Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprête à célébrer son 50ème anniversaire, Son Excellence Damtien Tchintchibidja, vice-présidente de la Commission de la CEDEAO, revient sur certaines des principales réalisations de l’organisation. Il s’agit notamment d’investissements dans l’approvisionnement énergétique de la région, la sécurité alimentaire et le développement du capital humain, ayant contribué au développement des États membres et à la croissance économique de la région. Ces initiatives de la CEDEAO renforcent la résistance à l’extrémisme violent, à la criminalité transnationale organisée, aux chocs économiques liés à la pandémie et à l’augmentation de la part de la jeunesse dans la population.
Face aux défis de l’Afrique de l’Ouest, la vice-présidente Tchintchibidja considère que la paix, la sécurité et la prospérité de la région sont liées à une CEDEAO plus intégrée. Elle appelle les membres de la CEDEAO à continuer à « exploiter le potentiel des jeunes et des femmes » et à combler le fossé entre les sexes et la fracture numérique comme une question de sécurité nationale, afin de « ne pas laisser la moitié de l’équipe sur le banc de touche ».
Transcription de l’entretien
Katie Nodjimbadem : [00:00:05] Bonjour. Je m’appelle Katie Nodjimbadem et je suis l’analyste académique du Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Aujourd’hui, je suis accompagnée de la vice-présidente de la Commission de la CEDEAO, Damtien Tchintchibidja. Madame, soyez la bienvenue.
S.E. Damtien Tchintchibidja : [00:00:23] Merci.
Nodjimbadem : [00:00:24] Pour commencer, la CEDEAO fêtera son 50ème anniversaire l’année prochaine. L’Afrique de l’Ouest a rapidement évolué au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis sa création. Quelles sont, selon vous, ses réalisations les plus notables ?
Tchintchibidja : [00:00:38] Merci beaucoup pour l’invitation. En ce qui concerne la CEDEAO, oui, nous célébrons notre 50ème anniversaire en mai prochain. Et en termes de réalisations, nous en avons une longue liste dont nous sommes très fiers. Il y a le protocole sur la libre circulation des personnes et des biens qui permet à nos citoyens de se déplacer sans visa d’un État membre à l’autre, ainsi que de s’établir et créer une entreprise dans n’importe lequel de nos 15 États membres. Nous avons également une institution communautaire basée à Lomé qui s’appelle l’ARAA [Agence Régionale pour l’Agriculture et l’Alimentation]. Elle gère notamment un stock de céréales qui permet d’approvisionner les États membres qui en ont besoin en cas de famine. Elle nous aide donc en termes de sécurité alimentaire.
Nous avons également consolidé notre marché commun avec une union douanière au sein de notre espace régional. Nous avons aussi élaboré une stratégie régionale de développement du capital humain pour nous aider à exploiter les compétences de notre jeune population et à combler le fossé hommes/femmes au sein de notre communauté. Nous avons donc envisagé divers projets de développement d’infrastructures. Et pour mieux intégrer notre espace régional, nous avons créé le Système d’échange d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA) (en anglais WAPP : West African Power Pool), qui est une interconnexion de notre réseau électrique à travers 14 de nos États membres. Parallèlement, nous disposons d’une plateforme d’échange en temps réel sur laquelle les États membres peuvent vendre leurs excédents ou acheter de l’électricité lorsqu’ils en ont besoin. Nous travaillons également sur le corridor Lagos-Abidjan, qui est une interconnexion de nos infrastructures routières pour contribuer à une plus grande prospérité économique dans notre espace régional. Voilà donc quelques-unes des réalisations que nous avons accomplies au cours de nos 50 années d’existence et dont nous sommes très fiers.
Il est important d’y inclure les femmes et les jeunes, surtout si l’on considère la proportion de femmes et de jeunes au sein de notre population. On ne dirige pas une équipe de football en laissant la moitié de l’équipe sur le banc de touche.
Nodjimbadem : [00:03:29] Merci et félicitations. Quels sont les principaux défis et opportunités de la CEDEAO à l’heure actuelle ?
Tchintchibidja : [00:03:37] Eh bien, en ce qui concerne nos défis, notre région est confrontée à une violence extrême et à des attaques terroristes qui déstabilisent nos États membres et s’étendent également à nos pays côtiers. C’est le principal défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. En outre, comme d’autres régions du monde, nous sommes confrontés à des pressions économiques résultant de la période de Covid qui a freiné notre croissance économique. Nous sommes également confrontés à une population très jeune dans laquelle nous devons investir. Comme vous le savez, 65 % de notre population a moins de 20 ans. C’est un atout pour nous, mais cela peut aussi devenir une bombe à retardement si nous ne fournissons pas à cette jeunesse les outils nécessaires pour qu’elle devienne un membre productif de la société et contribue au développement de nos économies. Les femmes représentent 53 % de notre population. Il est important pour nous de combler le fossé entre les sexes, et d’aider ces femmes à contribuer pleinement au développement de nos économies. Ce sont donc des opportunités dans lesquelles nous investissons, une fois encore, par le biais de notre stratégie de développement du capital humain, dans le cadre de laquelle nous essayons d’exploiter le potentiel des jeunes et d’amener toutes les femmes sur le marché du travail pour qu’elles contribuent au développement économique au sein de notre espace régional.
