Différentes recettes, un seul plat : éluder la limitation de la durée des mandats en Afrique


Blaise Compaoré, Yoweri Museveni, Pierre Nkurunziza, and Robert Mugabe

Blaise Compaoré, Yoweri Museveni, Pierre Nkurunziza, et Robert Mugabe ont cherché à étendre ou de contourner les limites de mandat dans leur pays. Photos: US State Dept., UK Foreign Office, World Economic Forum, et US Navy/Jesse B. Awalt.

Au cours des dernières années, la politique africaine a été marquée par un grand nombre de dirigeants cherchant à échapper à la limitation de la durée des mandats présidentiels pour rester en fonction plus longtemps. Non seulement ces manœuvres compromettent les constitutions nationales, mais ils déclenchent souvent l’instabilité et les conflits. Tandis que les titulaires peuvent faire valoir que les limitations de la durée des mandats sont incompatibles avec les réalités africaines, ce raisonnement ne tient pas compte des initiatives et des institutions pilotées par des entités africaines qui démontrent le contraire.

La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, ratifiée en 2012, appelle les États membres à « enraciner une culture politique de changement de pouvoir ». Elle identifie également les « moyens illégaux d’accès ou de maintien du pouvoir », notamment « tout refus de céder le pouvoir après des élections libres, équitables et transparentes », ainsi que « tout amendement constitutionnel qui enfreindrait les principes de changements démocratiques du pouvoir ».

Ces principes reposent sur la Déclaration sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique de 2002 de l’Union africaine (UA), qui exige que les élections soient organisées par des « organes électoraux nationaux impartiaux, participatifs, compétents et responsables ». Elle appelle également les États membres à empêcher la fraude, les tricheries et autres pratiques illégales. D’un autre côté, cette focalisation explicite sur le leadership éthique se réfère à la Conférence sur la sécurité, le développement et la coopération en Afrique de l’UA/Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1991, qui a identifié le manque de démocratie participative comme étant la cause principale de l’insécurité sur le continent.

Le prolongement des mandats « renforce les réseaux de corruption et l’inégalité… Les leaders de longue date se trompent s’ils s’imaginent qu’ils améliorent les moyens d’existence des citoyen. »

En outre, les chercheurs africains soutiennent aujourd’hui de plus en plus qu’il existe un lien direct entre le respect des cadres constitutionnels démocratiques et la stabilité. Selon Shola Omotola, maître de conférences à l’Université Redeemer au Nigeria, les extensions de la durée des mandats enfreignent le Cadre de 2000 pour une réponse de l’OUA aux changements anti constitutionnels de gouvernement. Tout d’abord, elles facilitent la manipulation des dispositions constitutionnelles, qui, à leur tour enfreignent les principes spécifiques de la Charte de 2012. De plus, elles suscitent des tensions politiques qui se transforment souvent en violence. C’est pour cela que le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a affirmé que « la révision de constitutions pour servir les intérêts étroits… sont de puissants déclencheurs de soulèvements populaires ». Le feu Mwangi Kimenyi, ancien directeur de l’Africa Growth Initiative à la Brookings Institution, a noté que le prolongement des mandats « renforce les réseaux de corruption et l’inégalité… Les leaders de longue date se trompent s’ils s’imaginent qu’ils améliorent les moyens d’existence des citoyen » a-t-il averti. D’autres observateurs, tels que Jideofor Adibe, maître de conférences à l’Université d’État de Nasarawa au Nigeria, va même plus loin en soutenant que de telles manœuvres politiques entraînent des « coups constitutionnels », qui sont tout aussi préjudiciables que les coups militaires, nonobstant leur rhétorique démocratique.

Techniques variées et sophistiquées

L’utilisation de canaux institutionnels officiels, comparée aux moyens anticonstitutionnels, est devenue une technique courante pour prolonger le maintien du pouvoir. L’invocation de la rhétorique démocratique et pan-africaniste confère une aura de crédibilité et l’apparence d’un engagement envers le processus démocratique. Dans presque tous ces cas, les titulaires exploitent des failles pour prolonger leur mandat. Avec des majorités parlementaires fortes étayées par des systèmes extensifs de patronage, les leaders sont en mesure de modifier les dispositions constitutionnelles et de manipuler les élections.

Sylvère Nimpagaritse, formerly Vice President of Burundi's Constitutional Court.

Sylvère Nimpagaritse, ancien Vice-président du Cour constitutionelle du Burundi.

Les manœuvres déployées par les élus diffèrent en fonction du contexte. Le Président fondateur de la Namibie, Sam Nujoma, a lancé la tendance en 1998 en introduisant un projet de loi qui lui permettait de servir un troisième mandat. L’effort a été structuré autour d’une interprétation restrictive et technique de la Constitution namibienne, qui faisait valoir que, dans la mesure où le président avait initialement été élu par une Assemblée constituante, son premier mandat ne comptait pas dans le calcul de la limitation. (Nujoma n’a pas souhaité briguer un quatrième mandat et a démissionné en 2005). La Zambie et le Malawi ont fait la même chose en 2001 et 2003 respectivement. Toutefois, les élus de ces pays, Frederick Chiluba et Bakili Muluzi, ne sont pas parvenus à se faire réélire, après une division tumultueuse de leurs partis et la perte de leur majorité parlementaire. Au Tchad, en Guinée et au Niger, les élus ne savaient pas si leurs parlements accepteraient un changement constitutionnel bien qu’ils bénéficient d’une forte majorité. Tous les trois ont opté finalement pour des référendums et tous les trois ont réussi à prolonger leurs mandats.

