors se répète. »

Ces dernières années, les acteurs principaux de cette politique sont le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une milice soutenue par le Rwanda, et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), mouvement composé des ex-Far.

Cependant, une solution durable du conflit dans les Grands lacs nécessite plus que la disparition des FDLR et du CNDP. En effet, les années des combats ont engendré d’autres moteurs de conflit et de belligérance. Parmi ceux-ci, il y a la facilité d’accès aux ressources naturelles à l’est du Congo, en particulier à l’or, l’étain, la colombite-tantalite (coltan) et le tungstène. Les groupes armés dépendent des revenus des échanges illicites de ces ressources, et cela est devenu pour certains, leur premier objectif. Ceci est aussi vrai pour certains éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), l’armée nationale qui est aussi impliquée dans le trafic des minerais7.

Le commerce des minerais pèse aussi de manière déterminante dans les politiques du Burundi, du Rwanda, et de l’Ouganda. La plupart des minerais qui proviennent de l’est de la RDC sont exportés par ces pays et d’autre pays africains. Ils prélèvent des taxes et ensuite les réexportent, souvent par l’intermédiaire d’entreprises locales. Ce commerce est devenu une source significative d’activités économiques et de croissance dans ce pays. A titre d’exemple, la production nationale des minerais du Rwanda est faible, mais en 2011 le secteur d’extraction était « un moteur principal de sa croissance » alors que l’activité économique régionale était en baisse, et même en récession dans le secteur agricole8. En mars 2012, l’entreprise Africa Primary Tungsten—un des plus grands contribuables du Rwanda—a été censurée par une association d’exploitation internationale en raison du manque de clarté quand à l’origine de ses minerais9. En bref, les puissants intérêts d’affaires et de gouvernement qui profitent de l’instabilité à l’est de la RDC ont intérêt à ce que les conflits continuent.

L’invasion par le Rwanda de l’est de la RDC a également alimenté les tensions intercommunautaires. Après la victoire militaire du FPR au Rwanda en 1994, presque deux millions de réfugiés de la communauté Hutu du Rwanda, y compris les responsables du génocide rwandais, ont traversé la frontière et se sont installés à l’est du Congo, modifiant ainsi la composition démographique de la région. La tactique du RPF de créer et d’armer diverses milices d’origine Tutsi a aussi renforcé la méfiance envers cette communauté en RDC. En réponse à la polarisation, à la forte militarisation de la région et à l’insécurité grandissante, les autres communautés dont les Nande, Nyanga, Tembo, Hunde, Shi, Rega, Bembe, et d’autres ont créé des milices armées, connues localement comme Maï-Maï, pour se défendre.

La migration Rwandaise à l’est de la RDC, a également transformé la question déjà épineuse de la propriété de la terre en un défi majeur. A chaque crise, les terres appartenant aux communautés locales sont occupées par des nouveaux arrivants. Toute tentative au moment de l’accalmie de récupérer les terres ou de retourner chez soi devient un casus belli intercommunautaire. Autre élément important, le Nord et le Sud Kivu ont actuellement la densité la plus élevée de la RDC avec presque 70 habitants/km2, comparée à une moyenne nationale de 29 habitants/km2. L’affaiblissement des autorités traditionnelles couplé à l’incapacité du gouvernement d’imposer les lois sur la propriété, se traduit par un état de conflit permanent sur la question de la propriété de la terre.

La situation politique dans les pays voisins du Congo alimente également la prolifération des groupes armés. Au Burundi, le gouvernement est accusé de violations des droits de l’homme et l’armée d’exécutions extrajudiciaires.

En réaction, les rebelles précédemment démobilisés des Forces nationales de libération (FNL) se sont regroupés et réarmés dans le Sud Kivu. Une nouvelle rébellion Burundaise, Fronatu Tabara, est également basée au sud Kivu. L’on craint aujourd’hui que la violence éclate au Burundi et de nouveau se propage à l’Est de la RDC.

