Bulletin de la sécurité africaine N° 13

Optimiser les structures des forces de sécurité africaines

Par Helmoed Heitman

31 mai 2011


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Résumé

Lutter contre les forces irrégulières est devenue une caractéristique commune du paysage de la sécurité africaine contemporaine. Néanmoins, le secteur de la sécurité dans la plupart des pays africains est mal préparé pour la conduite efficace de telles opérations de contre-insurrection. Il est donc impératif de réaligner les structures des forces pour répondre à ces menaces, tout en poursuivant la professionnalisation du secteur de la sécurité avec pour objectif de gagner la confiance des populations locales.

Soldiers from Kenya, Rwanda, Burundi, Uganda and Sudan practice counter-IED movement during training March 30, 2011. (Photo: US Army Africa)

Des soldats du Kenya, du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et du Soudan s’entrainent à parer les engins explosifs improvisés, 30 mars 2011. (Photo : US Army Africa)

Points Saillants

  • Les forces africaines de sécurité doivent être en mesure de contrecarrer et de vaincre des forces irrégulières, expérimentées, extrêmement mobiles et bien armées qui sont souvent profondément intégrées dans les communautés locales.
  • Elles doivent être manifestement compétentes et professionnelles pour pouvoir se faire accepter par les populations locales, dont l’appui leur est indispensable pour triompher des forces irrégulières.
  • De petites unités aux forces généralistes et équilibrées, en mesure d’exécuter sans appui des opérations sur un territoire éclaté, sont essentielles pour la constitution d’une force efficace lorsqu’il s’agit de faire face à des forces irrégulières.

L’Afrique présente maints événements économiques, sociaux et politiques positifs. Mais une grande partie du continent reste fragile, mettant en danger ces résultats. Les menaces paramilitaires sont les défis les plus pressants auxquels font face de nombreux pays africains, des menaces qui surpassent les capacités de la plupart des forces de police et qui transcendent souvent les frontières nationales. Le crime organisé, le banditisme dans les campagnes, la piraterie, les seigneurs de guerre locaux, les guérillas, la violence ethnique et religieuse ainsi que les intégristes ne sont que quelques-unes de ces nombreuses menaces.

Ces menaces paramilitaires progressent à la fois en ampleur et en portée. Le crime organisé devient plus étroitement lié au trafic de stupéfiants en provenance de l’Amérique du Sud et transitant par l’Afrique de l’Ouest, et de l’Asie transitant par l’Afrique de l’Est. Il s’agit d’un commerce qui s’élève à des dizaines de milliards de dollars. Le vol de pétrole (ou mazoutage) représente par exemple 10 % de la production totale nigériane en pétrole. De plus, la pêche illégale coûte à l’Afrique un milliard de dollars par an. L’abattage et l’exploitation minière illicite, le trafic d’armes et la contrebande ordinaire viennent amplifier la dimension et la complexité de ces menaces.

Les forces irrégulières comprennent des guérillas qui luttent contre la supposée privation de leurs droits (Darfour), l’injustice (Delta du Niger), pour la sécession (Cabinda en Angola et Casamance au Sénégal) ou pour bien d’autres causes encore. Elles comprennent aussi les milices protégeant des territoires et des ressources (République Démocratique du Congo, RDC), les armées privées embauchées par les exploitants miniers ou forestiers illégaux, ainsi que des contrebandiers, en outre des groupes dénués de toute cause « rationnelle » (l’Armée de Résistance du Seigneur). Il existe également une progression du problème du terrorisme, notamment des groupes tels qu’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al Shabaab en Somalie, mais aussi des groupes terroristes islamistes internationaux qui s’efforcent de s’établir ailleurs en Afrique.

Un grand nombre de ces forces irrégulières, qu’elles soient criminelles ou de guérilla, sont des adversaires dangereux. Elles ont une expérience considérable de la guerre d’embuscades, elles sont armées de fusils d’assaut, de lance-roquettes RPG-7 et de mitrailleuses lourdes. De plus, elles sont extrêmement mobiles dans leurs 4 x 4, équipées de GPS, de lunettes de vision nocturne et de téléphones par satellite. Quelques-unes seraient équipées de missiles antiaériens portatifs. En 2001, des terroristes ont tiré deux SA-7 d’un avion de ligne israélien à Mombasa et en 1996 des voleurs de bétails en ont utilisé un pour abattre un hélicoptère de la police kényane, tuant tout l’équipage. Certaines de ces forces sont appuyées par les pays voisins, leur donnant accès à des équipements encore meilleurs. Les forces du général Nkunda, dans l’est de la RDC, étaient équipées de chars T-55 et d’artillerie. Les guérillas en République Centrafricaine (RCA), au Tchad et en Ouganda ont été approvisionnées et parfois même déployées par voie aérienne. Certains contrebandiers ont plus que fréquemment recours aux transports aériens.

