Après presque 40 ans au pouvoir, le président angolais José Eduardo dos Santos quittera ses fonctions en septembre 2017. Le ministre de la Défense João Manuel Gonçalves Lourenço, un général d’armée respecté, vétéran de la lutte pour l’indépendance de l’Angola et Secrétaire général du parti au pouvoir, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), reprendra les rênes. Après avoir vaincu l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) dans une guerre civile d’une violence extrême, qui a duré 17 ans, le MPLA a géré un développement économique fondé sur les ressources naturelles, plaçant l’Angola en deuxième place des producteurs de pétrole d’Afrique et en troisième place pour la taille de son économie. Le parti a abandonné son idéologie marxiste-léniniste, toutefois, le MPLA continue à dominer les secteurs clés de l’économie dont le pétrole, le gaz, les mines, le monde bancaire et le secteur du bâtiment. A l’instar d’autres partis issus de la période de lutte de libération en Afrique, le MPLA maintient un contrôle strict de l’appareil sécuritaire et, son influence imprègne tous les aspects de la vie sociale et politique de l’Angola.
Le pouvoir politique en Angola s’est situé au carrefour du parti au pouvoir, des forces armées, des grandes entreprises et de l’économie. Certains voient la montée de Lourenço comme une manœuvre qui vise à conserver intacts l’hégémonie ainsi que la clientèle politique profondément établie du parti. D’autres pensent que des réformes vont progressivement prendre racine, en soulignant le caractère annonciateur de la déclaration de Lourenço quant à sa détermination à poursuivre une politique de transparence.
Pour comprendre cette transition, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique a sollicité les points de vue de Rebecca Engebretsen, Soren Kirk Jensen, Andre Thomashausen et Alex Vines, experts de l’Angola, sur les problèmes prioritaires qui façonneront l’avenir du pays.
Pourquoi cette transition est-elle significative ?
L’Angola est l’un des pays les plus riches d’Afrique, mais c’est aussi l’un des pays les plus inéquitables. Alors que le coût de la vie y est le plus élevé au monde, le chômage se situe à 40% et, 68% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La chute des prix du pétrole en 2015 a forcé le gouvernement à réduire les dépenses publiques de 53%, affaiblissant ainsi sa capacité à fournir des services publiques de base et augmentant le risque de troubles sociaux. Les budgets de la santé et de l’assainissement ont été réduits de 70%. En 2016, l’Angola n’a pas été en mesure de contenir une grave épidémie de fièvre jaune. En outre, les hôpitaux ont dû faire face à une pénurie de médicaments antipaludéens alors que 1,3 millions personnes avaient contracté la maladie au cours du premier trimestre de l’année. Ainsi, cette transition politique offre une opportunité de se pencher sur certaines des forces d’instabilité sous-jacentes dans l’un des pays les plus riches d’Afrique.
« Ce transfert de pouvoir pourrait annoncer un changement dans un pays qui dispose de l’une des armées les plus grandes et les plus compétents d’Afrique et dont l’économie s’est développée de façon exponentielle depuis les années 90, » explique Alex Vines, directeur de L’Africa Programs at Chatham House. « La politique étrangère de l’Angola donne la priorité aux partenariats stratégiques avec le Brésil, la Chine, le Portugal et les Etats-Unis. En tant que deuxième plus grand partenaire de l’Amérique en Afrique sub-saharienne et avec plus de 258 000 Chinois et 100 000 Portugais travaillant dans le pays avec des visas spéciaux, ce qui se passe en Angola est important sur le plan international, » explique Vines.
Certains signes indiquent que la transition de dos Santo à Lourenço est un changement positif dans la trajectoire du pays. De nombreux observateurs de l’Angola s’étaient attendus à voir un membre de sa famille succéder à dos Santo. Sa fille aînée, Isabel, la femme la plus riche d’Afrique, est à la tête de Sonangol, la compagnie pétrolière nationale, et détient des actions majoritaires chez Banco BIC et Banco Formento Angola entre autres investissements.