Au Rwanda, une élite minoritaire qui ne tolère pas les opinions contraires et l’opposition, consolide son monopole sur le pouvoir politique et financier. Les arrestations d’activistes et de journalistes indépendants sont courantes. D’autre part, le système légal post-génocide a également été corrompu et truffé de procédures irrégulières10 gênant ainsi le désarmement des FDLR et le retour des dizaines de milliers de réfugiés encore en RDC.

En même temps, le gouvernement de la RDC handicapé par un manque de légitimité et par de faibles moyens d’action peine encore à étendre son autorité dans le Kivu. Les preuves que les élections de novembre 2011 en RDC étaient profondément défectueuses, les allégations d’intimidation systématique et de violence sur les électeurs par les forces de sécurité, ont fini par attiser la méfiance envers le gouvernement et à diminuer sa capacité à gérer le conflit pour protéger certains de leurs intérêts. Les citoyens frustrés et déçus se laissent attirer par les propositions du CNDP, des Maï-Maï, et des autres groupes.

Avancées et limites d’un processus de paix inachevé

Une douzaine d’accords majeurs de paix, de négociations, et d’initiatives de réconciliation, initiées souvent avec l’aide de la communauté internationale, ont été les premiers instruments utilisés pour résoudre le conflit dans la région des Grands lacs11. Cependant la majorité d’entre eux se sont seulement intéressés à certaines causes et conséquences du conflit et ont parfois négligé ses racines profondes.

Approche d’CIRGL

La Conférence internationale sur la région de Grands lacs (CIRGL) est jusqu’à présent la plus grande initiative de paix. Convoquée par la résolution 1291 des Nations Unies de 2000, elle s’est tenue sous les auspices de l’Union Africaine et de l’ONU avec l’appui des donateurs internationaux. Elle a réuni autour de la table de négociation 18 pays dont 11 directement impliqués dans le conflit. Après six ans de négociations politiques, la conférence a accouché du Pacte sur la paix, la sécurité, la stabilité et le développement dans la région. Signée en décembre 2006 par les chefs d’Etat d’Angola, du Burundi, de la République centrafricaine, la RDC, le Kenya, la République du Congo, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie. Le pacte est entré en vigueur en juin 2008 après avoir été ratifié par huit des pays signataires. Le secrétariat de l’CIRGL a été installé à Bujumbura. Il est chargé de mettre en application les dix protocoles du pacte, y compris celui de la non-agression régionale et de la défense mutuelle ainsi que celui de la bonne gouvernance, la reconstruction et le développement. Cependant, jusqu’à présent seul un progrès limité a été réalisé.

« Les acteurs étatiques n’ont pas été encouragé à mettre fin à leur approche à court terme s’appuyant sur les milices armés pour garantir leur intérêts immédiats de sécurité et économiques. »

La principale contribution de l’CIRGL est d’avoir intégré dans son approche la dimension économique, à la base du conflit en RDC. Elle a spécialement lancé une initiative régionale sur les ressources naturelles pour certifier, formaliser, et suivre les minerais afin d’éliminer le rôle des groupes armés dans leur exploitation. Les projets pilotés au Rwanda et au Sud Kivu ont montré quelques avancées dans la bonne direction12.

Les limites principales de l’CIRGL sont le fait qu’elle ne s’est pas préoccupée des violations massives des droits de l’homme commises par divers acteurs étatiques agissant en RDC. Ces abus sont maintenant bien décrits dans les rapports de l’ONU13. D’autres parts, ces acteurs étatiques n’ont pas été incités à mettre fin à leur pratiques qui s’appuient sur des actions militaires de court terme et des milices armés pour garantir leurs intérêts sécuritaires et économiques immédiats.

La Commission tripartite plus

La Commission tripartite plus était une initiative des Etats-Unis lancée en 2004. Elle s’est intéressée principalement à la présence des FDLR en RDC. Cette initiative a abouti à un communiqué commun le 9 novembre 2007 engageant la RDC et le gouvernement rwandais dans « une approche commune pour traiter la menace constituée par les ex-FAR/Interahamwe à leur sécurité et stabilité commune. » Le communiqué de Nairobi a atteint un objectif fondamental pour le régime rwandais. Celui de cibler avec plus de détermination les ex-FAR encore présents dans les FDLR.