La tendance semble aussi être à la collaboration. Les opérations d’AQMI, des rebelles touaregs et des contrebandiers au Mali et au Niger sont de plus en plus entremêlées. Le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger a noué des relations symbiotiques avec les bandes de mazouteurs au Nigeria et avec les guérillas de la péninsule de Bakassi au Cameroun. Al Shabaab tire une partie de son financement de la piraterie au large des côtes somaliennes.

« La plupart des États de la région manquent de forces pouvant contrer ces menaces [paramilitaires] »

La plupart des États de la région manquent de forces pouvant contrer ces menaces, principalement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Les équipements de leurs forces armées ne correspondent souvent pas aux types d’opérations auxquelles elles sont confrontées, ce qui aggrave ce problème. Ces difficultés ne sont pas non plus suffisamment traitées par les initiatives d’assistance à la sécurité, ni par les programmes classiques de réforme du secteur de la sécurité, qui s’attachent souvent à réduire les effectifs et non pas à optimiser les forces de sécurité. De nouvelles structures des forces sont nécessaires pour faire face à ces défis. L’Afrique doit développer des forces de sécurité, en fonction du contexte, adaptées pour faire face aux menaces tant actuelles que probables, et devant être abordables.

Défis géographiques, démographiques, culturels et économiques

La taille de la plupart des pays africains est un défi géographique manifeste. La Côte d’Ivoire est plus grande que l’Italie, le Darfour au Soudan est de la taille de l’Espagne, la RCA et la Somalie sont chacune de la taille de la France, le Tchad fait deux fois la France, et la RDC fait deux fois la taille de la France et de l’Espagne réunies. Un terrain et un climat difficiles, une médiocre infrastructure des transports et une faible densité démographique rurale viennent souvent aggraver le problème.

L’urbanisation rapide est un défi démographique essentiel, qui produit des concentrations de jeunes chômeurs dans les villes et les métropoles, offrant aux criminels et aux guérillas des réserves de recrues potentielles. Elle produit aussi des agglomérations informelles qui présentent des difficultés d’ordre tactique : une navigation difficile, des routes facilement bloquées par des fossés, des civils qui ne peuvent échapper aux combats, des logements vulnérables à la pénétration de la plupart des munitions et le risque d’incendie des constructions fragiles.

Les difficultés culturelles englobent les différences ethniques, linguistiques, religieuses et tribales. De plus, les forces de sécurité doivent généralement surmonter des divisions entre les villageois ruraux et une classe d’officiers principalement urbaine.

La plupart des pays africains sont également extrêmement pauvres, il leur est difficile de répondre aux aspirations légitimes de leurs populations. Le malaise social qui en résulte est facilement exploité par les criminels, les seigneurs de guerre et certains hommes politiques, avec des implications manifestes en ce qui concerne la sécurité. La pauvreté ne permet pas de financer des forces adéquates. En 2007, les dépenses en matière de défense en RCA s’élevaient seulement à 18 millions de dollars pour 4,5 millions d’habitants. Le Tchad, avec 10,3 millions d’habitants, n’y a engagé que 70 millions de dollars. Même le Kenya, relativement prospère, avec 39 millions d’habitants, a modestement déboursé 681 millions de dollars. Le résultat ? Des forces de sécurité insuffisantes et mal équipées pour faire face à leurs responsabilités.

Des forces appropriées, adequates et abordables

L’impératif fondamental des forces de sécurité consiste à empêcher l’apparition de menaces sécuritaires, par la dissuasion ou par la prévention, et à répondre efficacement aux menaces qui se matérialisent. En Afrique, tout ceci doit se faire dans des limites budgétaires contraignantes, sur des superficies géographiques considérables et avec une mauvaise infrastructure en matière de transports. Une réflexion classique ne sera pas ici suffisante.

