L’évolution du maintien de la paix africain


Alors que la Charte des Nations-Unie compte 15 000 mots, ses premiers mots définissent sa fin – « Maintenir la paix et la sécurité internationales ». Les missions de maintien de la paix sont ici un instrument essentiel. Aujourd’hui, l’ONU est engagée dans 16 missions actives dans le monde. Le travail peut être difficile et dangereux et, jusqu’à présent, les missions ont déjà enregistré plus de 1600 morts. Neuf des missions onusiennes actuelles ont pour cadre l’Afrique où se déroulent un plus de la moitié des conflits armés recensés dans le monde. Les soldats de l’ONU pour le maintien de la paix sont présents en République centrafricaine, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Libéria, au Mali, dans le Soudan du Sud, au Soudan et dans le Sahara occidental. De plus, l’UA dirige la mission de maintien de la paix de l’AMISOM en Somalie. (Parfois, les déploiements de l’UA évoluent vers des missions onusiennes, comme la mission de la MISCA en République centrafricaine qui compte 5600 personnes).

Illustration 1. Les plus grands contributeurs africains aux missions de maintien de la paix

Illustration 1. Les plus grands contributeurs africains aux missions de maintien de la paix
Sources : United Nations Department of Peacekeeping Operations, African Union.
NB : Les contributions à l’ONU jusqu’à décembre 2015 ; les contributions à l’UA sont non datées.

Dans l’ensemble, les 10 opérations de maintien de la paix en Afrique dépendent de 100 000 soldats, observateurs militaires, membres de la police et civiles venus du monde entier. Avec le temps, le mandat de ces missions s’est constamment étendu. Outre la protection de la population civile, les Casques bleus doivent faire face aux forces irrégulières telles qu’Al Shabaab, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou la défunte milice M23 en République démocratique du Congo.

Les contributions des pays africains, notamment plus de 65 000 personnes, ont été essentielles à ces efforts. Elles servent d’engagement à la paix et la sécurité dans la région aussi bien pour l’objectif moral et l’intérêt mutuel. Elles reflètent aussi les efforts soutenus des états africains et de leurs organes multilatéraux pour surmonter le défi d’une action commune face à la guerre, aux désastres naturels ou au génocide. Le mantra « Solution africaine aux crises africaines » reflète cet effort concerté (Illustration 1).

Trois leçons s’imposent quand on examine les tendances des contributions africaines aux opérations de maintien de la paix.

Les contributions de l’Afrique augmentent

Entre 2010 et 2015, 14 des 18 pays africains ayant contribué le plus de troupes ont encore augmenté leurs contributions portant le nombre total de 32 000 troupes à 47 000, soit une augmentation de 46% (illustration 2).

Illustration 2. Les contributions africaines aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, 2010-15.

Illustration 2. Les contributions africaines aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, 2010-15.
Source : United Nations Department of Peacekeeping Operations. NB : Les effectifs pour le mois de décembre de cette année. Illustration 1 montre les « autres ».

L’Éthiopie est derrière 40 pour-cent de l’augmentation totale pour la période de 2010 à 2015. En 2015, la majeure partie des troupes onusiennes venues d’Éthiopie étaient déployées au Darfour et à Abyei (ses troupes de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie). La hausse des contributions entre 2010 et 2011 reflète les débuts de la FISNUA à Abyei, où près de la moitié des troupes de la mission viennent d’Éthiopie. Le pays a aussi attiré l’attention de manière positive pour sa capacité de déployer les troupes en moins d’un mois après l’autorisation de la force par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le président d’Éthiopie Mulatu Teshome déclarait en septembre 2015 que son pays renforcerait encore son rôle dans le maintien de la paix.

Le Rwanda est aussi derrière la forte augmentation des contributions. Alors que le pays a marqué le début de la décennie comme le troisième plus grand contributeur de troupes africaines, le Rwanda a doublé cette contribution avant 2015 pour atteindre 6 000 soldats. La plupart des soldats sont déployés au Soudan ou dans le Soudan du Sud.