La collaboration des FARDC et des RDF a été très impopulaire dans l’est de la RDC même si beaucoup d’habitants de cette région détestent le FDLR. En effet, les opérations communes ont eu comme conséquence des dégâts importants auprès des populations civiles et n’ont désarmé que relativement peu de FDLR. Ceux-ci ont plus tard pu conduire des actions de représailles contre des villages accusés de complicité avec les FARDC et les RDF. Le Président Kabila paye également aujourd’hui le prix pour avoir donner son accord aux opérations militaires à l’est de la RDC. En 2006, il avait remporté 95 % de voix dans le Sud Kivu et 78 % dans le Nord Kivu, en grande partie parce qu’il avait promis de mettre fin à la présence rwandaise et à rétablir la paix. En 2011 il n’a recueilli que 45 et 39 % dans les mêmes provinces. Et au regard des nombreuses irrégularités électorales, son soutien réel pourrait être encore inférieur. Son pouvoir se réduira encore plus s’il continue à perdre l’appui de la partie orientale de la République.

L’acquis principal de la « tripartite plus » est celui d’avoir mis les deux principaux protagonistes, à savoir : les Rwandais et les Congolais, autour d’une table. En effet, le gouvernement des Etats-Unis a déployé beaucoup d’efforts pour contraindre les deux ennemis à se parler, se servant sans doute de ses solides relations et de l’appui qu’il octroie aux deux gouvernements. En effet, l’aide des donateurs compte pour 40 % dans le budget annuel du gouvernement du Rwanda14. L’amélioration des relations entre le Rwanda et la RDC est cruciale pour consolider la paix dans toute la sous région, et cette approche a prouvé qu’une communication constructive est possible.

« L’on ne peut séparer le processus de paix en RDC du contexte global de la démocratisation dans la région des Grands lacs »

Cet accord s’est fourvoyé en limitant la responsabilité de l’instabilité aux FDLR. Quand le gouvernement de la RDC a, par le passé, suggéré que le trafic illicite de minerais soit au programme des discussions dans la tripartite, les gouvernements rwandais et Ougandais ont décliné cette offre prétendant que ce n’était pas une question régionale15. Plus encore, l’accord de la « tripartite plus » a stipulé que la RDC doit offrir au FDLR un choix entre soit le retour volontaire au Rwanda sans garanties de sécurité soit d’être déplacé et dispersé sur tout le territoire Congolais. Et en cas de refus d’une de ces solutions, ils seraient visés par les opérations militaires des FARDC et des RDF.

Cette solution étroite ignore les résultats d’une évaluation faite par l’ONU, qui conclut que c’est tout au plus 2 500 des 70 000 réfugiés rwandais restants en RDC qui sont des combattants16. Au-delà des opérations militaires conjointes, la coopération pour la protection des réfugiés, le rapatriement et l’aide à la réinstallation pourraient apporter une solution aux tensions locales et réduire le volume des recrues potentielles et des supporters du FDLR.

Le processus de paix en RDC ne peut pas être séparé du contexte plus large de la démocratisation dans la région des Grands lacs. Les réfugiés Rwandais en RDC, au Burundi, au Kenya, en Ouganda, et en Tanzanie continueront à être réticents au retour dans leur pays, s’ils devaient faire face à un environnement politique restrictif. Les initiatives de la Commission tripartite ont raté, ainsi, la mise en place des éléments de confiance essentiels pour un désarmement réussi.

Conférence de Goma

La Conférence de paix de Goma est la seule initiative du gouvernement congolais. Elle a rassemblé du 6 au 24 janvier 2008 plus de 1 500 délégués de toutes les communautés et classes sociales du Nord et Sud Kivu. Son objectif global était de faire discuter ensemble les différents protagonistes afin qu’ils contribuent à la restauration de la paix dans cette région. A la fin les délégués ont signé un acte d’engagement pour la cessation des hostilités.