En 2005, Yoweri Museveni, de l’Ouganda, a offert un « cadeau politique » en combinant l’élimination des limitations de la durée des mandats avec la promesse d’un retour à la démocratie multipartite. Les deux propositions ont été présentées ensemble, mettant les adversaires dans une position inconfortable puisque toute opposition à l’annulation de la limitation de la durée des mandats aurait également entraîné le rejet de la réintroduction du multipartisme. L’an dernier, au Burundi, le parti au pouvoir a utilisé une faille technique pour réinterpréter la Constitution de 2010 et son document fondateur, les Accords d’Arusha de 2000, pour prolonger le mandat du président Pierre Nkurunziza. Les partisans du parti ont soutenu que, dans la mesure où le président avait été élu par un vote parlementaire en 2005, son premier mandat ne répondait pas au critère de suffrage universel. Aujourd’hui, Joseph Kabila, de la République démocratique du Congo est suspecté de viser un prolongement par défaut lorsque son mandat expirera en novembre 2016. Son parti a mis en place toute une série de lois qui, selon les observateurs et les opposants disent vont inévitablement retarder les élections et lui permettre d’invoquer une disposition qui lui permettra de rester en fonction jusqu’à ce que toutes les lois en suspens aient été adoptées, ce qui pourrait signifier indéfiniment.

Tactique et leçons pour les normes constitutionnelles

Hifikepunye Pohamba

Hifikepunye Pohamba.

Une étude d’Afrobarometer datant de 2015, réalisée dans 30 pays, a révélé que la vaste majorité des Africains étaient en faveur d’une limite des mandats présidentiels à deux mandats. Telle est l’opinion de la majorité, même dans les pays qui n’ont jamais eu de limitations du nombre de mandats, ou qui les ont éliminées, ce qui remet en question l’affirmation par les élus que leurs campagnes reflètent la volonté populaire. Au contraire, la résistance aux changements concernant la limitation du nombre de mandats est de plus en plus répandue. En Namibie, le discours populaire sur le constitutionnalisme a pris de l’ampleur à la suite du troisième mandat de Nujoma, grâce à une société civile vigilante et bien organisée. Hifikepunye Pohamba, le successeur de Nujoma, a respecté la limitation du nombre de mandats à deux mandats, et a remis les rênes du gouvernement à son successeur, Hage Geingob, en 2015.

Au Malawi et en Zambie, les réformistes du parti au pouvoir ont forgé des alliances stratégiques avec l’opposition et la société civile pour bloquer les amendements constitutionnels visant à prolonger les limitations du nombre de mandats présidentiels. Au Burundi, des amendements similaires ont été rejetés de justesse en mars 2014 par une alliance non officielle du parti au pouvoir et de l’opposition des législateurs, et une coalition de plus de 200 associations civiques. Cette alliance a poursuivi sur sa lancée et a contrecarré la tentative du gouvernement de soumettre la question à un référendum. Mais le parti au pouvoir a persévéré avec son offre de toute façon, incitant 100 membres de haut rang à quitter en signe de protestation. Le parti a présenté le cas devant la Cour constitutionnelle. Toutefois, la veille de la décision, le vice-président du tribunal s’est enfui, en disant qu’il avait subi des intimidations. Un fois de plus, le gouvernement a persévéré, déclenchant des émeutes généralisées et pour finir une rébellion armée..

Des manifestants en Burkina Faso

Des manifestants en Burkina Faso. Photo: Z. Wanogo/VOA.

Au Burkina Faso, les partis de l’opposition et les groupes de la société civile ont tenu des campagnes de désobéissance civile pendant toute l’année en 2014 pour protester contre la candidature du président à un troisième mandat. Le point culminant a été le 30 octobre, après que le Parlement a adopté un projet de loi ouvrant la voie à un référendum. Les émeutes se sont intensifiées le 31 octobre, et une prise de contrôle par les militaires a suivi, envoyant le Président Blaise Compaoré en exil. Le pouvoir a été ensuite transféré au Président de l’Assemblée Nationale, suivi par la mise en place d’un gouvernement de transition.

À ce jour, ces luttes se poursuivent parallèlement à celles des élus pour prolonger ou contourner les limitations du nombre de mandats. Les tribunaux, les parlements et les référendums offrent aux élus des voies officielles, quoique manipulées, pour légitimer leurs actions, tout en invoquant le processus démocratique. Toutefois, une opposition à de telles manœuvres est maintenant profondément intégrée dans les récits de résistance comme un moyen d’expression pour les doléances des citoyens. Il est tout aussi important, comme on l’a vu au Burkina Faso, que les défenseurs de la limitation du nombre de mandats n’inscrivent pas leurs luttes dans le contexte des normes occidentales. Ils les inscrivent au contraire dans un cadre normatif africain qui est bafoué par les leaders du continent.

Experts

  • Joseph Siegle, Directeur de la recherche
  • Dorina Bekoe, Professeure associée, Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits

Ressources complémentaires