Africa Security Brief No. 7

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Forces non étatiques de maintien de l’ordre : élargir les paramètres pour faire face à la violence urbaine en Afrique

Par Bruce Baker

30 septembre 2010


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POINTS SAILLANTS

  • L’aggravation de la violence urbaine obère les capacités de la police en Afrique.
  • En Afrique, les forces de police souffrent souvent de plusieurs maux : manque de ressources, d’entraînement, de responsabilisation véritable et méfiance des communautés locales, ce qui les empêche de faire face efficacement aux défis sécuritaires.
  • L’organisation d’une police de proximité permet de bénéficier de l’appui et des connaissances des populations locales, lui apportant accessibilité et efficacité. Les partenariats entre la police nationale et la police de proximité présentent donc un moyen, jusque-là peu reconnu, permettant d’élargir sensiblement la couverture sécuritaire des zones urbaines en Afrique, à court terme et de façon abordable.

La menace de La crimina Lité urbaine en afrique

Dans les villes africaines, les délits violents sont endémiques et, en bien des endroits, la situa- tion s’aggrave. Une statistique pour l’ensemble de l’Afrique : 20 homicides pour 100.000 habitants (5,4 pour l’Europe, 6,5 pour l’Amérique du Nord et 25,9 pour l’Amérique du Sud).1 Le problème est particulièrement grave dans certaines zones urbaines. Le taux d’homicide à Kinshasa serait de 112 pour 100.000 habitants. La police nigériane enregistre depuis 20 ans une augmentation constante du nombre de meurtres et tentatives de meurtre.2 Le nombre d’attaques à main armée est également très élevé en Afrique. Trente-sept pour cent des habitants de Nairobi indiquent avoir été victime de délits. Dans certaines villes au Mozambique, le chiffre s’élève à 27 % et en République démocratique du Congo (RDC), à 21 %.3

Selon une étude réalisée dans un hôpital du Cap, 94 % des patients auraient été exposés à des violences au cours de leur vie.4 Les services de police en Afrique du Sud signalent également une hausse inquiétante des crimes sexuels et 27 % des hommes admettent avoir commis un viol.5

Quelle que soit l’exactitude des statistiques sur la criminalité en Afrique, la perception de l’intensification du danger produit une angoisse généralisée. Au Nigéria, à Lagos, 70 % des personnes interrogées au cours d’une enquête municipale craignaient d’être victimes de délits graves.6 À Nairobi, plus de la moitié des habitants s’inquiètent « tout le temps » ou « très souvent » de la criminalité. »7 Selon une étude de la Banque mondiale, en Zambie, le degré de la crainte de la criminalité affecte les décisions d’activité professionnelle des enseignants.8 Selon les comptes-rendus empiriques des habitants urbains un peu partout en Afrique, les taux de criminalité urbaine ont connu une augmentation rapide ces deux dernières décennies, intensifiant un sentiment de crainte qui entrave le commerce, délite le capital social et sape les activités ordinaires d’une ville. Les délits violents constituent une menace quotidienne pour de nombreux résidents des ones urbaines du continent.

Ces taux élevés comportent de nombreux facteurs contributifs, qui, dans une grande mesure, ne sont pas surprenants étant donné la pauvreté en Afrique et la proximité de la richesse dans les villes. Les nombreux conflits chroniques du continent y jouent indubitablement un rôle. De nombreuses villes africaines ont soit pris part directement à une guerre soit en ont subi les conséquences socio-économiques. Ces conflits ont engendré des cultures politiques de violence et trau- matisé, divisé et appauvri davantage encore la société, tout en renforçant l’accessibilité des armes à feu. En 2005, le pourcentage de ménages urbains possédant des armes à feu était de 18,3 % en Afrique du Sud, 22,1 % en Namibie, 31,1 % en RDC et 56,3 % au Burundi.9