En offrant l’opportunité de s’exprimer à toutes les communautés et à la plupart des groupes armés, la Conférence de Goma a constitué une avancée significative dans l’effort pour comprendre le conflit à partir des différentes perspectives communautaires. Et la priorité pour ces communautés était d’empêcher les coupables de massacres, de violences sexuelles, ou d’incitation à la haine ethnique d’occuper des positions de responsabilité, en particulier dans les services de sécurité17. Après la conférence, l’engagement des chefs traditionnels et autres notables des communautés a facilité le désarmement ou l’intégration de 22 groupes armés, dans l’armée nationale, témoignant ainsi du fort désir au niveau local de mettre fin aux affrontements. Notons cependant que les FDLR étaient exclus de la Conférence de Goma.

La Conférence de Goma avait sérieusement désamorcé les tensions au Kivu. Malheureusement les combats violents recommencèrent en août 2008 entre le CNDP et les FARDC, compromettant l’engagement d’autres signataires au désarmement. Vers la fin de l’année, le CNDP menaçait sérieusement de capturer Goma, le chef lieu du Nord Kivu, provoquant la mort de centaines de civils et le déplacement de centaines de milliers d’autres.

Finalement Les combats prendront fin quand par un étonnant retournement de situation, Laurent Nkunda, alors chef du CNDP, est arrêté par les autorités du Rwanda, en janvier 2009. Selon quelques indiscrétions, les parrains de Nkunda à Kigali commencaient à s’inquiéter, car il devenait de plus en plus indépendant et ils ne pouvaient plus lui faire confiance. Ils se décidèrent donc à procéder au changement de commandement au sein du CNDP. Le Rwanda s’inquiétait aussi de la de la critique internationale croissante par rapport à son appui au CNDP.

Une solution durable

Jusqu’à présent, les différentes initiatives pour résoudre les violences armées dans les Grands lacs se sont principalement intéressées à certaines causes et conséquences du conflit. Une approche multisectorielle, inscrite dans la durée, éclairée par les leçons à tirer des accords précédents, pourrait rééquilibrer les futurs efforts de paix et ouvrir la voix à une solution durable du conflit.

Mettre fin à la création des milices par procuration

Les principaux pays impliqués dans ce conflit ont tous soutenu des milices par procuration. Cette tactique qui vise à contrer une sérieuse menace sécuritaire pour l’Etat, finie par être un expédient contreproductif qui entraine souvent une crise plus grande. En fin de compte, la plupart des parrains perdent le contrôle de leurs marionnettes. Ces groupes se transforment, élaborent et développent souvent leurs propres agendas qui menacent parfois les intérêts mêmes qu’ils étaient supposés protéger. L’AFDL, le RCD, et le CNDP en sont des exemples éloquents.

Le Rwanda, en particulier, doit mettre fin à son appui à ces types de groupes. Ses actions dans la RDC minent la stabilité régionale requise pour attirer davantage d’investissement international. Cette pratique met, par extension, aussi en péril sa notoriété face aux donateurs et aux investisseurs internationaux.

Le gouvernement de la RDC doit, pour sa part, remplir ses obligations et désarmer ou intégrer les milices dans les FARDC. Son échec à honorer ses promesses relatives à la Conférence de Goma a poussé les groupes à se retirer du processus et a contribué à perpétuer la crise de 2008 à 2009 au Kivu. Parfois, il a également poursuivi des alliances d’opportunité avec quelques milices, y compris le FDLR, pour fragiliser d’autres groupes.

Il devrait plutôt accorder sa priorité à la sécurisation des communautés à travers un partenariat pour le désarmement, en démontrant sa bonne foi et en encourageant l’isolement progressif des combattants récalcitrants. Une attention particulière devrait être portée au commandement des FDLR, à la fois pour répondre aux préoccupations légitimes du Rwanda mais également parce que le FDLR est une menace grave pour les communautés dans le Kivu. Malheureusement, alors qu’après des années son nombre de combattants et ses actions se réduisaient, le FDLR s’est réactivé en 2012. Les combats dans le Kivu entre les FARDC et la nouvelle milice soutenue par le Rwanda appelées M23, a fourni aux FDLR un certain répit pour recruter et entreprendre des nouvelles attaques.

