Changements dans la guerre civile en Libye

Les gains rapides du Gouvernement d’union nationale libyen ont poussé les forces du général rebelle Khalifa Haftar à abandonner de vastes étendues de territoire dans l’ouest de la Libye, modifiant encore l’équilibre de cette concurrence géostratégique.


Malgré le soutien de la Russie, de l’Égypte et des Émirats arabes unis, les forces rebelles autoproclamées de l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Khalifa Haftar ont continué de perdre du terrain au profit du Gouvernement d’union nationale (GUN) dont les forces bénéficient d’un appui aérien et terrestre de la Turquie. Un accord négocié sous l’égide des Nations Unies et soutenu par les États non alignés semble de plus en plus être le seul moyen de parvenir à une désescalade durable permettant à la Libye de retrouver sa souveraineté.

Remarque : Les territoires sous contrôle sont présentés à titre indicatif et ne reflètent pas une délimitation précise et figée des territoires en question. (Cliquez sur l’image si vous souhaitez la partager.)

Evènements clés

  • Depuis avril, les forces du GUN ont réussi à repousser l’ANL hors de vastes zones dans l’ouest du pays. Elles ont notamment pris le contrôle de la base aérienne d’Al-Watiya. Celle-ci situee dans l’ouest du pays, avait servi à l’ANL de  position défendable importante tout au long de sa tentative de prise de Tripoli au cours de cette dernière année. Les forces du GUN ont également renforcé leurs positions autour de Tripoli en reprenant le contrôle de l’aéroport de Mitiga de Tripoli et de la ville de Tarhouna, une ancienne base arrière de l’ANL.
  • L’ONU enquête sur des rapports selon lesquels huit charniers auraient été découverts à Tarhouna et dans ses environs. Si cette information s’avère exacte, elle permettrait de confirmer la pratique répétée de crimes de guerre commis par Haftar et ses forces durant ce conflit et remontant jusqu’aux années 1980 quand Haftar, alors un officier de Mouammar el Kadhafi, avait été impliqué dans des atrocités commises pendant la guerre du Tchad.
  • Avec le retrait des forces de Haftar de l’ouest du pays, de nouveaux fronts se développent dans la guerre civile en Libye. Le conflit s’est intensifié dans la région de Syrte, située sur la côte entre l’ouest et l’est de la Libye, forçant les populations à fuir vers l’ouest de la ville. Dans le même temps, de nombreuses forces loyales au général Haftar se sont repliées sur la base aérienne d’Al Djoufrah, dans le centre du pays. Le conflit pourrait également s’intensifier dans le sud, autour de Sebha, dont le GUN essaie de reprendre le contrôle à l’ANL.
  • Les alliances évoluent dans tout le pays. Au sud, les brigades ethniques touareg et toubou dans la région d’Oubari ont renouvelé leur allégeance au GUN après les défaites de l’ANL. Ces milices ont déjà pris pour cible les forces de l’ANL dans le sud libyen, contribuant ainsi à rétablir le contrôle du GUN sur les champs de pétrole dans les zones environnantes et à l’ouest d’Oubari.
  • Dans le nord-ouest de la Libye, les milices d’Al Zintan restent fidèles à l’ANL et continuent de contrôler la région autour de la ville. Hors de cette zone, le GUN a repris le contrôle de la quasi-totalité du nord-ouest du pays, parfois appelée Tripolitaine.
  • Les drones turcs se sont révélés supérieurs aux systèmes russes de défense antimissile. Au moins neuf systèmes de défense antiaérienne russes Pantsir ont été détruits ou récupérés par les forces du GUN après avoir été neutralisés par des drones turcs. Le Groupe Wagner, une société militaire privée russe liée au gouvernement de la Russie, a fourni des armes et des forces terrestres pour soutenir les troupes de Haftar depuis au moins septembre 2019.

Dans le Bulletin de la sécurité africaine « Les enjeux géostratégiques de la guerre civile en Libye », Tarek Megerisi explique comment le conflit s’est intensifié pour devenir une lutte d’influence géostratégique de plus en plus dangereuse opposant les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie au Qatar, à la plupart des pays européens et à la Turquie. Cette compétition a de fortes implications pour l’Afrique du Nord, le sud de l’Europe, le Sahel et le Moyen-Orient. Voici quelques recommandations tirées de cette analyse :

Reconnaître que l’ONU est le médiateur impartial le mieux placé. L’escalade du conflit due à l’intervention d’acteurs extérieurs implique que les intérêts en jeu et les conséquences sur la réputation des parties prenantes ont plus de poids qu’auparavant, ce qui pourrait compliquer une éventuelle fin des hostilités. Compte tenu du coût relativement faible que les acteurs engagent pour soutenir des alliés interposés représentant leurs intérêts, ils pourraient disposer de tous des moyens nécessaires à l’entretien de cette escalade. En reconnaissant que les Nations Unies sont l’organisation la mieux placée pour faciliter une désescalade et un règlement du conflit, toutes les parties auront davantage de garanties quant à la prise en compte de leurs intérêts.

Cesser de considérer Khalifa Haftar comme une alternative viable. Il est à présent incontestable que Haftar est incapable de gagner cette guerre et de gouverner la Libye. Il apparaît ainsi comme l’obstacle évident à toute désescalade et stabilisation. Si Haftar est souvent considéré comme un maillon essentiel à une solution, il serait en réalité beaucoup plus facile de résoudre ce conflit en cessant de le traiter sur le même pied d’égalité que le GUN.

Promouvoir une politique européenne unifiée sur le conflit en Libye. Profitant de l’absence de position européenne unifiée sur le conflit en Libye, la Russie a pu tirer parti de la situation et étendre son influence sur le flanc sud de l’Europe. L’Europe se trouve ainsi confrontée à un risque bien plus grave que toute éventuelle divergence intra-européenne. L’implication croissante de la Russie en Libye devrait constituer un point de ralliement pour les membres de l’UE et de l’OTAN.

Faire respecter les normes internationales en appliquant des sanctions pour stopper l’escalade. Des sanctions contre les entreprises privées auxquelles font appel les ÉAU et les autres contrevenants pour envoyer des armes ou offrir un soutien terrestre supplémentaire, tels que le Groupe Wagner d’Evgeny Prigozhin, pourraient également créer un environnement plus propice à la paix en Libye. Une campagne coercitive de ce type pourrait aussi être dirigée contre les belligérants libyens qui tentent de compromettre le processus mis en œuvre par les Nations Unies.

Rendre un cessez-le-feu national plus durable grâce à des cessez-le-feu locaux. La société libyenne et les différentes milices qui composent les deux coalitions rivales étant disséminées, un cessez-le-feu national ne pourra être efficace qu’à condition que les communautés effectivement engagées dans les combats soient concernées Il est donc essentiel de mettre l’accent sur des « cessez‑le‑feu locaux » entre les communautés belligérantes, notamment à Misrata et Tarhounah, pour mettre fin à la guerre civile.