« l’accroissement des menaces contre la stabilité induit par ces difficultés sécuritaires internes souligne l’importance croissante de la police pour la sécurité nationale en Afrique »

La globalisation est également à l’origine de la montée de la criminalité dans les villes africaines. L’intégration progressive de l’Afrique dans le commerce international lui apporte, certes, de nouvelles opportunités et de nouveaux produits, mais elle attire également les négoces illicites, les chantages à la protection, la contrebande et le blanchiment de capitaux. Une nouvelle compréhension des entrainements acceptables pour l’apprentissage de la vie accompagne la progression du crime organisé.10 Aujourd’hui, la voie de la réussite semble moins être liée à l’instruction et au travail assidu qu’à la criminalité, aux marchés illicites et aux stratagèmes.

En Afrique, la déficience des services sécuritaires et le grand nombre de chômeurs ou de personnes sous-employées, prêtes à tout pour survivre, constituent un terrain fertile pour les malfaiteurs internationaux. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’Afrique de l’Ouest avec ses services de police inefficaces, ses gouvernements et ses forces sécuritaires corruptibles, serait une narco-région émergente, offrant aux trafiquants exportateurs de stupéfiants une escale à miparcours commode vers l’Europe. Ces activités criminelles internationales donnent aux insurgés, aux milices, aux extrémistes politiques et aux organisations terroristes des opportunités de financement de leurs activités. Par exemple, selon certains comptes-rendus, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) autoriserait, contre paiement, le passage sous escorte armée sur son territoire des convois de transport de stupéfiants, en provenance d’Afrique de l’Ouest.11 D’autres groupes terroristes basés en Afrique s’autofinancent par des enlèvements.

Cette poussée de la criminalité urbaine en Afrique aggrave d’autres sources d’instabilité. Elle décourage la formation d’institutions politiques viables, la croissance économique et la réconciliation sociale.12 Le taux de criminalité élevé sape également la confiance et le respect envers le gouvernement, ce qui handicape sa capacité de leadership et la participation des citoyens. De plus, ces appréhensions dissuadent l’investissement intérieur et international, ce qui affecte d’autant plus les perspectives économiques.

L’accroissement des menaces contre la stabilité induit par ces difficultés sécuritaires internes souligne l’importance croissante de la police pour la sécurité nationale en Afrique. De fait, force est de constater que les forces sécuritaires doivent y être remaniées dans le sens d’une force de police correspondant mieux aux enjeux sécuritaires internes de notre époque.

Carences de la police en afrique

Toutefois, en toute objectivité, la police en Afrique n’a pas été en mesure de faire réellement face à la criminalité urbaine. Ceci est, en partie, le résultat d’un environnement difficile, du manque d’intérêt classique de la police pour les pauvres et de son manque de res- sources (effectifs, compétences et équipements).

Trop souvent la présence de la police dans les villes à forte densité démographique, où habitent la plupart des citadins, reste sporadique et le nombre d’agents disponibles est très restreint. Et ceux qui sont présents sont souvent mal entraînés et parfois même quasi-illettrés. Plus généralement, les gouvernements africains n’ont souvent ni les ressources, ni les capacités institutionnelles, ni parfois même le contrôle du territoire. Les ressources existantes sont couramment destinées en priorité aux forces militaires, et non pas à la police. Cette préférence pour les armées a affaibli la police qui manque alors de : compétences en matière de gestion, coordination interministérielle, savoir-faire techniques, matériel de communication, de transport et parfois même d’éclairage, de bureautique, d’armoires de classement, de papier à entête, d’ordinateurs, d’uniformes et de laboratoires légistes, tout ceci minant son efficacité.