Les partenaires internationaux devront mettre plus de pression sur les gouvernements qui minent le processus de paix au travers leurs appuis aux milices. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, et l’Union européenne fournissent une aide budgétaire substantielle aux gouvernements des pays des Grands Lacs. Ils devraient donc s’assurer que leur appui ne profite qu’aux pays qui travaillent dans le bon sens. De même, les acteurs internationaux devraient fournir l’appui nécessaire pour soutenir les efforts pour désarmer, démobiliser, ou intégrer des combattants.

L’engagement international ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Les chefs des milices et leurs commanditaires étatiques qui persistent dans l’œuvre de déstabilisation de la RDC, devraient faire face à des investigations internationales de la cour pénale internationale (CPI) sur des faits de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dont, le meurtre systématique, viol, torture, recrutement d’enfants soldats, et pillage. Actuellement, le Général Bosco Ntaganda, ancien chef du CNDP et maintenant à la tête du M23, fait face à un mandat d’arret de la CPI. Le Chef d’Etat major des FDLR Sylvester Mudacumura est également recherché par la CPI. Le Général Laurent Nkunda, ancien président du CNDP, en résidence surveillée au Rwanda, et le Colonel Sultani Makenga, commandant du M23, devraient être traduit devant la justice internationale (CPI) pour avoir organisé des massacres, recruter des enfants soldats, fourni des armes et des munitions aux FDLR et M23 et pour d’autres activités militaires en RDC, en violation de l’embargo du conseil de sécurité sur les armes. C’est dans cet esprit que d’autres figures de la diaspora des FDLR font face aux investigations. Tel le cas d’Ignace Murwanashyaka, chef politique de FDLR et mobilisateur des finances aujourd’hui en procès pour crimes de guerre en Allemagne. Ce traitement devrait être le même pour des hauts fonctionnaires rwandais, y compris le ministre de la défense James Kabarebe, identifiés par le rapport du panel des Experts de l’ONU sur la RDC comme celui qui fourni des troupes, des munitions, et des armes au M23.18

Ouvrir l’espace politique comme alternative à la guerre

Depuis le communiqué de Nairobi de 2007, l’on a privilégié la solution militaire du conflit à d’autres réponses. Le résultat aujourd’hui est fort mitigé. Les groupes armés visés souvent se déplacent en forêt et attendent la fin des opérations. Ils reviennent ensuite et s’attaquent aux civils qu’ils accusent de complicité avec les autorités étatiques. Ainsi tout en étant nécessaires, les opérations militaires contre les groupes armés devraient être doublées d’initiatives qui offrent une alternative et un futur à des membres des groupes armés, ceux en particulier qui ne sont pas coupables de crimes de guerre.

L’expérience a montré qu’il y a des raisons de croire que les combattants peuvent être persuadés d’abandonner la lutte armée. La Conférence de Goma avait ouvert des perspectives et a montré aux groupes armés qu’il y avait d’autres alternatives. De même, pendant les négociations précédentes, le FDLR avait accepté de renoncer à l’utilisation de la force, de condamner l’idéologie du génocide, de coopérer avec le tribunal international sur le génocide, et de se transformer en partie politique au Rwanda.19 Ainsi donc offrir aux milices des opportunités raisonnables et sures dans leur pays est un facteur déterminant dans l’effort de paix. Renforcer le respect des droits politiques et des libertés civiles, pourrait non seulement évacuer la peur de l’exclusion et de la persécution que les milices telles que le FDLR brandissent pour recruter parmi les communautés Rwandaises en exile.

