Le récent accord entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda fait naitre l’espoir d’éviter une guerre plus étendue dans la région des Grands Lacs. Le conflit dans l’est de la RDC – qui a fait environ 7000 morts et plus d’un million de déplacés depuis le début de cette année – a attiré l’attention de tout le continent. Les souvenirs des guerres dévastatrices au Congo à la fin des années 1990 et au début des années 2000, au cours desquelles sept armées africaines sont intervenues et dont le nombre de morts est estimé à 5,4 millions de Congolais, sont encore frais dans les mémoires.
Le Rwanda est largement considéré comme soutenant la rébellion du mouvement du 23 mars (M23). Il contrôle actuellement de larges pans du Nord et du Sud-Kivu, où le M23 a également imposé une administration rudimentaire et formé une alliance avec 17 partis politiques, connue sous le nom d’Alliance Fleuve du Congo (AFC), et plusieurs groupes armés en dehors du Nord et du Sud-Kivu. Le M23 a également absorbé dans ses rangs une partie des forces gouvernementales et des milices vaincues.
L’offensive actuelle se distingue par plusieurs différences. Le M23 est plus grand, mieux armé, mieux entraîné et plus sophistiqué qu’il ne l’était la dernière fois qu’il a brièvement tenu Goma, en novembre 2012, avant son démantèlement. Contrairement à 2012, le M23 a recruté en dehors de sa base traditionnelle de citoyens congolais d’origine rwandaise (et burundaise), connus sous le nom de Banyamulenge et Banyamasisi (originaires des régions de Mulenge et de Masisi dans les Kivus). Les gouvernements congolais successifs ont remis en question la nationalité congolaise de ces communautés, les rendant parfois apatrides. Ils ont à leur tour été au centre de toutes les rébellions du pays, qui ont toujours pris naissance à Goma, Bukavu, Ituri et Kisangani.
Compte tenu de cette histoire complexe, l’Afrique devra faire preuve d’un plus grand leadership pour lier l’accord récemment signé aux efforts de médiation africains en cours qui tentent de s’attaquer aux causes profondes du conflit, d’impliquer tous les belligérants et d’aborder les questions vitales de la justice et de la responsabilité dans un pays où plus de 120 groupes armés sont toujours actifs dans le Nord et le Sud-Kivu.
La première et la plus urgente des questions est la nécessité d’un cessez-le-feu compréhensif entre le M23 et le gouvernement congolais, qui s’étende également à leurs forces de combat alliées. Ce cessez-le-feu devrait être ancré dans un dialogue inter-congolais plus large (DIC) qui inclurait la plus grande partie de la société congolaise afin d’aborder les problèmes fondamentaux auxquels leur pays est confronté et de trouver des solutions qui soient prises en charge localement, durables et globales.
Le point de départ d’un DIC plus large est une compréhension du fait que les problèmes de la RDC sont fondamentalement internes. Ils sont exploités par des facteurs externes tels que l’intervention militaire des voisins de la RDC à l’est, notamment le Rwanda, l’Ouganda, et le Burundi, ainsi qu’au sud, impliquant les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA). Ce schéma plus large d’intervention externe a été un caractéristique clé de toutes les crises majeures au Congo depuis à la fin des années 1990.
Soulignant la complexité de la situation, la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) ont fusionné leurs initiatives de paix respectives dans un mécanisme de négociation unique qui a remplacé les processus de paix de Luanda et de Nairobi. L’Union africaine (UA) a ainsi nommé un groupe de cinq anciens présidents d’Afrique centrale, d’Afrique du Sud et d’Afrique de l’Est : Uhuru Kenyatta (Kenya), Olusegun Obasanjo (Nigeria), Kgalema Motlanthe (Afrique du Sud), Sahle-Work Zewde (Éthiopie) et Catherine Samba-Panza (République centrafricaine). Le président togolais Faure Gnassingbé a été désigné par l’UA pour coordonner le processus. La logique stratégique qui sous-tendait cet effort était la nécessité de créer une plateforme pour résoudre les éléments externes et internes de ce conflit de manière simultané et entièrement, sans conditions préalables.
Il s’appuie sur les leçons du premier DIC, ce dialogue national compréhensif global qui s’est tenu de 2001 à 2002 à Sun City, en Afrique du Sud, pour mettre fin à la deuxième guerre du Congo. Ce dialogue s’est organisé autour de trois axes :
- Un volet multilatéral qui a négocié un cessez-le-feu entre les acteurs extérieurs, à savoir le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, la Namibie, et le Zimbabwe.
- Un volet bilatéral qui a négocié un cessez-le-feu entre le Rwanda et la RDC.
- Le processus DIC lui-même, qui a rassemblé les acteurs congolais du gouvernement, de l’opposition armée et non armée, de la société civile et des « Forces Vives » (représentant des organisations professionnelles et des personnalités influentes).
Les parties ont identifié la crise persistante de légitimité en RDC comme le problème de principes à l’origine de l’instabilité. La gouvernance a été fortement personnalisée, a eu recours à la violence contre les citoyens, a étouffé les institutions indépendantes et a manipule les processus électoraux. Les parties ont conclu que la crise de légitimité s’appliquait également aux groupes armés rebelles, qui n’étaient pas les meilleurs représentants des injustices que les rebelles instrumentalisaient pour mobiliser et recruter. Ces injustices portent notamment sur les questions épineuses de la citoyenneté contestée des communautés Banyamulenge et Banyamasisi, de l’insécurité des groupes minoritaires, de l’utilisation abusive et de la mauvaise gestion des vastes ressources minérales du pays, de l’autorité et de la présence fragmentées et, dans de nombreux cas, inexistantes de l’État, ainsi que de l’ingérence des acteurs régionaux et des mercenaires étrangers.
Pour renforcer le processus interne, le Dialogue inter-congolais (DIC) a systématiquement répondu à ces injustices dans une série d’articles rédigés dans le cadre des accords de Sun City. Celles-ci ont été inscrites dans une nouvelle constitution en 2005 qui a permis au Congo de tenir ses premières élections depuis l’indépendance, de se doter d’une structure institutionnelle plus démocratique et de réformer en profondeur le secteur de la sécurité. Malheureusement, ces efforts n’ont pas été soutenus car l’attention régionale et internationale pour le respect de ces accords a commencé à s’affaiblir.
Le problème, à l’époque comme aujourd’hui, est le manque de mise en œuvre et d’engagement de la part des principaux acteurs politiques. Ce problème pourrait être résolu en renforçant les modalités de contrôle, en exerçant des pressions et en prévoyant un suivi à plus long terme de la part des garants. Le chemin à parcourir sera difficile et il y aura des obstacles. Mais avec de l’endurance, de la persévérance et de la détermination, un deuxième dialogue inter-congolais peut apporter une solution aux Congolais et à la région.
Pour plus d’informations sur le travail du CESA en RDC, veuillez consulter notre page « In-Focus » sur la RDC. Les anciens auditeurs qui souhaitent partager leur point de vue sur le conflit en RDC et ses implications pour la région et le monde sont invités à envoyer leurs commentaires à l’équipe d’engagement du CESA ou à communiquer leurs idées à la communauté d’anciens auditeurs CESA de leur pays.
Paul Nantulya est chercheur associé au Centre d’études Stratégiques de l’Afrique et a participé en tant qu’observateur aux discussions préparatoires du dialogue inter-congolais, au dialogue de Sun City et à d’autres engagements ultérieurs.