Viennent s’ajouter à ces difficultés de longs antécédents d’inaction, de corruption et d’impunité, courantes en Afrique et dont les origines remontent, en partie, aux méthodes policières de coercition de l’époque coloniale. Selon une analyse à l’échelle continentale, la police dans la plupart des pays africains est « ouvertement brutale, corrompue, inefficace, indifférente et sans conscience, aux yeux de la population générale ».13 D’ailleurs, plusieurs rapports d’Amnesty International, de l’International Bar Association, de la Commonwealth Human Rights Initiative et d’autres éminentes institu-tions de recherche internationale notent fréquemment le comportement regrettable de la police sur tout le continent.14 Selon les données d’Afrobaromètre, seule une minorité de citoyens de quelques pays—Bénin, Zambie, Nigéria, Afrique du Sud et Kenya—fait « beaucoup » ou « assez » confiance à la police.

En Afrique, lorsque les organismes de police s’acquittent de leurs fonctions à la suite d’un confit, ils sont confrontés à un environnement encore plus ardu. Bien souvent, au sortir du conflit, il apparaît que les effectifs de la police ont abandonné leur poste, été tués ou encore se sont rendus coupables de violations des droits humains, et ne sont donc plus aptes à leur emploi. Par exemple, au cours de la guerre civile en Sierra Leone, quelque 900 agents de police ont été tués et un grand nombre ont été victimes d’amputations. De ce fait, les effectifs de la police de 9.317 sont passés à 6.600.15 Après la guerre civile, pendant des années, les commissaires de police de tout le pays ont signalé un grave déficit d’agents, de véhicules, de téléphones et de logements pour leurs hommes.16

Ainsi, en situation post-conflictuelle, le dilemme est double. Les mécanismes d’ordre social sont sapés, la pauvreté est exacerbée, les armes et les ex-combattants chômeurs sont en surnombre. En revanche, les ressources disponibles et les effectifs de la sécurité sont en régression et le respect pour ces organes peut connaître une érosion sensible en raison des violences pendant le conflit.

De nombreux gouvernements africains ont lancé la restructuration, l’entraînement et l’encadrement de ces organismes, avec peu de succès. D’ailleurs,

peu de citoyens escomptent une transformation rapide des activités de la police et de ses effectifs. La plupart d’ailleurs doutent que le gouvernement soit apte et disposé à financer les mesures nécessaires pour assurer la disponibilité, la responsabilisation, l’intégrité, l’efficacité de la police et son partenariat avec les communautés. Le scepticisme des citoyens est avivé par les reportages fréquents sur les abus pol- iciers, la collaboration de la police avec des criminels et l’omniprésence des pots-de-vin que règlent les ci- toyens à la police au passage des barrages routiers17 et pour qu’elle fasse son travail d’enquête sur les délits.

« [il y a des] longs antécédents d’inaction, de corruption et d’impunité, courantes en Afrique »

Cette réalité amène de nombreux citoyens à aller chercher une protection ailleurs. Comme l’expliquait un habitant de Nairobi : « Si vous ne prenez pas des dis- positions de sécurité supplémentaires en plus de ce que fournit l’état, vous êtes vulnérable aux agressions ».18 Bref, la protection de la police officielle ne suffit pas pour faire face à la violence croissante que vivent de nombreuses villes africaines. Les commandants de la police locale eux-mêmes reconnaissent l’utilité de pro- tections supplémentaires pour suppléer à leurs effectifs peu performants.

Police de Proximité : prestataires incompris

Dans les villes, en Afrique, la police est presque toujours faible et sous-équipée, mais les citoyens ne sont pas pour autant dénués de services de police. De fait, la majorité des citoyens ont largement accès à des services de police, mais fournis pas des acteurs non étatiques. En Afrique, on ne saisit pas toujours que les acteurs informels sont nombreux et diversifiés et qu’ils sont les principaux prestataires de ces fonctions, jouissant de l’appropriation locale, d’une pertinence culturelle, d’une accessibilité, d’une pérennité et d’une efficacité véritables. Selon certaines estimations, en Afrique, plus de 80 % des services de justice relèvent de prestataires non étatiques.19