Assurer la représentation des communautés locales

Les communautés locales au Kivu sont les plus exposées au conflit en cours dans la région. Beaucoup de membres de celle-ci travaillent aussi comme exploitant minier artisanal. Cette activité économique favorise aussi le conflit. D’autres personnes aussi par manque de perspectives futures et de solutions de rechange appropriées prêtent leur service aux milices. En raison de la durée du conflit, les rivalités liées à la terre, les tensions ethniques et d’autres défis intercommunautaires se sont aggravés. Les communautés locales du Kivu doivent par conséquent être partie prenante de toute initiative de paix en RDC.

Comme l’a si bien montré la Conférence de Goma ; inclure la représentation de la communauté locale dans le processus de paix aide à bâtir un consensus, réduit l’activité des milices, et soutient le désarmement. Des futures initiatives devront donc se développer mais être ajustées de manière critique. Le leadership de l’Etat congolais sera capital pour réduire les multiples systèmes administratifs parallèles qui contribuent actuellement à affaiblir la gouvernance dans le Kivu. Etant donné les années des tensions intercommunautaires, la mise en place de réunions régulières et de mécanismes simples où les représentants des communautés peuvent exprimer leurs préoccupations auprès des fonctionnaires attitrés, pourrait aider à réduire la tendance à s’appuyer sur les milices et la violence pour régler les problèmes. La question de la terre, du déplacement des populations et leur relocalisation devraient être des sujets prioritaires. En conclusion, étant donné les dimensions ethniques, politiques et régionales de l’instabilité, des fortes pressions externes seront cruciales pour s’assurer que l’Etat Congolais remplit ses engagements et gagne la confiance des communautés et des combattants.

Développer le secteur minier

Le trafic illicite de minerai est actuellement le principal moteur du conflit à l’est de la RDC. Il peut cependant aussi être un instrument de coopération et de collaboration. Le secteur d’extraction implique de nombreux partenaires: du mineur artisanal aux politiciens les plus influents, de l’homme d’affaire congolais du Kivu ou de la capitale de la RDC, à celui du Rwanda et d’ailleurs. Aucun des acteurs n’a les moyens de le réduire et beaucoup voudrait le voir se développer. Renforcer la transparence et la règlementation de ce commerce l’aidera à se développer et bénéficiera à tous. Il augmentera les recettes fiscales et douanières et autres revenus pour la RDC, le Burundi, le Rwanda, et l’Ouganda, qui resteront les itinéraires d’exportation les plus viables pour ces marchandises. Ce secteur correctement réglementé attirera plus d’investissement, et offrira des nouvelles opportunités aux communautés du Kivu.

Les états de la sous région devraient continuer à consolider les progrès réalisés par le système de la chaine de vérification d’approvisionnement des minerais aujourd’hui animé par l’CIRGL. Une attention particulière devrait être porté à améliorer la transparence de l’exploitation de l’or, car le trafic illicite de ce minerai reste le plus répandu et est la source principale des finances des groupes armés. Les nouvelles lois des Etats-Unis qui exigent des compagnies de s’assurer que les minerais qui proviennent des grands lacs n’attisent pas le conflit ont également donné une nouvelle impulsion visant à améliorer la situation sécuritaire. Plusieurs acheteurs des minerais de la région ont déjà commencé à chercher des sources d’approvisionnement alternatives. Si les pays dans la région souhaitent maintenir et augmenter leur clientèle pour les ressources de la région, ils doivent faciliter la réduction de la taille et du nombre des milices au Kivu.

Conclusion

Les perspectives de la paix en RDC dépendront fondamentalement du développement d’une approche inclusive qui intègre les préoccupations sécuritaires et les intérêts économiques des divers acteurs locaux et régionaux de la région des grands lacs. Un feu ne peut pas être définitivement éteint si l’on ne se donne pas la peine d’identifier le pyromane, de comprendre ses intentions, de connaitre ses plans et ses méthodes, et pour enfin prendre des mesures pour qu’il ne récidive plus.

Par ailleurs, aucune de cette tâche ne peut aboutir sans un effort soutenu pour reconstruire un Etat performant et légitime en RDC20. En fin de compte, il sera du devoir des congolais d’assumer le contrôle de leur territoire ainsi que de favoriser la sécurité dans le grands lacs.

