Ces dernières années, les dirigeants africains ont essayé par divers moyens d’échapper aux limites de mandats. En général, ces moyens consistent en une réinterprétation du moment où commence le premier mandat du candidat sortant. Ou encore, on organise un référendum ou on concocte un amendement à la constitution en contournant les restrictions applicables aux limites de mandat. La direction prise par Joseph Kabila, de la République démocratique du Congo, est particulièrement simple et éhontée. Il évite tout simplement que se tiennent des élections pour sa succession.
Après avoir déjà passé plus de dix ans au pouvoir et alors qu’il s’approche de la fin de son second et dernier mandat, en décembre, Kabila a entrepris toutes une série d’activités qui empêchent la Commission électorale nationale indépendante (CENI) d’organiser des élections présidentielles en novembre comme prévu. En l’état actuel des choses, cela voudrait dire que les élections ne pourraient pas se tenir avant 2018 au plus tôt. Son intention est de rester au pouvoir dans l’intérim. Pendant ce temps, les loyalistes s’efforcent de supprimer la limite des deux mandats.
Les efforts de Kabila pour garder le monopole sur le pouvoir ont été systématiques. Ces initiatives comprennent le fait de s’assurer d’une super majorité à l’Assemblée Nationale lors des élections plus que douteuses de 2011; de supprimer le processus électoral à deux tours pour qu’un candidat présidentiel puisse remporter la victoire avec seulement une majorité relative ; d’augmenter le nombre des provinces de 11 à 26 puis de nommer des gouverneurs dans les nouvelles provinces et enfin de modifier la composition de la Cour Suprême en augmentant le nombre de juges de 7 à 27 tout en nommant de nouveaux responsables à la CENI. En bref, il s’agit là d’un effort concerté pour contrôler toutes les étapes du processus électoral.
Kabila et ses alliés politiques, pense-ton, ont utilisé ce temps supplémentaire au pouvoir pour faire avancer leurs intérêts financiers privés. Les réseaux de népotisme de Kabila comprennent des nominations de hauts cadres dans des dizaines d’entreprises publiques. Les Panama Papers ont révélé que sa sœur jumelle, Jaynet Kabila, détient indirectement une participation dans le plus gros opérateur de téléphonie mobile de la RDC. Le gouvernement aurait aussi bradé des concessions pétrolières et de minéraux à des acteurs étrangers en échange de pots de vin. La RDC se trouve à la 147è place sur les 167 pays classés dans l’enquête annuelle de Transparency International sur la corruption.
Malgré l’immense richesse du pays en ressources naturelles, seule la moitié de ses 80 millions d’habitants a accès à l’eau potable. Un enfant congolais sur cinq meurt avant d’atteindre l’âge de 5 ans. Ces chiffres sont inférieurs d’environ 20% à la moyenne de l’Afrique Subsaharienne et n’ont pratiquement pas changé depuis la prise du pouvoir de Kabila. Plus de deux millions de Congolais sont réfugiés ou déplacés dans leur pays en raison de l’instabilité.
De nombreux ressortissants congolais, ce n’est pas surprenant, ont soif de changement et ont tenté d’y parvenir par les voies démocratiques. Les groupes de la société civile et les partis d’opposition politique participent activement au processus politique depuis la fin de la guerre civile de 1998–2003 dans laquelle quelques 4 à 6 millions de personnes auraient perdu la vie. Pourtant, depuis 2006, date de la première élection de M. Kabila, l’espace institutionnel et celui de la société civile représentant des points de vue dissidents ne cessent de s’amenuiser. Les chefs de l’opposition, les activistes et les journalistes ont régulièrement été victimes d’intimidation, de harcèlement et d’arrestations. Il semblerait que ces actes soient des tentatives d’empêcher l’impulsion de toute dynamique de changement.
Au cours de ces dernières années, les partis d’opposition et les responsables de la société civile se sont mieux organisés, ont réussi à bloquer des procédures parlementaires en 2014 et 2015 qui auraient repoussé les élections. L’influente Église catholique élève de plus en plus la voix pour condamner les initiatives du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) au pouvoir qui visent à prolonger son mandat. Cette année, une coalition de partis d’opposition unie sous la bannière « Le Rassemblement » a mobilisé la population pour qu’elle lance un défi électoral à Kabila. Le résultat est un accroissement constant du nombre de manifestations populaires. Au mois d’août, une campagne « Dégage » a immobilisé Kinshasa. Le gouvernement a réagi, ce qui a créé des affrontements avec la population. La police n’a pas hésité à tirer sur les manifestants, notamment lors d’un rassemblement à la mi-septembre organisé par Le Rassemblement au cours duquel au moins 44 personnes ont été tuées.