Nodjimbadem : [00:05:27] Vous vous engagez depuis longtemps pour le renforcement des capacités des femmes et des jeunes ainsi que la consolidation de la paix, comme vous venez de le souligner. Selon vous, pourquoi les femmes et les jeunes sont-ils des acteurs importants de la sécurité en Afrique de l’Ouest ?
Tchintchibidja : [00:05:41] Pour nous, il est important de réunir tout le monde autour de la table. Il est important d’y inclure les femmes et les jeunes, surtout si l’on considère la proportion de femmes et de jeunes au sein de notre population. On ne dirige pas une équipe de football en laissant la moitié de l’équipe sur le banc de touche. Ainsi, pour développer nos économies et aussi pour des raisons de sécurité nationale, il est essentiel que nous fournissions aux jeunes et aux femmes les outils nécessaires pour qu’ils puissent contribuer pleinement à la paix, à la stabilité et au développement économique au sein de notre espace régional. Nous en sommes donc très conscients. Et nous savons qu’en amenant ces groupes marginalisés à la table des négociations et en leur fournissant les outils nécessaires, nous obtiendrons des résultats tangibles pour notre espace régional. Pour nous, il s’agit d’une question de sécurité nationale, sans aucun doute. Nous mobilisons divers partenaires pour trouver des moyens de dispenser davantage de formations, de développer le potentiel des femmes et des jeunes, de combler le fossé numérique et de mettre ces outils à leur disposition pour qu’ils puissent prospérer.
Trois États membres ont exprimé leur volonté de quitter la communauté. Cependant, je reste persuadée que nous demeurons liés par un lien fraternel au sein de notre espace régional.
Nodjimbadem : [00:07:01] Merveilleux. Et pour l’avenir, où voyez-vous la CEDEAO dans dix ans ?
Tchintchibidja : [00:07:08] Pour moi, la CEDEAO est une région qui, j’en suis convaincue, continuera à se développer. Elle continuera à consolider son intégration malgré les défis auxquels nous sommes confrontés. Comme vous le savez, trois États membres ont exprimé leur volonté de quitter la communauté. Cependant, je reste persuadée que nous demeurons liés par un lien fraternel au sein de notre espace régional. J’attends avec impatience les dix prochaines années pour voir une CEDEAO qui se développera sur le plan économique et un espace régional plus intégré. Un espace où les femmes, les hommes, les jeunes, les personnes âgées et les enfants de tout le monde peuvent se déplacer librement, où il y aura un village mondial dans notre espace. Et nous pouvons continuer à promouvoir toutes ces politiques pour développer davantage nos économies et apporter la paix et la sécurité dans notre espace régional, parce que nous avons besoin de cette paix et de cette sécurité pour développer davantage nos économies. Dans dix ans, malgré tous les défis auxquels nous sommes confrontés, je suis fermement convaincue que la CEDEAO a un bel avenir devant elle.
Nodjimbadem : [00:08:32] Merci. Au Centre d’études sur l’Afrique, nous sommes impatients de voir où en sera la CEDEAO à la prochaine décennie. Et nous vous remercions de vous être jointe à nous aujourd’hui.
Tchintchibidja : [00:08:40] Merci beaucoup de nous avoir reçus. Nous vous en sommes reconnaissants.
Ressources complémentaires
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La menace en constante évolution de l’islamisme militant en Afrique », Infographie, 13 août 2024.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Sécurité et stabilité : Le rôle de la jeunesse dans la prévention et la réponse à l’extrémisme violent en Afrique », webinaire, 8 août 2024.
- Daniel Eizenga et Amandine Gnanguênon, « Recadrer la réponse des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest à l’extrémisme violent », Bulletin de la sécurité africaine n°43, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, juillet 2024.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Culture, démocratie et lutte contre l’extrémisme violent », Éclairage, 18 juin 2024.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La CEDEAO risque sa réputation durement acquise », Éclairage, 6 mars 2020.
- Paul Nantulya, « Les leçons de la Gambie sur l’efficacité de la coopération en matière régionale », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 27 mars 2017.