Des manifestants sont descendus dans les rues de Bujumbura après la décision du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir au Burundi, de désigner le président en fonction, Pierre Nkurunziza, comme candidat de son parti à l’élection présidentielle qui doit se tenir le 26 juin. La mesure est controversée car elle risque d’aboutir à l’exercice d’un troisième mandat présidentiel qui violerait la limite des deux mandats fixée par l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha de 2000 ayant défini le processus de transition politique du Burundi après la guerre civile, son cadre constitutionnel et son système de gouvernement actuel. L’Accord d’Arusha a également fourni un cadre pour le processus émergent d’édification d’un État multiethnique burundais nouveau, qui a assuré la cohésion dans le pays après des décennies de violences cycliques, y compris de génocide, entre ses deux groupes dominants, les Hutus et les Tutsis.
Tout ceci risque maintenant de s’effriter. Accusant les médias d’inciter au « soulèvement », le gouvernement a fermé sept stations de radio populaires, bloqué des médias sociaux et fait arrêter une centaine de protestataires, dont des défenseurs des droits de l’homme. Quinze personnes au moins ont été tuées, mais les manifestants ont déclaré leur volonté de poursuivre les protestations. Le président tanzanien, Jakaya Kikwete, a averti les dirigeants burundais que leur pays risquait de connaître de nouveaux troubles sociaux s’ils « ne respectaient pas » l’accord d’Arusha.
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Tensions sous-jacentes
Cette crise est l’une des manifestations d’un combat plus vaste mené par la société civile multiethnique burundaise pour préserver l’espace démocratique et amplifier les progrès effectués par ce pays depuis 2005 pour créer une société plus inclusive. Les organisations de la société civile réclament le respect des dispositions de l’accord d’Arusha. Plusieurs semaines avant la décision controversée, les membres de la société civile avaient prévenu qu’ils manifesteraient jusqu’au départ du président Nkurunziza. Par contre, le CNDD-FDD affirme que le premier mandat du président ne compte pas parce que celui-ci avait été élu par le Parlement et non pas au suffrage universel direct.
L’affrontement a été exposé au grand jour au début 2014, lorsque le plus grand groupement de la société civile burundaise, le Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), coalition de plus de 200 organisations, s’est allié aux parlementaires de l’opposition pour faire échouer la tentative du parti au pouvoir de réviser la constitution pour permettre au président de prétendre à un troisième mandat. Cette même coalition a bloqué la tentative du gouvernement de soumettre la question à un référendum après sa défaite au parlement. Ces deux voies étant fermées, il ne restait plus au CNDD-FDD qu’à justifier la désignation du président comme son candidat unique – mais pas avant d’avoir perdu plusieurs de ses propres membres haut placés qui avaient recommandé à leur chef de ne pas briguer un troisième mandat et avaient été exclus en conséquence. De son côté, l’influente Conférence des évêques catholiques du Burundi a publié une rare déclaration qualifiant d’inconstitutionnel un troisième mandat présidentiel.
La menace de la violence modère les protestations de la société civile. La ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure (« ceux qui voient loin »), est soupçonnée d’avoir attaqué et harcelé des membres de l’opposition et des civils. Selon certaines informations, elle a été armée et intégrée dans la police, les services de renseignement et la gendarmerie et elle est opérationnelle à travers tout le pays. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 12 000 Burundais ont fui au Rwanda et en République démocratique du Congo depuis le début mars et un grand nombre d’entre eux ont dit l’avoir fait pour échapper au recrutement et aux actes d’intimidation dont se seraient rendus coupables les Imbonerakure. En avril, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a émis une mise en garde contre l’accroissement « d’exemples extrêmes de discours haineux ».
Les acteurs clés pour gérer la crise
Un grand nombre de gens se demandent avec inquiétude si l’expérience multiethnique du Burundi est assez résiliente pour surmonter la crise actuelle. Jusqu’à présent, les formules de partage du pouvoir énoncées dans l’accord d’Arusha étaient les fondements de la structure et de la composition de toutes les branches du gouvernement et de l’arrangement multiethnique. Suite à l’éclatement de la coalition du CNDD-FDD au pouvoir, il faut s’attendre à ce que la société civile éprouve des difficultés notables pour conserver son caractère multiethnique. Elle y est parvenue pour l’instant, comme en témoigne le fait que des membres des quartiers hutus et tutsis participent aux protestations. Cela fait fond sur l’héritage des dernières phases des négociations de paix d’Arusha pendant lesquelles la société civile a commencé à fonctionner sans tenir compte de l’ethnie de ses représentants – à la différence des partis politiques et des groupes rebelles qui négociaient en tant que « blocs ethniques ». Ce passé récent laisse à penser que les leaders de la société civile devront probablement jouer un rôle majeur pour maintenir la stabilité et pour que la vision d’une société inclusive survive à la crise actuelle.