Le secteur non étatique est très hétérogène, toute généralisation pour le dénoncer ou le louer, serait inutile. Citons quelques-uns des nombreux prestataires de fonctions de police : chefs traditionnels, organisations religieuses, associations ethniques, groupements de jeunes, associations de riverains, associations professionnelles, forums de police socio-préventive, organisations de quartier, sociétés locales et internationales de sécurité et chefs d’entreprise locaux. Quoi qu’on en dise, ce ne sont pas tous des miliciens, ni des militants, portés sur la violence et les abus. De fait, ils sont souvent préférés par les citadins en Afrique. Selon une enquête réalisée dans quatre états au Nigéria, seize organisations non étatiques de maintien de l’ordre traitent les questions de criminalité et étaient préférés dans 38 à 89 % des cas par les habitants, au moment de cette enquête.20

« en Afrique, on ne saisit pas toujours que les acteurs informels sont nombreux et diversifiéset qu’ils sont les principaux prestataires de ces fonctions, jouissant de l’appropriation locale, d’une pertinence culturelle, d’une accessibilité, d’une pérennité etd’une efficacité véritables »

La police non étatique se trouve le plus souvent à quelques pas, elle opère dans les langues locales, elle n’a pas recours à un jargon ni à des procédures juridiques formels, et son intervention est plus ou moins garantie, ce qui la rend plus usuelle et plus accessible. Ses honoraires sont souvent peu onéreux. Elle connaît le contexte local, règle couramment les différends entre voisins, neutralise les comportements antisociaux, assure la protection nocturne des domiciles et retrouve les articles volés, plus efficacement que la police officielle. Cette police est pertinente en termes culturels car elle assure l’application des normes courantes quant à ce qui constitue un délit et comment il convient de l’aborder pour rétablir l’harmonie communautaire. Elle existe non pas uniquement parce que la police nationale ne peut assurer le maintien de l’ordre, mais parce qu’elle semble appliquer un ordre étranger, inadapté et erroné.

À l’évidence, certaines critiques à l’adresse des protagonistes locaux et non étatiques sont justifiées. Certains sont effectivement enclins aux violations des droits de la personne, ou encore ne sont pas fiables, leurs compétences sont médiocres et sont dénués de transparence et ils n’ont aucune responsabilité envers toute hiérarchie. Toutefois, la plupart représentent des groupements autonomes, sans violence. Ce sont souvent des citoyens respectés, à l’esprit civique, qui collaborent régulièrement avec la police africaine.21 Ces liens sont bien souvent appréciés par la hiérarchie de la police locale qui ne peut s’acquitter de toutes ses responsabilités sans l’assistance des populations locales. Quant aux protagonistes non étatiques, en dépit des insuffisances avérées de la police, leurs relations avec elle leur donne la légitimité et l’accès aux ressources. Ils peuvent également s’assurer que la police est plus efficiente et responsabilisée. Leur collaboration porte d’ordinaire sur les échanges de renseignement, et le recours aux mêmes équipements, entraînement et responsabilités opérationnelles.

La collaboration entre la police nationale et la police non étatique est courante dans les villes africaines. Au niveau primaire de la fonction publique, l’état rwandais a autorisé des volontaires à se charger des activités quotidiennes de la police. Et c’est souvent l’organe de police privilégié. Ces autorités remarquent les étrangers dans les quartiers, signalent aux autorités officielles toute activité anormale, entament le règlement des différends, patrouillent et enquêtent sur les petits délits. Leur sphère d’activité restreinte, allant de 50 à 200 ménages, pourrait sembler constituer une surveillance excessive de l’état, susceptible d’être détournée à des fins politiques. En revanche, selon les sondages locaux, ces activités réduisent sensiblement la criminalité urbaine.