Sa sœur, Welwitschia José dos Santos Pego, est membre du comité central du MPLA et détient des parts majoritaires chez Banco Prestigio. L’un de leurs frères, Jose Filomeno dos Santo, est le président du conseil d’administration d’un fonds d’État qui gère 5 milliards de dollars, et un autre frère, Eduane Danilo dos Santos est copropriétaire de Banco Postale Angola, la toute nouvelle banque du pays.
Le fait qu’une succession dynastique n’ait pas eu lieu montre que les mécanismes de contrôle au sein du parti « s’avèrent plus solides que ce que beaucoup avaient pensé, » d’après Soren Kirk Jensen qui travaille également à la Chatham House. « Ce sont là des indications que la vielle garde et les vrais détenteurs du pouvoir sont de plus en plus las de l’attribution de postes clés à des membres de famille et se sont ainsi mobilisés pour bloquer leur ascension politique. » Toutefois, Andre Thomashausen, un avocat en droit constitutionnel qui conseille le président angolais en matière de résolution des conflits et qui a participé aux négociations de paix entre l’Angola et le Mozambique, pense que l’importance de ce déplacement de pouvoir pourrait être moins évidente. « L’Angola n’a pas encore terminé sa transition d’État à parti unique vers une démocratie multipartite. Le changement qui est encore en train de s’opérer donne une légitimité à un nouveau leader et son adjoint qui ont été choisis par un parti dominant et hégémonique au pouvoir.
Y aura-t-il de vraies réformes ou aura-t-on droit à la même rengaine ?
La façon dont la richesse de l’Angola sera gérée donnera un signal clair des intentions du nouveau gouvernement sur le long terme. Vines pense que la mise en œuvre de certaines réformes se fera de manière délibérément lente et d’autres plus rapidement. « J’anticipe des réformes immédiates dans les secteurs de la banque et des finances ainsi que des secteurs du gaz et du pétrole. L’Angola dépend largement de l’industrie pétrolière offshore pour 50 % de son PIB et 75% des recettes publiques. Mais depuis 2015, le pays est confronté à de graves difficultés économiques en raison de la chute des prix du pétrole. »
L’implication du MPLA dans des activités hautement lucratives risque de limiter le rythme et la profondeur des réformes politiques et institutionnelles que le gouvernement pourrait instituer. « Il sera difficile pour Lourenço de s’en prendre à ses camarades politiques, » explique Rebecca Engebretsen, chercheuse à Oxford. « Il a fait partie du parti au pouvoir et il doit savoir que bouleverser les dispositifs économiques prédominants va vraisemblablement contrarier d’importants alliés. »
Mais les difficultés financières du pays ne pourront être atténuées qu’à l’aide de réformes institutionnelles sérieuses. Ce ne sera pas facile d’y arriver, d’après Engebretsen, car l’initiative de telles réformes devra venir de l’élite au pouvoir. « Pendant toute la durée de la guère et après, une petite clique a énormément profité de leur accès privilégié aux opportunités économiques dans le pays… Les structures de l’économie fondée sur le pétrole se sont avérées si lucratives qu’il n’y a guère eu d’incitation à diversifier et développer les parties productives de l’économie. » Ricardo Soares de Oliveira, un autre enseignant d’Oxford note qu’en 2015, l’Angola dépendait plus des rentes pétrolières qu’en 2002.
Les réalignements de pouvoir au sein du MPLA joueront également un rôle quant aux perspectives d’avenir de l’Angola. Thomashausen note que la tension entre les progressistes et la vielle garde pourrait limiter les options de réforme. Une certaine continuité sera assurée car dos Santos restera président du MPLA et conservera de vastes pouvoirs qui incluent la sélection des candidats au parlement et le pourvoi de postes clés dans l’armée et la police. Le parlement a récemment adopté une loi interdisant au nouveau président de limoger les chefs de l’armée, de la police et des renseignements pendant huit ans.
