Quelle est la prochaine étape pour l’Afrique et la Cour pénale internationale ?


Photo: ©ICC-CPI.

L’adoption par l’Union africaine d’une résolution non contraignante demandant aux pays africains d’abandonner la Cour pénale internationale (CPI) lors du sommet annuel de l’organe régional en janvier 2017 a fait la une à travers le monde. Les pays africains semblaient signaler un vote de censure pour l’organisme reconnu par la communauté mondiale comme étant chargé de maitriser l’impunité des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La résolution de l’Union africaine faisait suite aux décisions par les gouvernements du Burundi, de Gambie et d’Afrique du Sud en 2016 de se retirer de la CPI.

Des discussions sur le retrait de la CPI au niveau de tout le continent se sont répétées depuis juin 2009, lorsque l’UA a décidé de ne pas répondre aux demandes de la Cour de livrer le Président Omar al Bashir du Soudan afin qu’il soit jugé pour crimes contre l’humanité présumés au Darfour. Le sentiment anti-CIP s’est accru en 2013 lorsque le Président Uhuru Kenyatta du Kenya et le Vice-président William Ruto ont été mis en examen pour crimes de guerre présumés en rapport avec la violence post-électorale au Kenya en 2007-2008.

Réticence face au retrait

Le mouvement au retrait n’a gagné que peu de terrain parmi le public africain.

Les pays soutenant un retrait ont décrit l’institution comme un instrument du néocolonialisme utilisé contre l’Afrique bien que cette image n’ait que peu de défenseurs. Toutefois l’exode massif du CPI ne s’est pas produit. En outre, un nombre croissant de pays s’opposent au retrait, notamment le Burkina Faso, le Botswana, le Ghana, le Liberia, le Malawi, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone, la Tanzanie, et la Zambie. D’autres nations ayant exprimé leur opposition au retrait voient la Cour comme une extension de leur engagement à une plus grande responsabilisation pour les violations flagrantes des droits de l’homme et les crimes internationaux.

Certains pays ayant incité au retrait expriment à présent leur réticence. Par exemple, le Président Adama Barrow, démocratiquement élu en Gambie, est revenu sur l’ordre de son prédécesseur de se retirer de la Cour.

La Haute Cour d’Afrique du Sud a par la suite statué contre la décision de retrait du  gouvernement, concluant à une incohérence avec les principes constitutionnels du pays et une violation des procédures établies, le Parlement n’ayant pas été consulté. Suite à la décision, la Haute Cour a ordonné à la présidence de retirer son ordre.

Le mouvement n’a gagné que peu de terrain parmi le public africain. L’Afrobaromètre a indiqué que 55 % des Africains étaient favorables à rester membre de la Cour. Des centaines d’organisations ont exprimé leur inquiétude après l’annonce de retrait par l’Afrique du Sud et ont émis des déclarations coordonnées invitant les nations a demeurer membres de la Cour. En novembre 2016, 31 ONG ont présenté une lettre aux délégués africains à l’Assemblée des États membres de la CPI, leur demandant de présenter leur grief par les voies disponibles plutôt que de quitter la Cour. De plus, 130 organisations axées sur la communauté à travers toute l’Afrique ont demandé à des ministres des affaires étrangères africains de rejeter les propositions de retrait de la Cour.

Les initiatives visant à maintenir l’Afrique au sein de la CPI jouissent également du soutien de plusieurs anciens et anciennes chefs d’État Africains, notamment The Elders, groupe influent constitué de leaders mondiaux et fondé par Nelson Mandela. L’un de ces membres, l’Archevêque émérite Desmond Tutu, activiste anti-apartheid et ancien président de la Commission de la vérité et la réconciliation d’Afrique du Sud a fait référence à la CPI en tant que « Tribunal d’Afrique ». Il a déclaré en réponse aux protestations d’un retrait africain de masse : “La CPI ne pourrait pas être plus africaine”.