La police au Libéria, impuissante face à la montée de la criminalité armée, a établi à Monrovia, en consultation avec les dirigeants communautaires, des zones de sécurité chacune étant sous la vigilance d’une équipe spécifique. Ces équipes de surveillance patrouillent les banlieues la nuit, avec la police parfois, et fréquentent des quartiers où rares sont les agents qui accepteraient de s’y rendre seuls. La mixité de ces équipes de surveillance a permis de maîtriser la violence à l’égard des délinquants et d’élargir la présence policière.

Une coopérative de commerçants du sud du Soudan, à Yei, s’est organisée avec la police pour que tout négociant arrêté soit remis entre ses mains pour résou- dre les problèmes et en rendre compte à la police. Ces dispositions peuvent brouiller l’application régulière de la loi, mais il s’agit d’une réussite pour la police car elles allègent son fardeau professionnel et pour l’association, car elles empêchent l’escalade de différends au fond mineurs, dans un système pénal lent et onéreux.

Citons un autre cas, en Ouganda. L’association des chauffeurs de taxi et la police ont convenu de permettre à l’association de faire acte de police dans les aires de stationnement des taxis et des autocars pour ce qui concerne les délits de la circulation, les pickpockets et les différends entre les chauffeurs et leurs clients. En échange de quoi, la police forme les membres de l’association à la lutte contre la criminalité. Au dernier sondage, ces dispositions servaient les intérêts de toutes les parties concernées.

En Afrique du Sud, au Cap, un arrangement de partenariat du secteur privé, avec des groupements informels et du secteur commercial, connaît des résultats positifs. Le maintien de l’ordre en centre ville est assuré par Cape Town Partnership, une organisation créée et contrôlée par le conseil municipal et la communauté des affaires. Des gardes privés patrouillent le quartier et sécurisent les lieux publics en centre ville. Ils sont en contact radio avec la centrale de la police municipale et ils surveillent également le système de télévision en circuit fermé (CCTV) du quartier. L’une des préoccupations serait que cette démarche déplace tout simplement la criminalité et que les « indésirables » (camelots, sans-abri et mendiants) sont « poursuivis ». Toutefois, ce programme est considéré comme une réussite car il a permis de créer un centre ville plus sûr, plus attractif pour l’investissement et le tourisme.

Ce ne sont pas là des exemples isolés. Au con- traire, dans les villes un peu partout en Afrique, de nombreux protagonistes assurent le maintien de l’ordre, dans le cadre de partenariats souvent informels (mais aussi parfois formels) avec la police locale. Les chefs des forces de police qui prennent part à ces partenariats avouent qu’ils permettent de rehausser l’efficacité de la police et sa réputation professionnelle. En outre, il faut bien le dire, les gardes privés protègent les piliers de l’économie dans les villes (banques, hô- tels, usines, organisations internationales, ambassades, bâtiments de la fonction publique et de l’ONU). La stabilité obtenue encourage à son tour le développement économique.

Il est vrai que les protagonistes non étatiques n’ont ni les ressources, ni les compétences pour lutter contre la criminalité internationale. Toutefois, leur apport dans le cadre des activités policières au quotidien donne à la police davantage de latitude pour réorienter ses ressources et cibler la menace du crime international et organisé. Les acteurs non étatiques apportent également à la police un réseau de renseignement vital sur ces activités criminelles. . Parallèlement, dans la mesure où l’activité de police non étatique apporte une sécurité acceptable, elle encourage l’égalité sociale dont l’absence serait, selon certains arguments, un facteur contributif de la criminalité. Bref, il existe suffisamment d’exemples réussis d’activité de police non étatique, à l’échelon local, pour penser qu’un cadre national, novateur, de partenariat sécuritaire entre les protagonistes étatiques et non étatiques, pourrait être largement et systématiquement adopté pour faire face à la montée de la criminalité urbaine en Afrique.