Les pays africains sont confrontés à des menaces sécuritaires extrêmement variées et leurs besoins sécuritaires sont très différents. Il n’existe ni de solution « unique », ni de « style universel ». Néanmoins, étant donné la nature de bon nombre de ces menaces, la plupart des opérations seront des opérations de maintien de l’ordre ou de contre-insurrection. Certains impératifs fondamentaux peuvent donc être identifiés sur cette base.

L’acceptation et la confiance accordée par les populations, sans lesquelles des opérations efficaces, contre des groupes qui se déplacent et opèrent au sein des populations, ne sont pas possibles. Les forces de sécurité doivent être absolument intégrées et engagées auprès des populations locales, disposées et à même d’apporter leur appui lorsque le besoin s’en fait sentir. Les populations doivent voir leur propre reflet dans les forces de sécurité, et les percevoir comme des alliées et une aide. Ceci exige un recrutement ciblé, un entraînement permettant aux troupes d’aider les habitants et des soldats avertis des coutumes locales et capables de s’exprimer dans les dialectes régionaux. Des réservistes, habitant sur les lieux, peuvent jouer un rôle essentiel à cet égard.

« Les forces de sécurité doivent être absolument intégrées et engagées auprès des populations locales. »

Les forces de sécurité doivent aussi être manifestement compétentes pour être acceptées par les communautés locales. Ceci exige de mettre l’accent sur le professionnalisme, notamment chez les officiers et les sous-officiers. Les forces de sécurité doivent également être d’une honnêteté visible. Ceci exige une sélection judicieuse, une instruction et une surveillance rigoureuse, des salaires compétitifs et des conditions de service convenables, ainsi qu’une administration fiable pour rendre inutile cette petite corruption. Et enfin, les forces de sécurité doivent être politiquement neutres, ce qui exige que les promotions soient clairement fondées sur des considérations d’ordre professionnel.

Une présence soutenue, sans laquelle les forces de sécurité ne pourront ni protéger, ni appuyer les populations, ni décourager le crime organisé et la formation de forces irrégulières, ni encore rallier l’appui des populations. Ceci est essentiel pour le maintien de l’ordre et devrait l’être tout autant pour les opérations de police ou de stabilité. Des forces d’une robustesse appropriée, bien informées de leur mission, entraînées et équipées peuvent offrir une protection réelle contre le banditisme et les guérillas, développer le renseignement, désamorcer les doléances en soutenant les populations et informer les pouvoirs publics des besoins critiques. Une stratégie réfléchie de positionnement permettant un accès rapide aux populations sans entraver les activités quotidiennes doit donc s’inscrire dans toute conception des forces.

Un renseignement à jour, exhaustif, sans lequel des forces de sécurité modestes ne peuvent être efficaces. Les forces de sécurité doivent véritablement comprendre leurs adversaires et l’environnement social dans lequel il leur faut opérer. Ceci exige un renseignement mis à jour constamment pour leur permettre de surveiller les tendances, de relever les évolutions pertinentes, de prévoir les menaces potentielles et d’élaborer des évaluations de situation.

Les forces de sécurité doivent également posséder des renseignements opérationnels et tactiques à jour pour rester opérantes contre des ennemis fuyants et sur leurs gardes. Ceci exige une collecte, une exploitation et une distribution efficaces des renseignements et un cycle information-renseignement-action exécuté au niveau d’unité le plus bas possible. Un système de renseignement bureaucratique classique, qui diffuse ses informations bien après le moment où elles auraient pu être utiles, ne saurait suffire dans ces conditions.

Concevoir des forces généralistes équilibres

Sur cette toile de fond, il est possible d’élaborer des concepts qui pourraient être tout à fait applicables à titre de point de départ pour la conception d’une force individualisée (cf. tableau). Des éléments de forces spécialisées viendraient les compléter, notamment une force aérienne, et selon le pays concerné, par des éléments maritimes.

Des éléments de petites forces doivent pouvoir exécuter leurs opérations sans appui, c’est là la réalité à laquelle est confrontée la plupart des secteurs de la sécurité en Afrique. Un déploiement éclaté sera essentiel pour assurer une présence et pour élaborer, et maintenir, un ensemble de renseignements utilisables. Entretemps, des renforts rapides seraient au mieux difficiles. Dans de nombreux cas, de mauvaises routes contrarient le déploiement et le soutien de forces nombreuses. Tous les éléments de forces doivent donc posséder des capacités généralistes et équilibrées ainsi qu’une mobilité protégée. Les tirs d’appui exigeront des munitions de longue portée (pour appuyer les forces dispersées déployées ou en patrouille loin de leur base), des munitions légères (pour compenser les problèmes d’approvisionnement), mais aussi des munitions précises (pour une utilisation efficace des munitions et pour éviter des dégâts matériels et humains collatéraux).