Le rôle de l’Afrique dans la création de la CPI

Les pays africains ont conduit à l’établissement de la CPI.

On oublie souvent que les pays africains ont conduit à l’établissement de la CPI en 1998. Parmi les 124 États membres de la Cour, 34 d’entre eux sont Africains – le plus vaste regroupement régional de membres hors d’Europe. À l’époque où fut adopté le Statut de Rome établissant la Cour, l’Organisation de l’unité africaine (qui devint ultérieurement l’Union africaine) faisait face aux conséquences du génocide de 1994 au Rwanda et au processus de paix d’Arusha au Burundi. Ces deux affaires critiques ont convaincu les leaders africains de la valeur de la justice complémentaire faisant appel à des organes nationaux et internationaux comme moyens de renforcer la jurisprudence africaine. En fait, les termes du statut déclarent que la CPI est une juridiction de « dernier ressort » qui serait un complément et non un remplacement des tribunaux nationaux.

L’appropriation nationale de la Cour s’est accompagnée d’un fort élan de soutien de coalitions de la société civile africaine et d’une solide diplomatie par certains des leaders africains, dont les ex-présidents d’Afrique du Sud, Nelson Mandela et Thabo Mbeki, qui ont joué un rôle fondamental.

ICC Prosecutor Fatou Bensouda. Photo: UN/Kim Haughton

Fatou Bensouda. Photo: UN/Kim Haughton.

Lors de la Conférence de Rome, des ministres de la Communauté de développement d’Afrique australe ont demandé qu’un procureur indépendant au sein de la CPI ait le pouvoir d’initier des enquêtes et non pas seulement – comme le préconisaient les pays occidentaux – le Conseil de sécurité de l’ONU. Au final, la position africaine l’a emporté et deux voies d’initiation des enquêtes ont été adoptées : le référencement par un État ou à l’initiative du procureur en chef de la Cour. Des pays africains ont également demandé une Cour bien financée et ont recommandé l’entière coopération des États africains. Par contraste, de nombreux États du Moyen-Orient n’ont pas signé le Statut, et de grandes puissances, dont la Chine, la Russie et les États-Unis ne l’ont pas ratifié.

En juin 2002, l’Ouganda a ratifié le Statut de Rome, et deux ans plus tard, est devenu le premier pays à déférer un cas à la Cour, exigeant que l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) soit jugée pour crimes de guerre. La crainte de persécutions a provoqué la défection de centaines de combattants de la LRA qui ont bénéficiés d’une amnistie mise en place par le gouvernement ougandais.

Depuis lors, plusieurs pays africains ont établi des mécanismes reposant sur le concept de la complémentarité et l’intégration d’une justice formelle et réparatrice. Le Protocole sur la réconciliation et la responsabilisation des accords de paix finaux, conclu avec la LRA, a créé un mécanisme hybride qui prévoit d’établir la vérité, des réparations symboliques et matérielles, une amnistie élargie, la compensation des victimes et une compétence spéciale concernant les crimes de guerre. Il a également reconnu et promu l’utilisation de mécanismes de justice traditionnels et non punitifs et de réconciliation unique pour l’Ouganda du Nord, tels que Mato Put et Culo Kwor.

Par ailleurs, grâce à l’aide apportée par la CPI, une Division des crimes internationale a été établie au sein de la Cour supérieure d’Ouganda pour juger des leaders de haut niveau de la LRA qui n’ont pu bénéficier de la loi d’amnistie. Cette division juge actuellement l’ex-commandant de la LRA, Thomas Kwoyelo, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La CPI aide aussi à l’établissement d’un Tribunal spécial sur les crimes de guerre pour le Libéria, une recommandation essentielle de la Commission de vérité et de réconciliation du Libéria et a offert l’assistance technique à la Cour spéciale pour la Sierra Leone. Elle s’est engagée à faire de même en République d’Afrique centrale qui est en cours d’établissement d’un tribunal similaire sur les crimes de guerre.