Un programme pour aborder la criminalité urbaine en afrique

Les programmes destinés à faire face à la criminalité urbaine en Afrique doivent tenir compte de deux faits. Premièrement : la police nationale est trop précaire pour se charger seule de la prévention de la criminalité et des enquêtes. Deuxièmement : il existe de nombreux protagonistes non étatiques qui se chargent du maintien de l’ordre, quotidien dans les villes. La création d’un service de police nationale, équipé et avec une présence suffisante pour desservir toute la population, prendrait des années et serait bien au-delà des moyens budgétaires de nombreux états africains. En revanche, il serait bien moins onéreux et plus viable d’appuyer les acteurs non étatiques en activité sur le terrain et qui remplissent certaines normes. Que reste- t-il à faire ? Mettre en place un programme coordonné d’aide ciblée, en faveur d’une police communautaire/ privée, non étatique, venant renforcer l’appui apporté à la police nationale.22

Il n’est pas nécessaire que ce programme com- mence de rien avec des partenaires inconnus. Il devrait s’appuyer sur des partenariats existants et réussis, souvent méconnus, avec des résultats et une efficacité tangible. En animant ces partenariats, les donateurs internationaux permettront de prendre en main les préoccupations des communautés pauvres et marginalisées qui composent nettement les zones urbaines grandissantes de l’Afrique. Les partenariats empêchent également les exécutants non étatiques et la police nationale de prendre leur autonomie intégrale et d’agir en toute impunité. Dans ces partenariats semi-formels, le plus souvent les acteurs non étatiques adoptent des normes de maintien de l’ordre généralement acceptées et s’y conforment.23

« dans la mesure où l’activité de police non étatique apporte une sécurité acceptable, elle encourage l’égalité sociale dont l’absence serait, selon certains arguments, un facteur contributif de la criminalité »

Ces activités de police en partenariat étatique/ non étatique accroissent l’efficacité et la performance. D’aucuns craignent qu’un appui aux acteurs non étatiques ne détourne des ressources précieuses de la police formelle. Toutefois, la plupart de ces acteurs n’exigent qu’un appui relativement minime. Ces partenariats n’ont pas besoin d’immeubles, d’ordinateurs onéreux, ni de salaires somptueux. Un petit investissement dans ces organes non étatiques produit des avantages pour la police nationale qui se traduisent par davantage d’effectifs sur le terrain et l’affermissement et un meilleur renseignement. En outre, cet effort peut se situer en parallèle des initiatives de renforcement des capacités de la police nationale, et ne porte pas atteinte à la productivité de la police. Au contraire, un partenariat permet la répartition du travail pour que la police puisse se consacrer à ses fonctions essentielles et faire usage de ses compétences, de son autorité et de ses connaissances spécialisées, alors que les acteurs non étatiques peuvent s’acquitter du maintien de l’ordre communautaire et quotidien (avec l’appui de la police nationale lorsque leurs compétences ne suffisent pas). Pour mieux incorporer ces avantages, il conviendrait de prendre plusieurs mesures de premier plan :

Connaître les protagonistes et situer les points de référence du partenariat. Il est essentiel, tout d’abord, de faire le relevé de ces groupements non étatiques, car l’on ignore parfois ceux qui se trouvent sur le terrain, leurs activités et leur mode de travail. À partir de cette cartographie, il est essentiel d’identifier ceux qui sont dignes d’appui. Les meilleurs partenaires non étatiques fiables et efficaces sont ceux qui sont les plus ouverts à la réforme et, surtout, ceux qui jouissent d’un large appui local. Considérés légitimes et efficaces par leurs administrés, leur performance de qualité sera alors des plus viables. Toutefois, le seuil de leur acceptabilité ne peut être situé trop haut et exiger d’un groupement non étatique qu’il remplisse les normes internationales. Après tout, rares sont les forces de police en Afrique qui pourraient remplir ce critère. Il est donc important qu’un groupement de maintien de l’ordre communautaire possède une crédibilité locale, ne soit ni criminel ni abusif, et soit ouvert à la réforme.