Le Burkina Faso et le Niger ont aussi contribué à cette augmentation substantielle pendant cette période de cinq ans. Les deux pays ont contribué à la mission onusienne au Mali après la prise de contrôle par les militants islamiques de la moitié nord du pays en 2012. Le Sénégal a aussi été un contributeur important de troupes pour le Mali – il a expédié 500 soldats en 2013 et, en 2015, avait déjà près de 1000 soldats et membres de la police basés dans le pays.

L’Égypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud sont une aberration voyante

L’Égypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud se démarquent de la tendance générale vers de plus grandes contributions. (Les contribution à l’ONU de l’Uganda ont diminué mais de manière insignifiante). Entre 2010 et 2015, ces trois pays ont collectivement réduit leurs contributions par près de la moitié, allant de près de 14 000 personnes à juste en dessous de 8 000 personnes (illustration 3).

Illustration 3. Les contributions aux opérations de maintien de la paix de l’ONU de l’Égypte, du Nigeria et de l’Afrique du sud, 2010-15

Illustration 3. Les contributions aux opérations de maintien de la paix de l’ONU de l’Égypte, du Nigeria et de l’Afrique du sud, 2010-15
Source: United Nations Department of Peacekeeping Operations. NB : Les effectifs pour le mois de décembre de cette année.

Les actions du Nigeria et de l’Afrique du Sud sont particulièrement marquantes pour l’Afrique sub-saharienne. Les deux pays sont des poids lourds relatifs du point de vue militaire et, historiquement, ont été une force de stabilité. Contrairement aux états qui déploient principalement dans les pays avoisinants, le Nigeria et l’Afrique du Sud ont fait preuve de leur capacité à participer à des services de maintien de paix plus distants. Les défis sur la scène domestique semblent cependant avoir recentré leurs efforts vers l’intérieur.

Le Nigeria est devenu rongé par une campagne anti-insurrectionnelle contre Boko Haram qui devient de plus en plus violent et capable. En soi, il s’agit là d’un élément important pour la consolidation de la paix et de la stabilité mais il prive au même temps le continent d’un de ses plus grands, plu compétents et plus importants partenaires du maintien de la paix. Effectivement, dans les années 90, le Nigeria a pris la tête de la force régionale de la CEDEA à destination du Liberia et du Sierra Leone, et ensuite de la Guinée-Bissau. Il a aussi été le principal bailleur de fonds et a fait appel au plein éventail de ses forces terrestres, sa marine et ses forces aériennes. Au début des années 2000, le Nigeria s’est de nouveau trouvé à la tête d’une force régionale (qui est plus tard devenue une mission des Nations unies) à destination du Liberia tout en contribuant simultanément à la mission onusienne en Côte d’Ivoire (MINUCI). Vu cette histoire de contributions relativement importantes, une diminution de la participation du Nigeria laisse la région plus vulnérable au cas d’une autre crise majeure.

Les contributions de l’Afrique du Sud aux forces onusiennes n’ont pas significativement diminué entre 2010 et 2015, mais sont restées inchangées. C’est remarquable car, historiquement, l’Afrique du Sud avait associé ses déploiements dans le cadre du maintien de la paix avec ses efforts en matière de la médiation politique et diplomatique pour appuyer son image et rôle grandissant comme « puissance intermédiaire » dans la sphère internationale. Cependant, des états africains moins puissants contribuent maintenant beaucoup plus de Casques bleus même si une gamme de défis au cours de cette décennie aurait pu bénéficier d’une participation de l’Afrique du Sud. Par exemple, en 2001, l’Afrique du Sud a joué un rôle important dans l’envoi de forces de maintien de la paix au Burundi. Cette contribution a été assortie d’efforts diplomatiques pour guider les pays vers la paix. Mais depuis qu’en 2015 le Burundi a encore une fois sombré dans la crise, l’Afrique du Sud n’a, à aucun moment, cherché un réengagement. Effectivement, l’Afrique du Sud semble avoir passé outre les possibilités de mobiliser son rôle important comme démocratie subsaharienne à revenu supérieur-moyen et de devenir un leader plus important et une force de normalisation au niveau de la sécurité du continent. Ici aussi, les défis internes ont peut-être joué un rôle. Depuis quelques années, l’Afrique du Sud fait face à des chocs économiques successifs et à des variations volatiles du PNB et du taux de chômage (illustration 4).

