Bulletin de la sécurité africaine N° 3

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Enseignements tirés des opérations de maintien de la paix en Afrique

Par Paul D. Williams

24 mars 2010


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Alors que les récents conflits sur le continent ont coûté la vie à des millions de personnes et en ont déplacé bien plus encore, les contraignant à fuir la violence, la maladie et la malnutrition ; réduire l’incidence des conflits armés demeure une priorité déterminante pour l’Afrique.

UN Peacekeeper on Duty in Liberia

Un soldat ghanéen de la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) est photographié en garde pendant la visite de Karin Landgren, représentante spéciale du Secrétaire général et chef de la MINUL, à Cestos, au Libéria. Photo: UN Photo/Staton .

POINTS SAILLANTS

  • Depuis 2000, 40 opérations de maintien de la paix ont été déployées dans 14 pays d’Afrique.
  • Le succès des opérations de maintien de la paix dépend de leur intégration au sein d’une stratégie politique et d’un processus de paix efficaces, plutôt que d’intervenir en remplacement.
  • Les décideurs politiques doivent se concentrer sur les capacités requises pour atteindre les résultats politiques recherchés plutôt que de se préoccuper des effectifs déployés.
  • La réussite dépend en grande partie du maintien de la légitimité.

Alors que les récents conflits sur le continent ont coûté la vie à des millions de personnes et en ont déplacé bien plus encore, les contraignant à fuir la violence, la maladie et la malnutrition ; réduire l’incidence des conflits armés demeure une priorité déterminante pour l’Afrique. En effet, ces conflits ont traumatisé des générations entières d’enfants et de jeunes adultes, brisé les rapports de confiance et les structures d’autorité parmi et entre les communautés locales, détruit les systèmes d’éducation et de santé, perturbé les voies et infrastructures de transport et profondément endommagé l’écologie du continent, de la terre à la mer et de la faune à la flore. Dans une perspective financière, les coûts directs et indirects de ces conflits dépassent largement la somme de 700 milliards de dollars US.1

Les opérations de maintien de la paix sont un instrument crucial au service de la communauté internationale pour diminuer le nombre et la violence des conflits en Afrique. Ainsi, depuis 2000, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a dépensé à elle seule plus de 32 milliards de dollars US dans le cadre de ses 12 opérations de maintien de la paix sur le continent, le gouvernement des États-Unis fournissant environ un quart de cette somme. Pour certains, il s’agit là d’un investissement rentable. Le Human Security Brief 2007 [Briefing sur la Sécurité Humaine de 2007] concluait ainsi que le nombre croissant des opérations de maintien de la paix depuis le milieu des années 1990 était l’un des principaux facteurs ayant contribué à la réduction de 60 % du nombre et de l’ampleur des conflits africains au cours de la même période.

L’actuelle résurgence des opérations de maintien de la paix a démarré en 1999 avec les Missions de l’ONU en Sierra Leone et en République Démocratique du Congo (RDC), afin de pallier au retrait des troupes américaines de maintien de la paix du continent africain, conséquence directe de l’épisode de la « Chute du faucon noir » à Mogadiscio en octobre 1993. Depuis lors, 40 missions (voir tableau) ont été déployées dans 14 pays africains, dans des environnements très rudes pour bon nombre d’entre elles et le plus souvent chargées d’une longue liste de tâches difficiles à accomplir. Elles ont été menées par des organisations internationales diverses et variées, mais principalement par l’ONU, l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE). Quelques missions ont également été entreprises au niveau étatique et de façon isolée par certains pays, principalement par la France, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni.

Cette résurgence montre que les gouvernements d’alors (que ce soit en Afrique ou au-delà de ses frontières) considéraient les opérations de maintien de la paix comme un outil de gestion de conflits, durable et efficace. À certains égards, cette perception était justifiée. Les opérations de maintien de la paix ont ainsi permis à plusieurs États de réussir leurs périodes de transition de la guerre à la paix, ont facilité l’atténuation des crises humanitaires et la protection des civils, ont modifié les perceptions de la guerre et de la paix parmi les belligérants (parfois en faisant carrément pression sur les éléments perturbateurs), ont favorisé l’apaisement des parties aux conflits en favorisant la communication entre elles, ont contribué à éviter des incidents et échauffourées qui auraient pu dégénérer en conflit, et ont facilité le dialogue politique entre les belligérants.