Formuler des directives de performance et des mé- canismes de supervision. Il conviendrait d’élaborer un cadre obligatoire des normes de maintien de l’ordre pour orienter la performance, les procédures, les domaines de compétence, les interventions et autres activités ordinaires des partenaires non étatiques. Un programme d’accréditation prenant acte des connaissances et des compétences avérées de ces partenaires du maintien de l’ordre serait également positif. Il leur donnerait une certaine légitimité et leur offrirait la possibilité de suivre leur performance et de l’améliorer. Les groupements non étatiques de maintien de l’ordre, accrédités, souscrivant à ces normes pourraient également relever des structures municipales. En s’inspirant du modèle du Cape Town Partnership, la police nationale pourrait remplir des fonctions de supervision et de coordination municipales. Elle recevrait les comptes-rendus concernant les activités dangereuses, solliciter l’intervention des groupes non étatiques de maintien de l’ordre et décider le cas échéant de l’intervention de la police nationale.

Signalons, et c’est important, que le relèvement des normes ne s’appliquerait pas uniquement aux pro- tagonistes non étatiques. Les compétences des deux parties partenaires doivent être améliorées. Le respect et la confiance mutuels des deux côtés en seront rehaussés, les deux parties bénéficieront d’un meilleur appui des populations locales en démontrant leur réactivité aux besoins locaux et leurs compétences dans les domaines de spécialisation qui leur sont propres. Ceci signifiera que les protagonistes non étatiques seront chargés de régler les problèmes locaux de délinquance et de l’ordre public. La police, quant à elle, se chargera des enquêtes judiciaires spécialisées ou plus complexes et des incidents importants.

Les sites urbains de criminalité élevée sont mûrs pour un partenariat. Dans les villes, la première mesure à prendre consisterait de trouver des solutions pour deux environnements urbains au taux de criminalité élevé : les marchés et les parcs de stationnement des taxi-bus. Les groupements non étatiques engagés dans le maintien de l’ordre y sont déjà en activité. La police et les associations, par exemple des commerçants et des chauffeurs, doivent s’unir pour mieux y maintenir l’ordre, car ces sites ont souvent une forte criminalité étant donné la gamme de leurs activités économiques et leur densité de fréquentation. Les partenariats étatique-non étatique pourraient organiser une répartition convenue du travail, des programmes de formation au maintien de l’ordre et d’application des lois, et des forums coopératifs pour rehausser la sécurité dans ces zones urbaines essentielles.

Conclusion

Les programmes de maintien de l’ordre visant la réforme des prestataires étatiques sont peu suscep- tibles, avec des capacités restreintes, de rehausser véritablement dans l’immédiat la sécurité dans les villes africaines. C’est pourquoi il convient de tenir compte des nombreux protagonistes non étatiques qui participent au maintien de l’ordre quotidien, sur le terrain. La collaboration de la police avec des groupe- ments non étatiques acceptables constitue une modalité abordable et durable du développement des activités de police en zone urbaine. En d’autres termes, les partenariats avec des protagonistes non étatiques permettent aux gouvernements africains d’élargir la protection contre la criminalité et d’en faire bénéficier davantage de citoyens. Outre l’amélioration de la protection locale contre la criminalité, cette formule rehaussera la légitimité du gouvernement, l’égalité sociale et fera régresser l’attrait des organisations malintentionnées qui se nourrissent de la pauvreté et des rancœurs.