Il existe plusieurs exemples sud-africains de cette approche.

Le bataillon modulaire : Un bataillon d’infanterie dont le nombre de compagnies, de véhicules blindés, de troupes montées ou motorisées, d’ingénieurs et autres éléments attachés varie selon son domaine de responsabilité. Chaque compagnie quant à elle est également de structure modulaire, avec souvent cinq pelotons d’infanterie et un de véhicules blindés, ainsi que quelques Transports de Troupes Blindés (TTB) pour les patrouilles mobiles. Cette modularité permet d’individualiser chaque bataillon et chaque compagnie par rapport à son domaine de responsabilité (taille, terrain, routes et densité de population) et d’exécuter une gamme d’opérations avec ses propres ressources.

Le groupe-bataillon : Un bataillon d’infanterie mécanisé ou motorisé, avec une compagnie entière de véhicules blindés, une batterie d’artillerie et des hommes du génie. Les unités d’infanterie légère elles-mêmes ont été organisées en groupe-bataillon avec une compagnie de véhicules blindés, une batterie d’artillerie et des TTB pour leur mobilité, quant elles n’étaient pas engagées dans des opérations terrestres. Cette structure polyvalente et légère tenait compte du fait que les unités de niveau bataillon auraient souvent à opérer loin des autres unités ou des armes d’appui, et leur donnait la souplesse interne intrinsèque de ces opérations en toute efficacité. Elle éliminait quasiment tous les problèmes courants qui accompagnaient l’attachement provisoire d’éléments de différentes armes à une unité.

« Des éléments de petites forces doivent pouvoir exécuter leurs opérations sans appui, c’est là la réalité à laquelle est confrontée la plupart des secteurs de la sécurité en Afrique. »

Un autre exemple : le bataillon d’intervention rapide du Cameroun, créé spécifiquement pour lutter contre le grand banditisme rural et qui possède ses propres éléments aériens d’aéronefs légers et d’hélicoptères. Sa réussite vient en grande partie de sa propre doctrine et de son organisation dans la lutte contre des adversaires paramilitaires plus que contre des opérations militaires classiques. Il possède également une gamme de capacités internes qui lui permet de répondre rapidement et en toute souplesse selon l’évolution de la situation, sans avoir à demander des attachements d’appui et d’attendre leur arrivée.

Au niveau organisationnel supérieur, nous avons dans l’Armée de Terre française l’exemple de la demi-brigade, et au niveau inférieur de nombreuses armées utilisent avec de bons résultats des demi-bataillons, des groupes-compagnies et des demi-compagnies. La clef est de trouver l’équilibre des capacités correspondant à un ensemble d’impératifs tactiques probables.

En plus d’un équilibre des capacités, la composition des forces doit prévoir à tous les niveaux :

  • une mobilité et une agilité opérationnelles, tactiques et logistiques pour permettre une concentration rapide et efficace de la puissance de combat afin de saisir des opportunités fugaces d’engagement contre des adversaires fuyants
  • une domination rapide et soutenue dans un domaine de responsabilité, y compris l’élasticité (puissance et logistique) et la souplesse (capacités équilibrées) pour élargir des déploiements dans le temps ou dans l’espace, et pour les adapter à l’évolution de la situation
  • une puissance de feu, pour permettre à de petites forces dispersées de devancer et de submerger rapidement l’adversaire et de réduire au minimum les dégâts collatéraux, humains et matériels
  • des communications assurées, par voie de relais aérien lorsque les conditions l’exigent
  • un soutien logistique assuré qui tient compte des difficultés de mouvements sur des routes déplorables et du risque tout à fait réel d’embuscades ou d’interruptions des voies logistiques.

Dans la plupart des pays africains, la conception optimale des forces englobera un mélange d’éléments de forces de déploiement permanent, ayant en charge ses propres secteurs, ainsi que des éléments de forces mobiles pouvant être déplacés pour adapter la densité des forces ou remplir les fonctions de forces de réaction, lorsque nécessaire.

