Les discussions sur l’assistance en matière de sécurité portent souvent sur le financement et l’assistance technique émanant de pays riches. Elles omettent toutefois une tendance croissante de l’assistance intra-africaine en ce qui concerne notamment le maintien de la paix dont une large part a effectivement été dirigée vers des initiatives de stabilisation dans d’autres pays africains.
Reconstruire le secteur de la sécurité
Depuis les dix dernières années, les pays africains ont recherché plus activement le renforcement des secteurs de la sécurité. De 2005 à 2014 par exemple, l’armée nigériane a offert un support technique considérable en remodelant les Forces armées du Liberia (FAL). Ces dernières s’étaient fractionnées et avaient fini par s’effondrées suite au chaos et à la violence de quatorze ans de brutale guerre civile. Dans le cadre d’un ensemble de réformes soutenues au niveau international, le Gouvernement du Liberia a installé en 2007 un général nigérian au poste de commandant et chef d’état-major des FAL nouvellement reconstituées. Au cours des sept prochaines années, des officiers nigérians ont participé au recrutement et au mentorat de nouveaux soldats et officiers, à la création de nouvelles unités de l’armée, à l’établissement de commandement et de contrôle et à l’institution de nouvelles lignes directrices pour la formation et la doctrine opérationnelle.
La forte participation du Nigéria dans la reprise du Liberia est à la base d’une future coopération entre les deux pays. En août 2016, le gouvernement nigérian a donné son accord à la demande du Liberia de poursuivre sa formation pluriannuelle de sous-officiers, officiers subalternes et officiers supérieurs des FAL à l’École nigériane de commandement et d’état-major, l’Université de la défense nigériane et autres écoles militaires du pays. L’entente a également approuvé une deuxième phase de formation pour les pilotes libériens à l’école d’aviation du Nigéria ainsi que l’engagement du Nigéria à aider le Liberia dans le cadre de logistique militaire.
Le rôle joué par l’assistance technique régionale dans la réforme militaire et le renforcement des institutions de défense est également apparent dans le cas du Burundi. Ce processus a été largement soutenu par les anciens présidents d’Afrique du Sud Nelson Mandela et Thabo Mbeki qui ont servi de médiateurs durant les pourparlers de paix entre les factions burundaises, de décembre 1999 à mai 2008, ayant abouti aux Accords d’Arusha. Compte tenu du manque d’équilibre ethnique régnant dans l’armée et le faible niveau de confiance entre l’armée et les citoyens, la réforme militaire fut au centre du débat.
L’armée sud-africaine, ayant dissout les éléments de sécurité de l’ère de l’apartheid et bâti une nouvelle force de défense intégrée, a offert sa propre expertise pratique en désarmant, en démobilisant et en réintégrant les ex-combattants. Cette initiative fut étendue par le biais de la Mission de l’Union africaine au Burundi (MIAB) dirigée par l’Afrique du Sud, la première opération multidimensionnelle de paix de l’UA, qui a rassemblé des troupes d’Afrique du Sud, d’Éthiopie et du Mozambique ainsi que des observateurs militaires du Burkina Faso, du Gabon, du Togo et de Tunisie.
L’assistance technique de la MIAB, dans le cadre de la reconstruction et l’intégration de l’armée burundaise, s’est poursuivie par la Mission des Nations Unies au Burundi (ONUBO), impliquant la contribution de troupes africaines d’autres pays, notamment l’Égypte, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Kenya, le Malawi, le Niger, le Nigeria, le Tchad et la Zambie. Par ailleurs, un Groupe de travail de spécialistes de l’Union africaine (AUSTF) était à cet effet positionné à Bujumbura pour offrir l’assistance technique. Nombre de ces initiatives ont contribué au Programme de développement du secteur de la sécurité (SSD) établi par les Pays-Bas et le gouvernement burundais en 2009.
Ce programme reposait de manière presque exclusive sur des données et des expériences africaines. Des experts sénégalais, par exemple, ont aidé à l’établissement de mécanismes de contrôle parlementaire et, lorsqu’ils étaient sollicités, travaillaient conjointement avec des homologues burundais pour faciliter des contributions des différentes parties concernées.
Dans le processus du Burundi, l’expérience africaine a catalysé les initiatives continentales visant à institutionnaliser une assistance technique. En 2013, le parlement sud-africain a passé une loi établissant l’Agence de partenariat du développement d’Afrique du Sud en remplacement du Fonds de renaissance africain comme principal outil de fourniture d’assistance technique, notamment d’assistance en matière de sécurité, aux autres pays africains. De même, l’Union africaine a établi en 2014 l’Initiative de solidarité africaine en tant que fonction spéciale pour mobiliser et mettre à la disposition des pays en sortie de conflit une expertise technique africaine.
Renforcement des capacités critiques en matière de gouvernance et État de droit
L’un des principaux objectifs des initiatives africaines de gestion et de stabilisation de crises est la fourniture d’assistance aux fonctions critiques de gouvernance. L’instrument à l’origine de la création de l’Initiative de solidarité africaine fournit une orientation en matière de politique pour ce type d’assistance. De plus, la Capacité civile en attente de l’Union africaine (ASC) formalise les efforts africains de mobiliser et de déployer des experts civils auprès de missions de l’Union africaine à court et moyen terme pour soutenir la gouvernance, l’état de droit et la police civile, entre autres domaines.