Cependant, nombre de ces opérations ont également suscité la controverse. Sur le terrain, les forces de maintien de la paix ne sont pas toujours parvenues à éteindre l’incendie de la guerre ou à en protéger les victimes civiles. Un trop grand nombre de membres du personnel (militaire et civil) des diverses organisations ont été accusés d’incompétence, de corruption et d’exploitation sexuelle des personnes qu’ils étaient censés protéger. Au niveau de l’ONU, certaines de ces missions ont fait naître des tensions car les pays occidentaux, en particulier, ont préconisé des missions de plus en plus ambitieuses exigeant beaucoup de personnel, mais ont fait preuve de réticence au moment de déployer leurs propres soldats ou de fournir le matériel nécessaire. Ceci a conduit à un déséquilibre de plus en plus important entre les États décisionnaires au niveau stratégique et les États exécutants qui mettent en danger la vie de leur personnel sur le terrain. Enfin, en termes financiers, le coût de ces opérations a augmenté à un moment où la récente récession économique mondiale limitait les ressources.

Cet exposé examine les principaux enseignements stratégiques et opérationnels tirés de l’étude des 40 opérations de maintien de la paix déployées en Afrique depuis 2000 dans l’objectif de transformer les opérations actuelles et futures en des instruments de règlement des conflits plus efficaces.

Enseignements clés

De nombreux enseignements relatifs aux missions peuvent être tirés, mais six d’entre eux méritent une attention toute particulière.

Une stratégie politique efficace est une condition préliminaire indispensable au succès de l’opération de maintien de la paix. L’opération de maintien de la paix est un instrument et non pas une stratégie. Pour réussir, ces opérations doivent faire partie intégrante d’une stratégie politique et d’un processus de paix efficaces, et non pas les remplacer. En l’absence d’une stratégie politique durable, les opérations de maintien de la paix ne doivent pas être une réponse automatique à toutes les guerres. Comme l’a récemment souligné Susan Rice, ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU, « les forces de maintien de la paix ne peuvent pas tout faire, ni aller partout ». D’abord et avant tout, elles ne doivent pas être déployées dans des zones de conflit actif sans s’inscrire dans un processus politique durable de gestion ou de règlement des conflits. Elles ne doivent pas non plus être déployées sans bénéficier de la coopération active du ou des gouvernements hôtes concernés. Elles doivent également éviter de traverser ce qui a été appelé la « ligne du Darfour » et « déployer sans bénéficier d’un (véritable) consentement de la part de l’État »2. Si les civils sont systématiquement massacrés par leur propre gouvernement et que la société internationale veut mettre un terme à ce massacre, une intervention axée sur l’imposition de la paix est alors préférable à une opération de maintien de la paix.

La coordination stratégique est cruciale. Les opérations de maintien de la paix impliquent généralement divers acteurs (États, organisations internationales et organisations non gouvernementales [ONG]) qui évoluent dans le même environnement. La coordination stratégique entre ces différents acteurs est donc cruciale et aura plus de chances d’être atteinte si les décideurs politiques reconnaissent au moins trois choses. En premier lieu, les différentes organisations suivant toujours leurs programmes propres, la coordination doit être traitée comme un exercice politique et non pas uniquement technique. Ensuite, il est nécessaire de reconnaitre le rôle clé des grandes institutions. Il est clair que l’ONU est, depuis le début des années 1990, l’organisation la plus importante en matière de missions de maintien de la paix en Afrique mais d’autres institutions ont également joué des rôles non négligeables : l’UA, en particulier, qui a déployé plus de 15 000 soldats de la paix et l’UE, avec à son actif sept opérations de maintien de la paix menées sur le continent. Par conséquent, la coordination stratégique en Afrique doit être axée sur la nécessité d’établir un système de répartition des tâches équitable au sein de la nébuleuse ONU, UA et UE, et la clarification de la manière dont les structures sous-régionales du continent, (brigades régionales de la Force Africaine en Attente entre autres), sont censés interagir avec l’UA sans une surestimation par les politiques de ses capacités actuelles3. Enfin, les décideurs politiques doivent travailler sans relâche afin de s’assurer que tous les acteurs concernés, que ce soit les États fournissant du personnel aux institutions ou les membres appartenant à ladite institution, partagent la même vision concernant l’objet, le mandat et les règles d’engagement (RE) de l’opération.