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Notes

  1. “Global Burden of Armed Violence Report,” Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement, 2004.
  2. Statistiques officielles sur la criminalité, Centre for Law Enforcement Education in Nigeria (CLEEN Foundation), cf. <http:// www.cleen.org/officialcrimestatistic.html>.
  3. Robert Muggah et Anna Alvazzi del Frate, “More Slums Equals More Violence: Reviewing Armed Violence and Urbanization in Africa,” Programme des Nations Unies pour le développe- ment, Octobre 2007.
  4. The Trauma Center, cf. <www.trauma.org.za>.
  5. Rachel Jewkes, Yandisa Sikweyiya, Robert Morrell et Kris- tin Dunkle, “Understanding Men’s Health and Use of Violence: Interface of Rape and HIV in South Africa,” (Pretoria: Medical Research Council, 2009).
  6. Etannibi EO Alemika et Innocent C. Chukwuma, Criminal Victimization and Fear of Crime in Lagos Metropolis, CLEEN Founda- tion, Monograph 1, 2005.
  7. “Crime & Violence at a Glance,” Global Reports on Human Settlements 2007, Programme des Nations Unies pour les établissements humains (UN-HABITAT), 2007.
  8. Caroline Moser et Jeremy Holland, “Household Responses to Poverty and Vulnerability, Volume 4: Confronting Crisis in Chawama, Lusaka, Zambia,” (Banque mondiale, 1997), 125.
  9. Programme des Nations Unies pour le développement, 4.
  10. AbdouMaliq Simone, Principles and Realities of Urban Governance in Africa, Programme des Nations Unies pour les établissements humains (UN-HABITAT), 2002.
  11. Stephen Ellis, “West Africa’s International Drug Trade,” Center for Strategic and International Studies, 6 Novembre 2009.
  12. Charles T. Call, “Competing Donor Approaches to Post-conflict Police Reform,” Conflict, Security & Development 2, no. 1, 110; “Post-Conflict Reconstruction Task Framework Report,” Center for Strategic and International Studies et le Association of the United States Army (AUSA), 2002.
  13. Institute for Democracy in Africa (IDASA), “Conference Summary Report, Police Reform & Democratization Conference,” IDASA 2007, cf. <http://www.idasa.org.za/index.asp?page=topics_ details.asp%3FRID%3D11>.
  14. Commonwealth Human Rights Initiative, “Policing in East Africa,” 2006; International Bar Association Human Rights Institute, “Partisan Policing: An Obstacle to Human Rights and Democracy in Zimbabwe,” 2007; “Nigeria: Killing at Will: Extrajudicial Executions and Other Unlawful Killings by the Police in Nigeria,” Amnesty International, 2009; IDASA, 2007.
  15. Mark Malan, Angela McIntyre, et Phenyo Rakate, Peacekeeping in Sierra Leone: UNAMSIL Hits the Home Straight, Mono- graph 68 (Pretoria: Institute for Security Studies, 2002), 65.
  16. Bruce Baker, “Who Do People Turn to for Policing in Sierra Leone?” Journal of Contemporary African Studies 23, no. 3 (Septembre 2005).
  17. Selon la recherche en 2002, chaque Kenyan a en moyenne dû soudoyer la police 4,5 fois par mois, au total 16 USD par mois. Plus de 95 % des contacts avec la police se soldent par un pot-de-vin. Betty Wamalwa et Atsango Chesoni, “National Integrity Systems Country Study Report: Kenya 2003,” Transparency International.
  18. Pamela Leach, “Citizen Policing as Civic Activism: An International Inquiry,” International Journal of the Sociology of Law 31, no. 3 (2003).
  19. OECD DAC, Handbook on Security System Reform: Supporting Security and Justice, OCDE, 2007; Bruce Baker, Security in Post-conflict Africa: The Role of Non-State Policing (Boca Raton: CRC Press, 2009).
  20. Etannibi Alemika et Innocent Chukwuma, “The Poor and Informal Policing in Nigeria,” CLEEN Foundation, 2004.
  21. Baker, 2009.
  22. OECD DAC.
  23. Bruce Baker et Eric Scheye, “Access to Justice in a Post- conflict State: Donor-Supported Multidimensional Peacekeeping in Southern Sudan,” International Peacekeeping 16, no. 2 (2009).

Le professeur Bruce Baker enseigne la Sécurité afric- aine à Coventry University (Royaume-Uni).


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