Pour assister les initiatives de reprises du Soudan du Sud, l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD) a établi l’Initiative d’amélioration des capacités régionales africaines (RCEI), un pool d’experts africains représentant toute une gamme de spécialités de gouvernance. Par son intermédiaire, plus de 200 fonctionnaires de niveau intermédiaire et supérieur de toute la région de l’IGAD ont été déployés auprès des administrations d’État et locales du Soudan du Sud, dans le cadre de contrats à long terme, afin de fournir une assistance technique pratique à l’établissement et la gestion de gouvernements locaux.
La Banque de développement africaine a offert des financements supplémentaires afin de mettre à niveau l’initiative de la RCEI et combler les énormes écarts de capacités de gouvernance. Outre ces ressources supplémentaires, une meilleure expertise a été fournie par l’École du gouvernement du Kenya, l’Institut de gestion de l’Ouganda et l’Institut de formation et de développement du Zimbabwe, entre autres institutions. L’École de gouvernement du Kenya a formé 820 leaders du gouvernement local et ouvert un campus spécial à Juba visant à former les Soudanais du Sud afin qu’ils prennent en main leur propre formation. La Banque africaine de développement a aussi formé 1024 membres du gouvernement d’État et local par le biais d’un programme d’assistance directe à la formation.
En Somalie, le Gouvernement d’Afrique du Sud procure une assistance technique sur la gouvernance par le Centre africain pour la résolution constructive de conflits (ACCORD), ancien bénéficiaire du Fonds de renaissance africain. Établie en 2013, cette initiative œuvre conjointement avec le Gouvernement fédéral de Somali pour développer six domaines prioritaires : la sécurité et la sûreté, la réconciliation, la reprise économique, la gouvernance, l’État de droit et les relations régionales amicales. Le soutien à chacun des domaines de priorité est offert par un accompagnement personnalisé et un mentorat, l’élaboration de politiques, la formation, les programmes d’échanges institutionnels avec d’autres pays africains et la recherche.
Développement de capacités internes de maintien de la paix
L’expertise africaine en matière de formation et de capacités civiles et militaires de maintien de la paix a fortement progressé au cours des dernières années. En 2001, six organisations de la société civile ont mis leurs efforts en commun pour former l’Association africaine des instructeurs au maintien de la paix (APSTA) servant de ressource pour les meilleures pratiques du maintien de la paix en Afrique. Par l’inauguration de l’Union africaine en 2002, les membres de l’APSTA ont été officiellement reconnus comme « centres d’excellence du maintien de la paix », œuvrant sur le développement de politiques, de doctrines, de formation et de renforcement des capacités dans le cadre du maintien de la paix au niveau de l’UA parmi les pays fournissant des contingents, actuels ou potentiels, ainsi que dans le domaine de l’expertise civile.
L’Association compte actuellement 17 membres issus de la société civile et du gouvernement, notamment l’Institut pour les études sur la sécurité d’Afrique du Sud, le Centre de formation au maintien de la paix de Kofi Annan, le Centre international de formation au maintien de la paix au Kenya Defense Staff College, l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye du Mali, le Centre régional du Caire pour la formation sur la résolution de conflits et le maintien de la paix en Afrique, le Centre de formation au maintien de la paix de l’armée du Nigéria et l’Académie de la paix du Rwanda au ministère de la Défense du Rwanda.
Les membres de l’APSTA ont joué un rôle primordial dans le développement des capacités de maintien de la paix en Afrique. ACCORD a développé la politique de l’UA sur la dimension civile de la Force africaine en attente et répond aux besoins de formation de missions clés telles que la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) qui s’accompagne de formation au pré-déploiement, à la mission et postérieure à la mission. Le Centre de Kofi Annan joue un rôle similaire parmi les pays pourvoyeurs de contingents de la région de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, tandis que l’Académie de la paix du Rwanda dirige le processus de développement des capacités du Rwanda afin de participer de manière efficace aux missions civiles et militaires de maintien de la paix.
Un paradigme émergent
L’initiative de solidarité de l’Afrique de l’UA cite parmi ses principaux objectifs la création d’un nouveau paradigme de l’assistance mutuelle africaine. Les cadres de référence sont en cours de développement, néanmoins certaines tendances émergent comme suit :
- La volonté politique et la capacité à fournir une expertise portant sur des fonctions de base, telles que le professionnalisme militaire, le maintien de la paix et la gouvernance, ne cessent de croître.
- Les pays et les institutions africains développent de plus en plus de créneaux de compétences sur toute une gamme de contextes.
- On note une forte tendance à l’institutionnalisation de l’assistance à la sécurité intra-africaine.
- De robustes initiatives intra-africaines dans chacun des cas évoqués ont permis une meilleure harmonisation des efforts avec les partenaires internationaux.
En plus: Coopération régionale et internationale en matière de sécurité Prévention ou atténuation des conflits Afrique du Sud Burundi État de droit gouvernance