Synchronisation de la fin et des moyens. Disposer des ressources nécessaires pour mener à bien les objectifs est la condition de réussite sine qua non des forces de maintien de la paix. Cette condition revêt deux dimensions. Tout d’abord, les objectifs d’une opération ne doivent être ni contradictoires ni techniquement irréalisables. Ils doivent faire l’objet de mandats clairs, crédibles et flexibles assortis de RE adéquates. Les décideurs politiques doivent par exemple éviter le casse- tête stratégique dont a hérité la mission de l’ONU en RDC (MONUC), à qui il fut demandé de soutenir les gouvernements congolais successifs alors que ceux-ci posaient autant de problèmes à la stabilité du pays que les groupes de rebelles. Ensuite, une fois habilités, les décideurs politiques doivent éviter de faire apparaitre un trop grand décalage entre les niveaux d’engagement autorisés et les effectifs réels déployés sur le terrain. Ces divergences nuisent non seulement à la capacité d’une mission de tirer parti de ce que l’on appelle la fenêtre d’opportunité survenant immédiatement après la cessation des combats, mais elles sont aussi, pour les parties au conflit, le signe d’un manque de volonté politique au sein de l’organisation responsable. L’aspect positif est que, à l’exception de la première année de l’opération hybride UA/ONU (MINUAD) dans la région du Darfour au Soudan, l’ONU a réalisé des progrès considérables dans la réduction des taux de vacances de postes. L’UA, elle, n’est cependant pas parvenue à déployer rapidement le nombre de soldats autorisés dans le cadre de ses missions au Burundi, au Soudan et en Somalie. En Somalie, elle éprouve encore des difficultés à enrôler et déployer les 8 000 soldats de maintien de la paix autorisés pour l’opération en janvier 2007. Pour réduire les taux de vacance de postes de l’UA, il sera nécessaire d’augmenter le nombre de pays qui fournissent des soldats et des forces de police et de trouver davantage de capacités de transport logistique permettant d’acheminer le personnel sur les théâtres des opérations.

« Les forces de maintien de la paix ne doivent pas être déployées dans des zones de conflit actif sans s’inscrire dans un processus politique durable de gestion ou de règlement des conflits. »

Définir et fournir des opérations « solides ». En 2000, le rapport Brahimi conclut qu’une fois déployées, les opérations de maintien de la paix doivent être fondées sur une doctrine solide, une posture de force et des RE suffisamment fermes pour que les contingents de l’ONU ne soient pas contraints d’« abandonner l’initiative à leurs agresseurs » 4. De cette manière, les missions pourraient remplir les tâches qui leur ont été confiées tout en protégeant le personnel et les civils sur place. Dans l’idéal, les unités militaires des opérations de maintien de la paix devraient être suffisamment solides pour décourager les parties d’utiliser la force contre le personnel de maintien de la paix et les civils. Ce point est crucial, car les missions faibles sont fréquemment devenues la proie des « fauteurs de trouble ». Au début de la décennie, des centaines de soldats de la paix de l’ONU ont ainsi été pris en otage par des rebelles en Sierra Leone. À la fin de la décennie (fin 2009), deux membres de la MINUAD qui avaient été détenus en otage au Darfour pendant plus de 100 jours ont été libérés relativement indemnes. L’idée de « robustesse » est en principe étayée par des arguments valables, mais la manière dont elle se traduit dans la pratique exige des précisions. En effet, les opérations qui envisagent l’usage de la menace ou de la force pour protéger le mandat qui leur a été assigné, des civils ou leur propre personnel doivent sans aucun doute être autorisées en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Cependant cette autorisation ne précise pas à elle seule les types de capacités militaires ou de RE qui sont les plus adaptés à une opération donnée.

Concentration sur les résultats et non pas sur les statistiques. Les questions de génération de force ou, en d’autres termes, le fait de déployer rapidement des forces de maintien de la paix en nombre suffisant sur le terrain, ont toujours été l’un des aspects essentiels des opérations de maintien de la paix. Or, pour réussir, ces dernières doivent aboutir à des résultats politiques bien déterminés sur le terrain, tels que la coercition des fauteurs de trouble, la protection des camps de personnes déplacées et des voies d’approvisionnement, ou la promotion de l’État de droit. Par conséquent, les décideurs politiques doivent dépasser la simple préoccupation du déploiement d’effectifs pour chaque mission et se concentrer davantage sur les capacités nécessaires à l’obtention des résultats politiques désirés. Plus les tâches imparties aux forces de maintien de la paix seront complexes et plus elles exigeront des capacités spécialisées. Pour les opérations multidimensionnelles, des ingénieurs, des équipes médicales, des capacités de communication et de logistique, le renseignement local, des unités de police formées5 et des forces spéciales sont parmi les capacités les plus importantes. Il convient d’ajouter à cette liste le besoin général de renforcer les effectifs féminins au sein des forces de maintien de la paix, et ne pas les cantonner dans des rôles comme la collecte de renseignements, les missions de police et les agressions sexuelles ou fondées sur le genre. Des véhicules adéquats sont également indispensables, notamment des véhicules blindés de transport de troupes, des hélicoptères et des drones. Ces derniers devront provenir de l’extérieur du continent, étant donné que les États africains ne fournissent actuellement que très peu de matériel aux 26 unités du génie de l’ONU et ses 177 hélicoptères.