Entre idéologie et intérêt personnel

Burundian President Pierre Nkurunziza

Pierre Nkurunziza

Alors que le spectre du néocolonialisme a suscité un discours défavorable à la CPI, les motivations individuelles ne sont pas aussi simples. En avril 2016, la Cour a lancé un examen préliminaire sur de graves abus des droits humains par les forces de sécurité du Burundi, et une enquête indépendante des Nations Unies a révélé des preuves de violations répandues s’élevant au niveau de crimes contre l’humanité, notamment le potentiel de génocide.

Alarmée par les conclusions, l’ONU a établi une Commission internationale d’enquête sur le Burundi. En contrepartie, Bujumbura a fait obstacle aux enquêteurs.

Yahya Jammeh.

De même, le régime du leader gambien, Yahya Jammeh, a été fréquemment accusé de violations des droits de l’homme, notamment de disparitions, de tortures et de meurtres extrajudiciaires. L’opposition de Jammeh à la justice et à la responsabilisation dans le pays s’est étendue à d’autres crises sur le continent. Il a mené l’opposition à la décision de l’UA de déployer une force de protection civile au Burundi, ainsi qu’à l’enquête indépendante de l’ONU. Le Président Adama Barrow avait par la suite demandé une Commision de vérité et de réconciliation afin d’enquêter sur d’éventuels crimes commis par le gouvernement de Jammeh.

Tandis que les motivations individuelles du Burundi et de la Gambie semblent portées par le désir d’échapper à la surveillance, l’annonce de l’Afrique du Sud a provoqué un plus grand choc, compte tenu de sa réputation de leader mondial en matière de droits de l’homme. En effet, les initiatives diplomatiques de l’Afrique du Sud post-apartheid ont persuadé certains pays africains de rejoindre la Cour. Sur le territoire, un programme de justice transitionnelle exhaustif a été mis en place, servant de modèle sur l’ensemble de l’Afrique et l’Amérique Latine.

Certains ont avancé que les motivations de l’Afrique du Sud pourraient être liées à la tension accrue entre le gouvernement du Président Jacob Zuma et le système judiciaire indépendant du pays. En 2015, la Cour suprême a conclu que l’exécutif avait enfreint aux lois nationales en négligeant d’arrêter le leader soudanais Omar al Bashir – qui a été inculpé par la CPI – tandis qu’il participait au sommet de l’Union africaine à Johannesburg. En 2016, la Cour suprême a rejeté l’appel de Zuma cherchant à bloquer un tribunal ayant conclu que les accusations de corruption à son encontre soient réinstaurées.

Bien que tous les huit cas ouverts du CPI impliquent l’Afrique, quatre ont été demandés par les dirigeants de ces pays, deux autres ont été initiés par le Conseil de sécurité de l’ONU et soutenus par des représentants africains et un autre a été demandé par les deux parties d’un conflit violent.

Les arguments contre le CPI portaient surtout sur le préjugé allégué contre les leaders africains, du fait du nombre élevé d’enquêtes, d’une manière disproportionnée, sur des cas africains. Mais l’histoire est plus complexe. Bien que les huit cas en cours concernent l’Afrique, la moitié d’entre eux (la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Mali et l’Ouganda) ont été initiés sur la demande de leaders de ces pays. Les cas de la Libye et du Soudan furent initiés par le Conseil de sécurité de l’ONU et soutenus par des représentants africains figurant au Conseil, à l’époque – à savoir le Gabon, le Nigéria et l’Afrique du Sud dans le cas libyen, et l’Algérie, le Bénin et la Tanzanie dans le cas soudanais.