L’armée est l’autre institution qu’observent tous les Burundais avec attention. Le Programme de développement du secteur de la sécurité (DSS) du Burundi a obtenu des résultats notables pour ce qui est de la réforme au niveau des politiques et des opérations et pour poser les fondements d’une culture de service nouvelle et inclusive. Toutefois, ces progrès seront probablement menacés si les différences ethniques se cristallisent au cours d’une crise prolongée. Pour le moment, les forces armées semblent protéger les protestataires et s’abstenir d’interventions antiémeutes. Le ministre de la Défense, Pontien Gaciyubwenge, a annoncé que l’armée resterait neutre. Elle se retrouve néanmoins dans une position délicate car elle a été déployée dans une crise politique d’une grande intensité et susceptible de créer des divisions. L’impression que la police et la gendarmerie ainsi que les Imbonerakure sont favorables au CNDD-FDD vient encore compliquer cette position.
Les voisins du Burundi et la région dans son ensemble ont également des responsabilités pour ce qui est d’atténuer la crise. La Tanzanie fut l’architecte de l’accord d’Arusha tandis que les négociations du cessez-le-feu et les accords ultérieurs ont eu lieu sous les auspices de l’Afrique du Sud, de sorte qu’il est justifié de penser que ces deux pays ont tout intérêt à faciliter une transition pacifique. L’Ouganda, le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie ont joué le rôle de pays « garants » du processus et, s’ils collaborent avec l’Union africaine, sont bien placés pour mener des actions diplomatiques préventives. Il ne faut pas non plus oublier le rôle du Rwanda étant donné que ce pays est de composition ethnique similaire à celle du Burundi et que les enseignements tirés de son histoire ont des résonances culturelles. Les voisins du Burundi et la communauté internationale dans son ensemble sont donc des acteurs susceptibles d’influer sur l’élaboration des normes et des principes de gouvernance qui définiront les perspectives du Burundi sur le plan de la démocratie, du constitutionnalisme et de l’état de droit.
Le plus grand espoir du Burundi réside dans les efforts qu’il poursuit pour s’écarter des pratiques d’exclusion de son passé tragique et créer une société nouvelle. L’ethnicité n’a jamais été un problème en soi : les Hutus, les Tutsis et les Twas, membres d’un groupe apparenté, partagent tous la même langue et la même culture. C’est plutôt la manipulation politique de leurs différences d’identité qui a entraîné des conflits extrêmes entre ces groupes et, à terme, le génocide. Quinze ans après la signature de l’accord d’Arusha, ce pays est une fois encore à la croisée des chemins entre la paix et la violence. La façon dont sera exercé le leadership, surtout au sein de la société civile, des élites politiques et des forces armées, déterminera si le passé tragique du Burundi restera fermement relégué dans les pages de son histoire.
Aller plus loin
- Howard Wolpe, “Making Peace After Genocide: Anatomy of the Burundi Peace Process,” United States Institute of Peace, 2011.
- Kelsey Lilley, “Burundi’s President Set to Defy Term Limits, Upset Delicate Peace,” The Atlantic Council, 23 avril 2015.
- “Burundi: Bye Bye Arusha?” International Crisis Group, Africa Report No. 192, 25 octobre 2012.
- Adonia Ayebare, “Peacemaking in Burundi: A Case Study of Regional Diplomacy Backed By International Peacekeeping and Peacebuilding” International Coalition for the Responsibility to Protect, 2011.
- Ignatius Ssuna, “Thousands of Burundians Flee and Election Tensions Rise,” IRIN Humanitarian News and Analysis, 14 avril 2015.
- Nicole Ball, “Lessons from Burundi Security Sector Reform Process,” Centre d’Études Stratégique de l’Afrique, Briefing sur la sécurité No 29, novembre 2014.
- Clement Mweyang Aapengnuo, “Misinterpreting Ethnic Conflicts in Africa,” Centre d’Études Stratégique de l’Afrique, Briefing sur la sécurité No 4, avril 2010.
Experts du CESA
- Dr. Dorina Bekoe, Professeur de la prévention des conflits, d’atténuation et de résolution
- Dr. Joseph Siegle, Directeur de la recherche
Vidéos
Marc Sommers, of the African Studies Center at Boston University, addresses the « youth bulge » in central Africa. At 10:45, he discusses how it has contributed to the formation of the Imbonerakure, the youth wing of Burundi’s ruling party:
Nicole Ball, a leading scholar of the security sector reform (SSR) process, reflects on the successes and lessons learned from Burundi’s Security Sector Development (SSD) program:
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[Photos: Voice of America; UN Photo/Penangnini Toure; UN Photo/Mario Rizzolio; IRIN/Desire Nimubona; US Army Africa/Rick Scavetta; UNHCR/S. Masengesho]
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