Illustration 4. La tourmente économique en Afrique du sud

Illustration 4. La tourmente économique en Afrique du sud
Source : The Economist.

L’Égypte est un autre pays africain qui a contribué des troupes de maintien de la paix loin de ses frontières – et ses contributions aussi sont sur le déclin. En 2010, avec ses 5400 casques bleus, ou environ 17 pour-cent du total pour le continent pour cette année-là, l’Égypte se classait en deuxième position parmi les contributeurs africains. En 2015, ses contributions ont diminué de moitié pour atteindre 3000 personnes – une réduction importante dans le nombre de Casques bleus égyptiens en République démocratique du Congo, au Darfour et au Soudans du Sud (MONUSCO, MINUAD et MINUS respectivement). Dans les années 2010-2015 l’Égypte a aussi maintenu de petites contributions dans le Sahara occidental et en Côte d’Ivoire. Il est tentant d’attribuer le déclin général dans le nombre de troupes de maintien de la paix aux conflits internes auxquels le pays devait faire face. L’Égypte a cependant contribué quelques 1000 personnes à la mission onusienne en République Centrafricaine (MINSUCA), alors que quelques-unes des autres missions auxquelles le pays participait arrivait à leur fin, comme prévu. Quelle que soit la cause, il faut remarquer que les contributions générales d’Égypte au maintien de la paix ont enregistré une baisse au même moment que celles du Nigeria et de l’Afrique du Sud. La retombée a diminué l’implication des grandes puissances militaires du continent dans l’exportation des opérations de la paix bien au-delà de leurs frontières.

Le maintien de la paix des pays africains a un caractère plus diversifié et plus régional que jamais

En 2015, avec le déclin des activités de l’Égypte, du Nigeria et de l’Afrique du sud, le fardeau des contributions au maintien de la paix était plus uniformément réparti entre les pays contribuant des forces qu’en 2010 (illustration 5). Alors que la baisse dans les contributions de certains états africains puissants peut constituer une perte opérationnelle, elle rend le continent moins dépendant d’un pays contributeur spécifique et, en conséquence, le groupe des parties prenantes qui sous-tend le fardeau collectif de la sécurité est plus diversifié.

Illustration 5. Les plus grands contributeurs africains aux missions de maintien de la paix de l’ONU, 2010 et 2015

Illustration 5. Les plus grands contributeurs africains aux missions de maintien de la paix de l’ONU, 2010 et 2015
Sources : United Nations Department of Peacekeeping Operations, African Union. NB : Les contributions à l’ONU jusqu’à décembre 2015

La diversification des contributions au maintien de la paix sur le continent précise l’importance de la proximité régionale. Dans l’absence de la volonté ou de la capacité des états tels que l’Égypte, le Nigeria et l’Afrique du sud de déployer des forces militaires robustes à plus grande distance, les zones exposées aux conflits ont vu arriver des forces de maintien de la paix venues généralement des pays proches. Effectivement, le nombre croissant de déploiements des forces de maintien de la paix africaines se généralement fait entre voisins. Si on passe outre les contributions qui comptent moins que plusieurs centaines de personnes, pratiquement toutes les contributions au maintien de la paix que nous examinons ici, ciblent l’insécurité proche.

D’un côté, la motivation ici est son propre intérêt. Cela permet vraisemblablement aux états d’endiguer le conflit avant qu’il ne pénètre les pays mêmes des forces de maintien de la paix, de renforcer les relations bilatérales et régionales et d’agir à rabais avant que cela ne devient plus couteux dans une région qui manque déjà de ressources. D’un autre côté cependant, une telle solution suscite des préoccupations que les pays avoisinants sont peut-être trop axés sur leurs intérêts spécifiques et non pas sur les priorités en matière de stabilisation du pays en crise. Pour cette raison, il est particulièrement important d’avoir des missions autorisées par l’ONU et qui comptent des soldats extérieurs à la région. Ceci étant dit, l’expansion des capacités africaines de maintien de la paix est une victoire pour le multilatéralisme et les efforts africains pour surmonter le défi de la sécurité collective, un objectif au cœur de la création de l’Union africaine.