Mais l’aggravation de la crise économique de l’Angola et la menace qu’elle représente pour la stabilité sociale et celle du régime peut lui forcer la main et faire avancer les réformes. « La lune de miel est terminée, » explique de Oliveira. « La remarquable reconstruction de l’Angola, que certains appellent un miracle, a produit une culture de modernité matérielle très visible dans des endroits tels que Luanda, la ville la plus chère au monde. Des milliers de prestataires de service venus du monde entier ont été recrutés par le gouvernement pour réaliser une gamme de projets mais cette richesse n’a pas profité à la vaste majorité des Angolais. »
Quels changements doivent être opérés, le cas échéant ?
« De nombreuses réformes sont urgentes » selon Vines. « L’une de ces réformes vise à rétablir la confiance de la communauté internationale dans les banques, en particulier, à cause de leurs obscurs dispositifs concernant les actionnaires et propriétaires et l’Angola devra également diversifier son économie, mais c’est un travail de longue haleine. En outre, la production pétrolière de l’Angola devrait se stabiliser. En 2018 puis baisser… Etant donné que l’Angola dépend lourdement des rentes pétrolières, le gouvernement va devoir attirer de nouveaux investissements dans le pétrole et le gaz pour ralentir le déclin jusqu’à ce qu’il puisse se diversifier avec succès.
Engebretsen note que trouver un équilibre entre le maintien de la valeur de la monnaie locale et une dévaluation sera un défi majeur. « La capacité à maintenir la valeur de la monnaie nationale diminue alors que les réserves étrangères continuent à être utilisées, » dit-elle. « En même temps, une dévaluation stimulerait les autres secteurs de l’économie qui ont souffert par manque de compétitivité. Rehausser l’attrait des secteurs non pétroliers est crucial si l’Angola veut mettre fin aux fluctuations économiques. »
Selon Thomashausen, les réformes économiques devraient être accompagnées de réformes politiques et institutionnelles, ce qui suppose d’ouvrir l’espace politique, de dissocier le parti au pouvoir de l’économie et de l’armée ainsi que de protéger l’appareil judiciaire de l’ingérence de l’exécutif. « L’État de droit devrait être appliqué rigoureusement et la composition de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle devrait être revue afin d’établir l’intégrité du système judiciaire, » dit-il. «En même temps, des procédures et des organismes efficaces de lutte contre la corruption doivent permettre d’arrêter et de condamner ceux qui bafouent les règles, en particulier, l’élite politique et financière, dont les intérêts sont entremêlés. »
« les réformes économiques devraient être accompagnées de réformes politiques et institutionnelles, ce qui suppose d’ouvrir l’espace politique, de dissocier le parti au pouvoir de l’économie et de l’armée ainsi que de protéger l’appareil judiciaire de l’ingérence de l’exécutif. «
Le parti au pouvoir devrait également participer à l’évaluation des réformes institutionnelles nécessaires, note de Oliveira.
« Les principaux intellectuels en matière de politique au sein du MPLA croyaient profondément au modèle du Parti révolutionnaire institutionnel du Mexique, au pouvoir pendant 71 ans sans interruption de 1929 à 2000, puis à nouveau au pouvoir en 2012. Les idéologues du MPLA étaient persuadés que leur parti était la seule force légitime pour reconstruire l’Angola. Cette conviction allait de pair avec un sentiment de démobilisation car l’Angolais moyen était perçu comme quelqu’un qui se satisfaisait du fait de ne pas se faire tirer dessus et qui n’était donc pas profondément impliqué dans la politique. » Cette passivité qui a duré des décennies a changé et il se peut que le MPLA doive se préparer à faire face à de plus grandes demandes et à davantage de pression de la part du public sur la mise en place de réformes et l’amélioration de la vie de son peuple. De Oliveira signale également que l’autoritarisme de la présidence de de Santos a « profondément dé-institutionnalisé » le MPLA et les processus politiques de l’Angola et que cette situation pourrait augmenter la difficulté du nouveau gouvernement pour trouver ses repères.
