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S’appuyant sur sa longue tradition d’engagement des praticiens dans la gouvernance du secteur de la sécurité, le professionnalisme militaire et le rôle de la formation militaire professionnelle en Afrique, le CESA a mis l’accent sur ces questions en 2022, à l’occasion du U.S.-Africa Leaders Summit. En tant que nouveau responsable de la faculté pour cet effort (ayant occupé des postes de coopération en matière de sécurité au Sud-Soudan, au Nigéria et en Somalie), je voulais profiter de cette occasion pour me présenter et donner des raisons pour lesquelles le concept de professionnalisme militaire est si vital pour toute armée, pourquoi il est important pour la sécurité de l’Afrique, ce que le CESA fait pour améliorer le professionnalisme militaire, et les façons dont ses anciens auditeurs peuvent s’impliquer davantage dans ces initiatives.
Le professionnalisme militaire est un concept que de nombreuses armées – y compris celle des États-Unis – peinent à définir clairement. Dans un sens, il peut être assimilé à la discipline et à la conduite ; dans un autre sens, il indique les aspects d’une vocation. En 1957, le politologue Samuel Huntington a étendu les travaux de Max Weber sur le professionnalisme au corps des officiers de l’armée. Dans son ouvrage de référence, Le soldat et l’état, Huntington décrit le professionnalisme militaire comme la possession des qualités suivantes : expertise dans les affaires militaires, responsabilité d’utiliser cette expertise pour le bien des citoyens et un sentiment de fierté institutionnelle et de compétence. Selon Huntington, en renforçant le professionnalisme militaire, les institutions militaires concentreraient leurs efforts sur le maintien de leur expertise et de leur intégrité aux yeux des citoyens et en viendraient à apprécier leur rôle distinctif au-dessus de la mêlée politique. La séparation claire des sphères militaire et politique permettrait ce que Huntington a appelé le contrôle objectif de l’armée par les dirigeants civils.
Si Huntington a fait œuvre de pionnier dans l’étude des relations civilo-militaires, sa définition du professionnalisme militaire n’est peut-être pas adaptée aux armées africaines. En effet, les concepts de professionnalisme militaire et de contrôle objectif de Huntington reposent sur l’observation d’une armée axée sur la protection d’un pays contre les menaces extérieures. Dans ce cas, les menaces internes ont été traitées principalement par des moyens de maintien de l’ordre, et non par des moyens militaires1. Comment devons-nous donc envisager le professionnalisme militaire dans le contexte d’armées qui ont souvent la responsabilité de faire face à des menaces externes et internes ?
Récemment, Pat Paterson, du William J. Perry Center for Hemispheric Studies – un centre régional frère du CESA – a exposé sur un concept de professionnalisme militaire qui est peut-être plus pertinent pour les pays africains. Il affirme qu’il existe quatre éléments clés pour l’évaluation de l’état du professionnalisme militaire dans une armée : l’éducation et la formation militaires formelles, la subordination des militaires aux représentants civils élus, la connaissance et la pratique du droit international humanitaire (communément appelé le droit des conflits armés) et le droit international des droits de l’homme, ainsi qu’un programme fonctionnel d’éthique militaire professionnelle. Ces composantes, lorsqu’elles sont exercées ensemble et pratiquées individuellement ou collectivement, produisent une armée qui utilise son expertise pour servir les intérêts du gouvernement et de ses citoyens.
Le professionnalisme militaire est une composante essentielle d’une approche gouvernementale globale visant à relever les défis sécuritaires de l’Afrique, dont beaucoup sont internes. Les conflits internes sont ce que le Général Rupert Smith appelle la « guerre entre un peuple », par opposition à un conflit externe ou à une « guerre entre des peuples ». Comme les conflits internes se déroulent à l’intérieur de frontières géographiques et sociales, la manière dont une armée utilise son pouvoir de coercition dans des situations nationales est un facteur déterminant pour la résolution ou la suite du conflit.
Le professionnalisme militaire, au sens de Paterson, est un outil puissant qui permet à une armée de contribuer de manière substantielle à la résolution d’un conflit interne, parallèlement à d’autres actions gouvernementales. Un niveau élevé de professionnalisme militaire permet à une organisation militaire d’appliquer de manière réfléchie son expertise dans les arts et les sciences militaires et d’utiliser la force d’une manière efficace d’un point de vue stratégique, et pas seulement tactique. Cela permet de minimiser les conséquences involontaires de l’utilisation de la puissance militaire, telles que les détentions extralégales, la perception de partialité et les pertes civiles qui pourraient ternir l’image de l’armée et du gouvernement chez les citoyens. En outre, le professionnalisme militaire contribue à accroître le soutien de la population à l’armée et au gouvernement et à renforcer la perception de leur légitimité, ce qui a pour effet de renforcer les liens entre le gouvernement et les citoyens.
Le CESA s’efforce d’améliorer le professionnalisme militaire sur le continent par le biais de trois approches principales. La première consiste à travailler avec les institutions professionnelles africaines de formation militaire. Ces organisations sont chargées de transmettre au personnel militaire les connaissances propres à la profession des armes, ainsi que les normes, les perceptions et les règles de conduite. En 2023, le CESA a organisé un forum avec les commandants de plusieurs établissements de formation militaire professionnelle pour discuter sur comment leurs établissements peuvent produire des diplômés mieux préparés à diriger des organisations militaires au service du gouvernement. Le CESA met également en œuvre un programme de formation militaire du Département d’état américain dans le cadre du Programme d’éducation militaire pour l’Afrique (AMEP). Dans le cadre de cette initiative, le CESA déploie des professeurs d’établissements de formation militaire professionnelle américains afin d’améliorer le contenu et la mise en œuvre des programmes d’études dans les établissements africains homologues.
La deuxième façon dont le CESA renforce le professionnalisme militaire consiste à soutenir le Commandement des États-Unis pour l’Afrique dans ses nombreux engagements avec les armées partenaires, notamment en aidant le Commandement à mettre en œuvre sa stratégie de développement du personnel militaire.
Troisièmement, le CESA a contribué à la réflexion et au débat sur le professionnalisme militaire par le biais de publications telles que « Améliorer la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique par le contrôle et la redevabilité« , par le Général Dan Kuwali, « La formation d’une culture de professionnalisme militaire au Sénégal » et « Renforcer la culture du professionnalisme militaire en Afrique« , dont certaines sont obligatoirement étudiées dans les établissements de formation militaire professionnelle africains.
Les anciens auditeurs du CESA qui souhaitent aborder ces questions plus en détail peuvent me contacter via l’Équipe d’Engagement.
Notes
- ⇑ Le modèle de Huntington est basé sur son analyse des modèles de relations civilo-militaires aux États-Unis. Après avoir vécu sous une puissance coloniale oppressive, les pères fondateurs de l’Amérique ont soutenu que les services de police nationaux devaient être chargés de répondre aux menaces internes, à quelques rares exceptions près.