Le Kenya et la Côte d’Ivoire sont les deux seuls cas initiés par la CPI elle-même. Toutefois, pour le cas du Kenya, chacune des parties d’opposition dans le cadre des violences post-électorales de 2007-2008 a écrit à la CPI, demandant des enquêtes sur l’autre partie. Le procureur en chef du CPI a initié, avec réticence, le cas du Kenya après l’envoi par Kofi Annan, le principal médiateur dans la crise, d’éléments de preuve et de noms réunis par une Commission d’enquête nationale ; les législateurs avaient négligé de voter un projet de loi établissant un Tribunal spécial. Préalablement à la soumission de Kofi Annan, le CPI  avait été plus enclin à soutenir le projet de loi kenyan, décision qui épousait la tradition favorisée par la Cour de soutenir les pays reposant sur leurs propres mécanismes judiciaires.

Les défenseurs du retrait citent la Cour africaine sur les droits de l’homme et des peuples comme alternative régionale à la CPI. Néanmoins le traité établissant la cour régionale a été adopté en 1998. Il fallut alors 16 ans pour parvenir à sa ratification. Seuls 30 pays africains en sont membres et six d’entre eux ont accepté sa compétence pour recevoir des plaintes de citoyens individuels. De plus, elle accorde l’immunité aux chefs d’État et aux représentants de haut niveau du gouvernement, disposition qui, pour beaucoup, va à l’encontre de sa première mission de combattre l’impunité et de favoriser la justice et la responsabilisation.

Lutter contre l’impunité pour accéder à la stabilité

Historiquement, le CIP a bénéficié de soutien lorsqu’elle poursuivait des opposants de régimes et été condamnée lorsqu’elle s’attaquait aux leaders en poste et leurs alliés. Cependant le but essentiel pour la Cour consistait à améliorer la responsabilisation et à défendre la stabilité, quel que soit le parti soumis à l’enquête. De récentes expériences de la mise en œuvre des accords de paix en Afrique tirent les conclusions suivantes : quand les dispositions de responsabilisation sont faibles, le processus de paix est plus susceptible d’échouer et les sociétés post-conflits sont plus fragiles.

Au Burundi, les élites favorisent l’immunité et le partage du pouvoir au détriment de la responsabilisation. En conséquence, les Accords d’Arusha, qui étaient auparavant cités en exemple en matière de maintien de la paix en Afrique, ont été fragilisés et le terrain est propice à la crise actuelle. Le Burundi connait à présent le retour de l’impunité qui remonte à ses antécédents de meurtres et de génocides ciblés. De même, les accords de paix au Soudan du Sud, bien que fortement favorables au partage du pouvoir, n’ont pas soutenu la responsabilisation, et le génocide est imminent au sein du pays le plus récemment créé.

Quand les dispositions de responsabilisation sont faibles, le processus de paix est plus susceptible d’échouer et les sociétés post-conflits sont plus fragiles.

The ICC Arc Building in the Hague. Photo: ©ICC-CPI.

Photo: ©ICC-CPI.

La crise au Soudan du Sud est un argument convaincant de la raison pour laquelle la responsabilisation doit demeurer une priorité en vue de future stabilité, que les pays africains aient décidé de rester dans la CPI ou de la quitter.  Les citoyens du Soudan du Sud, notamment les 35 ONG, ont demandé à l’UA d’appliquer sa décision d’établir un tribunal hybride afin de soutenir le médiocre secteur judiciaire du pays. De même, tandis que le processus chaotique de médiation peine à gagner du terrain au Burundi, des groupes de la société civile ont juré de ne pas accueillir tout futur accord qui ne comporte pas la responsabilisation comme principe fondamental.

La tension entre les calculs de survie de régime et les intérêts des victimes et des survivants d’atrocités de masse sont au cœur de ces débats sur la CPI en Afrique. Tant que les forces institutionnelles et politiques d’abus des droits de l’homme demeurent ancrées dans l’exercice du pouvoir, une responsabilisation rigoureuse sera exigée pour prévenir de futures violations.

Experts du CESA

  • Godfrey Musila, Chercheur universitaire
  • Dorina Bekoe, Professeure associée, Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits
  • Joseph Siegle, Directeur de la recherche

Ressources complémentaires