Ménaces paramilitaires en Afrique et impératifs en termes de forces de contrepoids

Menaces paramilitaires en Afrique et imperatifs en termes de forces de contrepoids

Les éléments en déploiement permanent les plus indiqués, dans la plupart des cas, seraient des bataillons modulaires avec des bases de compagnie ou peut-être de demi-compagnie, dans des secteurs clés de leur domaine de responsabilité. Ils peuvent être appuyés par un élément mobile qui exécuterait des patrouilles pseudo-aléatoires dans toute la zone du bataillon pour tromper l’adversaire, varier la densité des forces dans les zones sélectionnées et servir de force de réaction. Les pelotons renforcés pourraient suffire pour certains avant-postes, mais il devrait toujours y avoir deux officiers, l’un pour diriger les patrouilles, l’autre pour assurer le commandement et le contrôle. Une protection efficace des villages peut être assurée par des sections d’infanterie renforcées. Toutefois, dans chaque cas, ces éléments de petites forces doivent être assurés par un appui rapide, pour leur propre protection et pour garantir leur crédibilité.

Les éléments mobiles des bataillons modulaires seront mécanisés ou motorisés selon le terrain, la nature de l’adversaire et les fonds disponibles. Il conviendrait que le but soit de submerger de probables adversaires en mobilité et en puissance de tir, tout en assurant la protection des forces. Dans la plupart des cas, des VTT (Véhicules de Transports de Troupes) simples, faciles à entretenir, abordables et résistants aux mines, devraient suffire. Des véhicules intégralement blindés ne seraient nécessaires que lorsque les forces ne peuvent sortir des routes, sans inconvénient, et donc s’exposer aux attaques aux engins explosifs improvisés. En terrain particulièrement difficile, la configuration optimale de ces forces se composerait d’une infanterie légère déployée et appuyée par des véhicules ou des hélicoptères.

Dans la plupart des cas, les principales forces d’opération mobiles seront des groupes-bataillons ou des groupes-compagnies, opérant selon des concepts et des tactiques d’opérations à forte mobilité. La clef de leur efficacité reposera dans une réflexion mobile qui sera ensuite traduite en doctrine et en organisation détaillée.

« La nature de la tâche de la plupart des forces de sécurité africaines, à moyen terme, sera le maintien de l’ordre ou la contre-insurrection, et ne demandera pas de forces militaires complètes. »

Lorsque faire se peut, tous les éléments des forces mobiles devraient exploiter leur avantage asymétrique sur les forces légères de l’adversaire. Il n’y a rien d’aussi asymétrique qu’un véhicule de combat blindé contre des guérilleros à pied. Le concept sud-africain du « suivi mécanisé » en est un exemple. Il se fondait sur la conjugaison d’un bref cycle de renseignement au niveau du peloton et de compétences de pistage ainsi que sur la mobilité, la puissance de feu et la protection des VTT anti-mines. Le tout appuyé par des hélicoptères pour la reconnaissance, le commandement, le contrôle et l’appui-feu. Pour les guérillas, cette combinaison est très difficile à contrer.

Éléments de forces spécialisées

Dans certaines situations, il serait indiqué de développer des unités spécialisées pour compléter les forces conventionnelles. Chaque situation exigera sa propre solution, mais parmi les concepts qui se sont révélés efficaces du point de vue tactique et économique dans de multiples conflits se trouvent le déploiement d’équipes de forces spéciales pour vivre dans des communautés rurales éloignées, pour leur porter assistance et les protéger, tout en élaborant un tableau du renseignement ; le déploiement de détachements pour vivre dans des villages ruraux et les protéger ; et l’élaboration de forces d’autoprotection locales.

Les théâtres aux longues lignes de communication exigeront une réflexion soigneuse pour assurer une protection adéquate des mouvements logistiques. Les convois et les postes de contrôle seuls ne suffiront pas contre un adversaire compétent. Il faudra également des éléments de forces mobiles, exécutant des patrouilles pseudo-aléatoires dans les zones que traversent ces lignes de communication

Puissance aérienne

Étant donné les grands théâtres du continent, les faibles densités des forces et les mauvaises liaisons routières, la puissance aérienne peut constituer un facteur critique et un avantage asymétrique. Toutefois, au vu de son coût, on devrait se concentrer sur une combinaison d’aéronefs à turbopropulseurs, peu onéreux et de systèmes de haute technologie, abordables, pour fournir des capacités essentielles, notamment :