Importance de la légitimité. Dans le cadre des opérations de maintien de la paix, l’assurance de la légitimité d’une opération vis-à-vis des publics concernés, que ce soient les parties au conflit, les civils, les ONG internationales et les gouvernements étrangers, est un élément clé du succès. Mais les forces de maintien de la paix n’ont jamais le contrôle total de leur légitimité. De plus, les publics concernés aboutissent souvent à des conclusions divergentes concernant la légitimité d’un même acteur. Les opérations perçues comme légitimes atteindront mieux leurs objectifs, parce qu’elles obtiendront le personnel, les fonds et l’appui politique, outre le renseignement et le soutien des  habitants. Les opérations perçues comme illégitimes devront lutter sur les deux fronts. La légitimité d’une opération de maintien de la paix peut être minée par le comportement de ses forces sur place, surtout lorsqu’elles sont accusées de commettre des crimes de guerre ou lorsqu’elles sont incapables de protéger les civils de la violence (, de la corruption ou des violences sexuelles. Il faut donc s’assurer que les soldats de maintien de la paix sont suffisamment bien formés pour faire face aux défis qu’ils risquent d’encourir, respectent une déontologie professionnelle commune,  sont correctement rémunérés et  peuvent être punis en cas de comportement illégal.

Implications Politiques

À la lumière de ces enseignements, un certain nombre de mesures pratiques peuvent être prises afin de relever les défis soulevés par les opérations de maintien de la paix contemporaines en Afrique.

Clarification des tâches à accomplir par la mission. En premier lieu, il est nécessaire de mieux définir les tâches que les forces de maintien de la paix doivent être en mesure d’accomplir (ainsi que celles qui dépassent leurs compétences). Une fois définies, ces tâches doivent se traduire en toute clarté par une doctrine, des principes directeurs, des mandats et des RE. Le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU a particulièrement progressé dans ces domaines au cours de ces dernières années, notamment en publiant ses Principes et Orientations. Cependant, certains sujets prioritaires exigent toujours plus d’attention, tels que les plans de désarmement, de démobilisation et de réintégration ; les initiatives de réforme du secteur de la sécurité ; la protection des civils ; les fonctions de l’État de droit et le rôle joué par les forces armées dans le domaine de l’aide humanitaire. Le point de friction lors des discussions internationales concerne toujours l’extension du domaine de responsabilité opérations de maintien de la paix : l’enjeu étant de décider si elles devraient ou non accomplir des tâches de consolidation de la paix au-delà de l’aspect militaire de stabilisation du conflit. Si ces questions fondamentales ne pouvaient faire l’objet d’un vaste consensus, il serait alors impossible d’élaborer des mandats et des programmes efficaces de « formation » des forces de maintien de la paix et de leur allouer les ressources appropriées.

Hiérarchiser les opérations de maintien de la paix par ordre de priorité afin de soutenir des processus de paix efficaces. Les décideurs politiques devraient investir plus de ressources dans la conception de processus de paix efficaces s’intéressant à la fois aux causes et aux symptômes des conflits armés. En effet, le bien-fondé du déploiement d’une opération de maintien de la paix doit être évalué en fonction des perspectives de réussite du processus de paix. Les processus de paix bloqués au Soudan et en Somalie, ainsi que ceux de la RDC et de la Côte d’Ivoire, illustrent l’importance que revêt cet aspect. La construction de processus de paix efficaces ne se limite pas à un apport de fonds supplémentaires, même s’ils peuvent s’avérer très utiles dépensés à bon escient, elle exige bien davantage une médiation soutenue et de meilleure qualité des principaux acteurs politiques de haut rang, appuyée efficacement par l’organisation. En effet, des médiateurs et leurs équipes basés de façon permanente dans la région concernée sont plus à même d’avoir un impact positif que des envoyés spéciaux qui effectuent des visites sporadiques sur le terrain. Pour être efficace, une médiation exige la capacité de poursuivre un dialogue durable avec de nombreux groupes locaux, et non pas seulement avec les leaders des factions armées. Bien que le Darfour soit probablement le meilleur exemple de conflit mobilisant toute l’attention de la communauté internationale sans voir pour autant poindre un processus de paix efficace, le Groupe de Haut Niveau de l’UA sur le Darfour offre un modèle utile des moyens de stimuler un processus de réconciliation et vaut la peine d’être reproduit dans d’autres circonstances.