Donc une confrontation semble imminente. Kabila semble avoir calculé qu’il peut poursuivre ses tactiques de blocage, justifiant progressivement les retards jusqu’à ce qu’il puisse se débarrasser totalement des limites de mandat. Il a apparemment déterminé qu’en ignorant les élections tout en appelant au dialogue et en utilisant la force brute, il peut résister à toute controverse jusqu’à ce que l’attention des communautés nationale et internationale se dissipe.
Il a peut-être raison. Les Congolais sont habitués depuis longtemps aux leaders autocrates et ont fait preuve d’une extraordinaire tolérance face à un gouvernement corrompu et non réactif. De même, la communauté internationale a largement détourné son attention lorsque Kabila a coopté le processus électoral de 2011. Bien que des acteurs internationaux clés comme l’Union africaine, les Nations Unies, l’Union européenne, la France et les États-Unis aient appelé de leurs vœux la tenue d’élections en 2016, la question n’a pas été portée sur le devant de la scène internationale et n’a pas n’a pas de champion pour défendre sa cause.
Mais là encore, Kabila a peut-être tort. Certains signes indiquent que les jeunes congolais (75% de la population a moins de 30 ans) en ont assez de la politique d’exclusion actuelle. S’ils décident que les manifestations pacifiques sont inutiles, ils pourraient employer des méthodes plus destructrices. Et avec une population de 11 millions, une foule en colère à Kinshasa pourrait facilement déborder les forces de sécurité fragmentées et mal entrainées.
Kabila pourrait être contraint à un départ semblable à celui du dirigeant Blaise Compaoré, resté très longtemps au pouvoir, qui s’est enfui en Côte d’Ivoire face aux manifestations populaires de masse après qu’il a tenté de prolonger son mandat. Une colère non canalisée pourrait aussi entraîner une violence plus étendue en RDC, ce qui renforcerait les fractures sociales susceptibles de mener le second pays d’Afrique par sa taille vers une guerre civile.
Au-delà de l’impact social et humanitaire, le maintien au pouvoir de Kabila au-delà de son second mandat validerait ses tactiques d’évitement des élections. Cet exemple serait sans doute copié par d’autres sur le continent, et représenterait un grand pas en arrière pour l’Afrique où l’organisation d’élections est la norme depuis les années 1990.
Pour changer la trajectoire politique en RDC, il faudra changer les calculs politiques de Kabila. À l’heure actuelle, il n’est confronté à quasiment aucune conséquence pour avoir évité les élections et n’est donc pas incité à les respecter. Pour changer la situation, les actions prioritaires sont les suivantes :
- Comme stipulé par la constitution, il faudrait identifier un gouvernement de transition pour gérer la période de transition avant les élections. Ce pouvoir intérimaire devrait se montrer prêt à prendre ses responsabilités à partir du 20 décembre, date à laquelle se termine le mandat de Kabila. Ce gouvernement de transition devrait être constitué de technocrates respectés, conformément à la détermination d’une commission représentant les groupes d’opposition, la société civile et le PPRD. Les hauts responsables du gouvernement de transition devraient ne pas être autorisés à se présenter aux élections qui suivront.
- Il faudrait lever les restrictions applicables aux responsables politiques de l’opposition et aux représentants de la société civile qui ont été arrêtés, empêchés de rencontrer leurs sympathisants et interdits de revenir au pays. Ces mesures permettront un dialogue politique véritable sur la direction future du pays.
- Tant que Kabila ne respecte pas ces démarches dans la période de transition, lui-même et les responsables du PPRD devraient être assujettis au gel de leurs avoirs car ils minent le processus démocratique en RDC (comme cela s’est produit au Zimbabwe). Ces personnes et leurs familles devraient aussi être interdites de déplacements.
- Une fois le mandat de Kabila terminé le 20 décembre, conformément à la constitution, l’Union africaine et les Nations Unies devraient aussi arrêter de le reconnaitre comme chef d’état de la RDC. Il ne serait plus le représentant légitime ou dument mandaté du pays. Son gouvernement et lui-même devraient par conséquent n’avoir aucun pouvoir légal d’accéder aux comptes financiers souverains détenus dans le système financier international ou d’agir en tant qu’autorité de passation de marché pour le compte de l’État.
La crise actuelle en RDC est entièrement le produit des actions de Kabila. Cette crise ne doit pas inévitablement déboucher sur une violence généralisée et sur la fragmentation. Pour que cela ne se produise pas, il faudra que les réformateurs congolais et les acteurs internationaux œuvrent ensemble pour renforcer les premières tentatives de la RDC d’instituer un contrôle du pouvoir exécutif. Tout commence par le fait de demander aux dirigeants de partir lorsqu’ils sont supposés le faire.
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