Quelles sont les conséquences pour le secteur de la sécurité ?
L’armée angolaise s’est toujours félicitée d’être l’armée la plus efficace et la plus puissante du continent. Toutefois, des contraintes liées aux ressources vont probablement contraindre le nouveau gouvernement à des coupes dans le budget Défense et réduire la taille de l’armée – une mesure potentiellement coûteuse. « Le gouvernement avait prévu de moderniser l’armée, en partie pour renforcer la réputation de l’Angola comme une puissance régionale émergente en Afrique centrale et dans le golfe de Guinée, » dit Vines. « La chute des prix du pétrole a entravé toutes ces initiatives comme l’achat au Brésil de sept vaisseaux pour la marine. Nous avons récemment assisté à une vague d’acquisitions qui semblaient toutefois être liées aux dépenses d’avant les élections plutôt que le fait de quelque calcul stratégique.
Vines note également que le budget Défense de l’Angola ne reflétait pas forcément la vraie puissance de l’armée, donc des coupes pourraient ne pas créer de lacunes au niveau de la sûreté nationale. « L’Angola post-conflit a largement maintenu une armée fantôme de personnes qui perçoivent encore un salaire ou une retraite en vue d’assurer la stabilité post-conflit. On assiste à une situation similaire dans de nombreux pays post-conflit d’Afrique donc ce n’est pas surprenant. »
Il avance que l’Angola a pu éviter des grandes protestations d’anciens membres de l’armée et de soldats grâce à un système coûteux de redistribution des richesses rendu possible à travers l’inflation des budgets Défense, mais que tout cela va devoir changer si le nouveau gouvernement donne la priorité au professionnalisme et à la transparence.
Les stigmates de la corruption sont profondément ancrés dans les hautes sphères du secteur de la sécurité. Ainsi, « on devrait laisser leur chance aux officiers plus jeunes et plus professionnels, » dit Thomas hausen. « Cela ne sera possible qu’à travers un processus qui permet d’établir les malversations et propose des solutions sous forme d’une commission pour la réhabilitation nationale semblable à ce qui a été mis en place ailleurs, en particulier en Afrique du Sud.
Thomashausen avance que démanteler les traditions héritées de la guerre civile nécessitera un gros effort. Il en sera de même quant au défi d’instituer des contrôles sur un pouvoir politique incontesté profondément impliqué dans des transactions économiques avec l’élite politique, le secteur de la sécurité et le monde des affaires. Le choix, dit-il, appartient au nouveau gouvernement. « Il va, soit être confronté à des soulèvements populaires, soit s’adapter et changer de style de leadership et ouvrir ainsi le pays à l’égalité politique et à l’État de droit. Désormais, la stabilité ne sera plus une caractéristique du système politique de l’Angola.
Ressources complémentaires
- Alex Vines, « Review article: Continuity and Change in Angola: Insights from Modern History » Chatham House, International Affairs, Volume 92, No 5, septembre 2016.
- R. Mailey, « The Anatomy of the Resource Curse: Predatory Investment in Africa’s Extractive Industries, » Africa Center for Strategic Studies, Special Report, No. 3, mai 2015.
- Lara Pawson, « Book Review: Magnificent & Beggar Land: Angola Since the Civil War by Ricardo Soares de Oliveira, » African Arguments, mars 2015.
- Rebecca Engebretsen, « Angola’s Ruling Family Is Worth Billions. What Happens When Dad Steps Down? » African Arguments, 14 août 2017.
- Soren Kirk Jensen, « Angola Prepares for Life after dos Santos, » World Politics Review, 15 février 2017.