Conception de meilleures stratégies d’entrée et de sortie. Savoir quand et où déployer des opérations de maintien de la paix et déterminer à quel moment propice se retirer sont des questions fondamentales qui pourtant n’ont pas fait l’objet de discussions suffisantes. Pour ce qui est de l’arrivée, il convient de réfléchir davantage à la question du consentement : quel consentement est essentiel, quel consentement est souhaité sans pour autant être essentiel et que faire en cas de retrait de consentement ou d’ajout de conditions supplémentaires, et ce après le déploiement des forces de maintien de la paix ? Il incombe en particulier aux décideurs politiques de déterminer de quelle manière ils pourraient protéger les civils lorsqu’un gouvernement en place commet des atrocités à l’encontre de ses propres citoyens. Plus la communauté internationale est unanime et soudée concernant ces questions fondamentales, plus la situation pourra avancer. En effet, un manque de consensus ne fait qu’apporter des complications au moment de décider de la stratégie de sortie à adopter. Ainsi, l’évaluation des critères d’une stratégie de sortie, tout comme celle de la performance d’une mission requiert une analyse plus systématique. Ceci revêt une importance particulière pour les opérations dont les mandats requièrent une aide à la reconstruction étatique et celles qui participent au renforcement de l’autorité de l’État face à des forces rebelles armées (par exemple, l’AMISOM et la MONUC). Associés à la question du consentement, ces critères permettraient de clarifier la manière de procéder lors des discussions concernant la manière et le moment de mettre fin aux opérations en cours (comme c’est actuellement le cas avec la MINUL, la MINURCAT et la MONUC). Le minimum requis serait que des responsables des opérations de maintien de la paix de haut rang (militaires et civils) enrichis par leur expérience de terrain se réunissent régulièrement avec des analystes afin de réfléchir en commun sur ces questions et de rendre leurs conclusions.

« savoir quand et où déployer des opérations de maintien de la paix et décider à quel moment elles doivent se retirer est une question fondamentale n’ayant pas fait l’objet de discussions suffisantes »

Fournir des ressources plus importantes et de meilleure qualité. Les opérations de maintien de la paix se soldant par un échec sapent gravement la crédibilité de la ou des organisations impliquées, portent un grave préjudice aux civils locaux et vont parfois jusqu’à mettre en danger la notion même de maintien de la paix. Par conséquent, une fois la décision de déployer une opération prise, la communauté internationale doit mettre en œuvre tous les efforts possibles pour en assurer le succès. Le jour viendra où des missions décisives à grande échelle redorerons le blason des opérations de maintien de la paix et renforcerons la crédibilité du Conseil de Sécurité des Nations Unies ainsi que celles d’autres acteurs des opérations de maintien de la paix , tels que l’UA et l’UE. Les forces de maintien de la paix méritent par conséquent de bénéficier de ressources plus importantes et de meilleure qualité. Des ressources sont particulièrement nécessaires pour pallier à la surexploitation du personnel, des actifs ou des capacités, à la surexploitation financière, et à la surexploitation des bases de commandement et de contrôle. Les pénuries de personnel et de capacités énumérées ci-dessus devraient être relativement faciles à surmonter si les puissances militaires les plus modernes du monde s’engageaient plus sérieusement vis-à-vis des opérations de maintien de la paix de l’ONU. En ce qui concerne l’UA, convaincre davantage de pays parmi les 53 membres de l’organisation de former et déployer leurs soldats et leurs forces de police dans le cadre d’opérations de maintien de la paix serait un gage d’efficacité et de légitimité. En termes financiers, les coûts ont régulièrement augmenté, alors qu’il a été demandé aux opérations de maintien de la paix de remplir un nombre croissant de tâches, bien souvent dans des environnements hostiles. Or, et c’est une bonne nouvelle, les opérations de maintien de la paix des Nations Unies sont rentables en comparaison des opérations menées par les États les plus militairement avancés du monde appartenant à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Fixé à environ 8 milliards de dollars US en 2008-2009, le budget de l’ONU affecté aux opérations de maintien de la paix représente moins d’1 % des dépenses militaires mondiales. Pour ce qui est des structures de commandement et de contrôle en revanche, un personnel de gestion mieux formé est nécessaire au sein des secrétariats concernés des organisations cruciales, surtout au niveau de l’ONU et de l’UA.