Rigobert Minani Bihuzo S.J. est le directeur du réseau des Centres sociaux jésuites en afrique. Il était directeur de la section politique au Centre d’Etudes pour l’action Sociale à Kinshasa. Il a participé à plusieurs négociations de paix dans les Grands lacs.

⇑ Retour en haut de la page ⇑

Notes

  1. Benjamin Coghlan, Pascal Ngoy, Flavien Mulumba, et Colleen Hardy, “Mortality in the Democratic Republic of Congo: An Ongoing Crisis,” The International Rescue Committee et the Burnet Institute, 2007.
  2. Rapport du Panel à la Haut Commissaire aux Droits de l’Homme sur les moyens de recours et de réparation pour les victimes de violences sexuelles en République Démocratique du Congo (Genève : Bureau du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, mars 2011).
  3. Jason Stearns, “List of Armed Groups in the Kivus,” Congo Siasa, 9 juin 2010.
  4. Jason Stearns, “New Armed Groups Appear in South Kivu,” Congo Siasa, 15 septembre 2011.
  5. Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (Genève : Bureau du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, août 2010), 70.
  6. Rapport du groupe des experts de l’ONU sur la RDC (Conseil de Sécurité de l’ONU : S/2008/773, décembre 2008).
  7. Ruben de Koning,Conflict Minerals in the Democratic Republic of the Congo: Aligning Trade and Security Inverventions, SIPRI Policy Paper No. 27 (Stockholm : L’institut international de recherche sur la paix de Stockholm, juin 2011), 17-18.
  8. Resilience in the Face of Economic Adversity: Policies for Growth with a Focus on Household Enterprises, édition 2ieme, (Washington, DC : Le Banque mondiale, novembre 2011), 3.
  9. Ivan R. Mugisha, “Firms Blacklisted for Illegal Mineral Tagging,” New Times (Kigali), 7 mars 2012.
  10. Justice Compromised: The Legacy of Rwanda’s Community-Based Gacaca Courts (New York: Human Rights Watch, mai 2011).
  11. Jean Migabo Kalere, Textes fondamentaux sur le processus de paix en RDC (Leuven : CPRS, 2008). Rigobert Minani Bihuzo, S.J., Du pacte de stabilité de Nairobi à l’Acte d’engagement de Goma : Enjeux et défis des processus de paix en RDC (Kinshasa : Cepas/Rodhecic, 2008.
  12. Shawn Blore, « Project Review: Implementing Certified Trading Chains (CTC) in Rwanda, » German Federal Institute for Geosciences and Natural Resources, mars 2011.
  13. Voir notes 2, 5, 6, et 19.
  14. Le Banque mondiale.
  15. Morten Bøås, Randi Lotsberg, et Jean-Luc Ndizeye, “The International Conference on the Great Lakes Region (ICGLR) – Review of Norwegian Support to the ICGLR Secretariat,” Norwegian Agency for Development Cooperation, June 2009.
  16. « Over 1 800 FDLR Armed Rebels in DR Congo Surrender to UN Peacekeepers in 2010, » Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, 3 février 2011. La base de données statistiques en ligne du HCR.
  17. Laura Davis, Justice-Sensitive Security Sector System Reform in the Democratic Republic of the Congo (Brussels: Initiative for Peacebuilding, 2009), 11.
  18. Interim Report of the Group of Experts on the Democratic Republic of the Congo (Conseil de Sécurité de l’ONU : S/2012/348, juin 2012). « Rwanda Should Stop Aiding War Crimes Suspect, » Human Rights Watch, 4 juin 2012.
  19. Déclaration du FDLR (négociations facilités pars les médiateurs de Sant’Egidio entre le FDLR et la gouvernement de la RDC, Rome, Italie, 31 mars 2005).
  20. Rigobert Minani Bihuzo, 1990–2007, 17 ans de transition politique et perspective démocratique en RDC (Kinshasa : Cepas/ Rodhecic, 2008).

⇑ Retour en haut de la page ⇑