Christopher Fomunyoh: «Il faut renforcer la surveillance citoyenne des élections en Afrique»

Christopher FomunyohNé à Guzang, au Nord-Ouest anglophone du Cameroun, Christopher Fomunyoh, 59 ans, dirige le département Afrique du National democratic institute qui compte 18 bureaux sur le continent. Ce fils de planteur, diplômé en droit et sciences politiques des universités de Harvard et Boston, se bat depuis des années pour favoriser des élections libres, inclusives et transparentes. Son nom est avancé comme probable candidat à la magistrature suprême au Cameroun en 2018. Créateur de la Fondation Fomunyoh, il y mène des activités sociales et humanitaires.

Directeur Afrique du National democratic institute (NDI, le think tank créé par l’ex-secrétaire d’État américaine Madeleine Albright), Christopher Fomunyoh arpente le continent depuis 1993. Ses combats : les délégations d’observateurs internationaux lors des scrutins, l’appui à la société civile et aux partis politiques. Au Sénat et au Congrès américain, il insiste sur la nécessité de placer la démocratie et la bonne gouvernance au sein des politiques de lutte contre le terrorisme en Afrique.

Quel est l’Etat de la démocratie en Afrique ?

La démocratie a progressé ces trois dernières décennies bien que beaucoup reste à faire pour consolider les acquis et éviter des retours en arrière. En Afrique de l’ouest, 13 pays sur 15 ont des chefs d’Etat qui n’ont servi qu’un seul mandat ou deux au plus et se préparent à faciliter l’alternance dans leur pays respectif. Le refus de passer le bâton n’est donc pas une fatalité. Toutefois, le continent compte un noyau dur de dirigeants qui ont épousé le langage de la démocratie sans y croire et qui cherchent continuellement des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir. Cela prend la forme de révisions constitutionnelles, d’élections à un seul tour ou de lois électorales taillées sur mesure. De ce point de vue, l’Afrique centrale souffre particulièrement d’un déficit démocratique.

Le rejet des résultats des élections est une pratique très courante…

Le rejet des résultats provient souvent de l’opacité des différentes étapes qui mènent au scrutin, comme l’identification, l’enrôlement et l’établissement de la liste électorale et des bureaux de vote. Une élection, ce n’est pas seulement ce qui se passe le jour du vote. Pour éviter les dérives, il faut plus de transparence à travers l’implication de la société civile qui joue souvent un rôle central, en déployant des observateurs non partisans lors des élections. La surveillance citoyenne oblige l’administration électorale à accomplir son devoir de manière impartiale. Les pays comme le Sénégal, le Ghana, le Malawi, Maurice, le Bénin, Sao Tomé et Principe, le Cap Vert, la Tanzanie connaissent de plus en plus des élections inclusives, libres et transparentes, ce qui n’est pas le cas au Congo ou au Burundi.

«Les réseaux sociaux sont aux yeux de certains anciens militaires au pouvoir une menace à la pérennisation de leur règne.» 

Les autorités du Tchad et du Congo Brazzaville ont récemment interdit les communications et les réseaux sociaux durant le scrutin !

Les réseaux sociaux sont aux yeux de certains anciens militaires au pouvoir une menace à la pérennisation de leur règne. Ce genre d’interruption rappelle les gestes antidémocratiques d’une autre époque. On ne pourra jamais avoir une bonne gouvernance sans bons démocrates.

En Afrique du Sud, Nelson Mandela avait mis la barre très haut en décidant de ne faire qu’un mandat en 1994. Ses successeurs ont-ils été à la hauteur ?

Les successeurs de Mandela sont restés démocrates mais le président actuel, Jacob Zuma, est en train de dilapider l’héritage de Mandela par son comportement et son implication dans des affaires d’abus de biens sociaux. Pourtant, il a beaucoup fait dans la lutte contre l’apartheid. Avait-il pour autant la stature d’un homme d’Etat ? L’opposition grignote des voix au détriment du Congrès national africain (ANC, son parti) car nombre de Sud-Africains ne se retrouvent plus dans l’idéal de Mandela et de Walter Sisulu, son compagnon de route. Espérons que l’homme d’affaires Cyril Ramaphosa, vice-président du pays, et Nkosazana Dlamini-Zuma, la présidente de Commission de l’Union africaine, qui devraient s’affronter lors du prochain congrès pour briguer ensuite la présidence, remettront la gouvernance sur les bons rails…

La voix de l’Union africaine porte-t-elle encore pour empêcher les autocrates de se maintenir au pouvoir ?