Recruter un plus grand nombre de civils. Une composante importante de la solution aux insuffisances capacitaires des missions de maintien de la paix est le renforcement des éléments civils, en particulier la police mais également les civils possédant une expertise sur l’État de droit, l’ingénierie, l’agriculture et d’autres questions liées au développement. Bien que le déploiement de civils puisse en réalité être plus coûteux individuellement que le déploiement de soldats, lorsque les objectifs stratégiques d’une opération consistent à consolider une paix autonome et non pas tout simplement à accomplir des tâches militaires spécifiques, les civils constituent une partie essentielle de la mission et la priorité devrait leur être accordée en conséquence. Les décideurs politiques doivent donc réfléchir très sérieusement à la manière dont ils peuvent recruter un nombre de civils suffisamment qualifiés et les convaincre de consacrer beaucoup de leur temps des opérations de maintien de la paix. Il est en outre important d’engager davantage de civils locaux ainsi que des étrangers. Parallèlement, la création d’un groupe de personnel de mission extrêmement qualifié et expérimenté constituera l’un des éléments importants d’une solution aux défis concernant le commandement et le contrôle identifiés ci-dessus.

Conclusion

Les opérations de maintien de la paix en Afrique ont mis en lumière certaines des meilleures et des pires dimensions des opérations de maintien de la paix. Malgré diverses critiques valables et de graves imperfections, les opérations de maintien de la paix n’en restent pas moins le principal outil de gestion des conflits dont dispose la société internationale, et les preuves empiriques suggèrent qu’elles ont contribué au déclin des conflits dans un grand nombre de territoires déchirés par la guerre. Pour utiliser un cliché, si les opérations de maintien de la paix n’existaient pas, il serait sage de les inventer. Cependant, comme c’est le cas de toute bonne création, des réformes sont nécessaires afin de mettre en relief les éléments qui fonctionnent bien et modifier ceux qui ont échoué. Par conséquent, les décideurs politiques et les analystes doivent chercher à garantir que les opérations de maintien de la paix reçoivent des directives opérationnelles raisonnables, des mandats clairs et des ressources suffisantes pour atteindre les objectifs fixés. Les réussites qui en découleront contribueront à confirmer la tendance à la réduction du nombre et de l’ampleur des conflits africains, réduiront les coûts humains et économiques de la violence et ouvriront ainsi la porte à un développement plus dynamique et durable.

Notes

  1. En se basant sur l’estimation de Paul Collier selon laquelle le coût de chaque guerre civile « typique » dans un pays à faible revenu est d’environ 64 milliards de dollars US. Voir <http://users.ox.ac.uk/~econpco/research/conflict.htm>. Une estimation prudente pour- rait identifier 11 guerres de ce type en Afrique depuis 2000 (Angola, Burundi, Tchad, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Liberia, Nigeria, Somalie, Soudan [à deux reprises] et Ouganda).
  2. Bruce Jones et al., « Building on Brahimi: Peacekeeping in an Era of Strategic Uncertainty » [Au-delà de Brahimi : opérations de maintien de la paix à une époque d’incertitude stratégique] (New York: Center on International Cooperation, avril 2009), 12.
  3. Voir Paul D. Williams, « The African Union’s Peace Operations: A Comparative Analysis » [Les opérations de maintien de la paix de l’Union Africaine : une analyse comparative] African Security 2, no. 2/3 (2009), 97–118.
  4. « Rapport du Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations Unies », document des Nations Unies A/55/305–S/2000/809 (New York: UN, 2000).
  5. Il s’agit de brigades de police blindées spécialisées composées d’environ 125 agents provenant d’un seul pays.

Le Prof. Paul D. Williams est professeur associé à la « Elliot School of International Affairs » de l’Université George Washington. Understanding Peacekeeping [Comprendre le maintien de la paix], 2ème édition (Polity Press, 2010) fait partie de ses nombreuses publications.


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