La charte de l’UA ne voit pas d’un bon œil les changements constitutionnels accommodants. L’ex-président de la Commission, l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, était très ferme sur la question. Son départ en 2008 a marqué la fin d’un leadership. Or le poids des institutions est défini par les personnes qui les incarnent. L’Afrique a donc besoin de leaders politiques visionnaires, comme certains le sont déjà sur le plan du développement à l’image de Macky Sall, Ellen Johnson Sirleaf, Paul Kagamé et Alassane Ouattara.

Alassane Ouattara n’a-t-il pas la tentation du troisième mandat en organisant un référendum constitutionnel en octobre prochain ?

Il est trop tôt pour le savoir – le texte n’est pas connu – mais on ne peut lui prêter une telle intention seulement parce qu’un de ses anciens ministres et certains chefs traditionnels ont appelé à ce qu’il se représente. Alassane Ouattara sait que ce serait une erreur car il a acquis une réputation internationale.

Une présidentielle se profile au Gabon avec un scrutin à un tour. N’y a-t-il pas un risque d’embrasement ?

La situation est tendue et peut-être qu’elle le sera davantage à l’approche du scrutin. Avec un scrutin à un tour, le gagnant aura probablement moins de 50 % des voix. Le risque est que la majorité de la population ne se reconnaisse pas dans le prochain président si le scrutin de cette année n’est pas transparent et crédible. Il faut que les acteurs politiques se parlent pour évacuer les désaccords potentiels, même s’il est impossible d’adopter toutes les réformes avant le scrutin.

«A l’indépendance, plusieurs anciennes colonies britanniques se sont essayées au système parlementaire. Cela a donné une fragmentation des partis et une gestion difficile des relations entre l’exécutif et le législatif. Elles ont par la suite dérivé vers des régimes présidentiels renforcés par des modifications constitutionnelles successives.» 

L’opposition remet en question la nationalité gabonaise du président et donc son droit à se représenter…

L’Afrique a déjà connu ce genre de débat sur la nationalité en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire, avec des conséquences dramatiques. Les candidats doivent se pencher sur les projets de société, la jeunesse, l’éducation, l’avenir, et le bien-être des populations.

Y a-t-il un bon système politique en Afrique ?

A l’indépendance, plusieurs anciennes colonies britanniques se sont essayées au système parlementaire. Cela a donné une fragmentation des partis et une gestion difficile des relations entre l’exécutif et le législatif. Elles ont par la suite dérivé vers des régimes présidentiels renforcés par des modifications constitutionnelles successives. Si l’on repasse aujourd’hui à des régimes parlementaires, on risque une certaine dislocation politique et une dilution des pouvoirs. Il vaut mieux conforter les systèmes en vigueur en favorisant une véritable séparation des pouvoirs et une décentralisation réelle qui permettra aux citoyens de s’approprier la gouvernance. Cela permettra aux citoyens de participer davantage à la gestion de la cité.

Les Américains remettent en cause l’héritage des frontières coloniales. N’ont-ils pas réalisé une erreur à travers la création du Sud Soudan ?

Les Américains sont parfois trop focalisés sur la résolution rapide des conflits sans réflexion prospective quant à la suite. A l’époque, la création du Sud Soudan a été perçue comme un aboutissement heureux mais cet espoir est aujourd’hui déçu car les dirigeants actuels sont dépourvus de vision, ne sont pas démocrates et n’aspirent pas à mettre en œuvre une cohabitation conviviale. La charte de l’Organisation de l’unité africaine de 1963 avait insisté sur l’intangibilité des frontières coloniales. On ne devrait pas seulement aborder le règlement des conflits à travers un prisme géographique mais plutôt par la création d’un espace de coexistence entre populations qui jouissent des mêmes droits, des mêmes libertés et du même accès aux ressources sans discrimination ethnique ou raciale. Il n’y aurait ainsi plus d’intérêt à démultiplier les Etats existants.

Si Hillary Clinton est élue, quel regard portera-t-elle sur l’Afrique ?

Depuis George Bush père (1989), les Etats-Unis ont un regain d’intérêt pour l’Afrique, une préoccupation plus constante dans les discussions sur la place de Washington. Hillary Clinton connaît bien le continent. Elle y a voyagé avec son époux lorsqu’il était président et a par la suite dirigé le département d’Etat. Elle aura une marge de manœuvre plus grande que Barack Obama qui avait les mains liées en tant qu’Afro-américain. Les priorités resteront la lutte contre le terrorisme, la démocratie, la bonne gouvernance et le développement du commerce. Si Donald Trump est élu, on pourra s’attendre à des surprises. Attendons de voir plus clairement ses propositions en matière de politique étrangère. Bien évidemment, en tant qu’homme d’affaires, il devrait s’intéresser aux questions commerciales. Cela dit, et quel que soit l’élu, le prochain président américain devra ajuster sa ligne de conduite avec les préoccupations du Congrès, du Pentagone et des lobbys économiques.

Article publié sur L’opinion.fr