  • la reconnaissance, la surveillance et le renseignement des communications, à l’aide d’un aéronef monomoteur ou bimoteur polyvalent, équipé de tourelles optroniques et de systèmes de communication du renseignement de base. Les aéronefs téléguidés sont une option, mais ils ne sont souvent pas aussi économiques ou simples qu’ils n’y paraissent.
  • les transports, pour déployer et appuyer les éléments de forces, y compris des véhicules légers. Il est inutile d’arriver par voie aérienne pour devoir ensuite faire 100 km ou plus à pied, alors que l’adversaire est parti, ou même de manœuvrer à bord d’un 4×4.
  • la mobilité héliportée tactique, de préférence pour deux pelotons au minimum en un seul pont aérien pour assurer un élément efficace au sol et, lorsque cela est possible, avec l’appui d’hélicoptères armés.
  • l’appui aérien de combat, avec des avions à turbopropulseurs, d’entraînement et armés, et des avions de combat à voilure fixe équipés d’armes de précision peu coûteuses, pour une combinaison optimale de persévérance, de puissance de tir et de capacité financière.
  • le contrôle de l’espace aérien, avec un mélange de postes d’observation, de radars furtifs transportables et un aéronef intercepteur à turbopropulseurs, pour interdire les forces irrégulières d’avoir recours au transport aérien.

Éléments maritimes

La plupart des pays africains sont tributaires du commerce maritime, de la pêche et d’autres industries offshore, mais ils manquent le plus souvent de marines ou de gardes-côtes efficaces. Cela s’applique également aux pays possédant de longues frontières lacustres ou avec de grands réseaux de transports fluviaux. Les petits fleuves eux-mêmes peuvent servir de voies de contrebande sur des embarcations légères, et ils doivent être sécurisés. À l’instar de la puissance aérienne, il faudrait choisir en priorité des systèmes peu onéreux, apportant les capacités minimums exigées. Les capacités de sécurité maritime devront être développées par étapes selon les possibilités financières et l’expérience opérationnelle :

  • la sécurité autour des ports et sur les lieux de pêche des zones côtières, à l’aide de navires légers de patrouille du littoral, équipés seulement des systèmes de base et d’armes légères, mais pouvant opérer de nuit pour dissuader la contrebande.
  • la prévention de la contrebande directement sur les côtes, ce qui exigera des navires d’une certaine endurance, dans l’idéal avec l’appui d’un aéronef léger de surveillance (même un monomoteur suffirait).
  • la protection des actifs offshore, qui exigera des navires de plus grande taille, de 45 à 90 mètres, selon les conditions-type en mer et la distance de ces actifs. Cette protection sera le mieux assurée par une conjugaison de navires de patrouille et d’aéronefs de surveillance, qui pourront être des biturbopropulseurs légers. Cela pourrait se faire en collaboration avec les pêcheries et les sociétés pétrolières, ou financé directement par un impôt sur leurs activités.
  • la protection de la zone économique exclusive, ce qui peut de fait être une extension de la protection des actifs offshore.

Militaires ou paramilitaires ?

La nature de la tâche de la plupart des forces de sécurité africaines, à moyen terme, sera le maintien de l’ordre ou la contre-insurrection, et ne demandera pas de forces militaires complètes. De fait, une force dont l’état d’esprit au départ est le maintien de l’ordre pourrait se révéler meilleure que des forces militaires conventionnelles. Celles-ci courront inévitablement le risque de se comparer et de faire référence aux forces armées de pays plus grands, dont les défis sont tout à fait différents.

Les pays africains devraient donc étudier s’ils ne leur conviendraient pas mieux d’avoir une force de maintien de l’ordre, ou de gendarmerie, associant la police civile, des unités paramilitaires, des gardes-côtes, des patrouilles aériennes et des éléments de transport, plutôt qu’une police d’un côté et des forces armées de l’autre. Une force paramilitaire de ce type pourrait aussi conjuguer une gamme intégrale de capacités dans une seule et même organisation, éliminant ainsi les doublons des deux : police et forces militaires.

Bien évidemment, cette approche pourrait simplement ne pas être faisable politiquement parlant. Ceci laisse toutefois l’option de l’exemple européen : une gendarmerie paramilitaire, faisant partie du secteur militaire, mais à vocation policière et relevant du ministère de l’Intérieur en temps de paix. En temps de conflit ou de guerre, ce type de force assure la sécurité et la protection de la zone arrière, et ses éléments anti-terroristes spécialisés viennent compléter les forces spécialistes militaires. Cette approche sera plus onéreuse qu’une seule force mais tirerait parti du meilleur des deux côtés

Conclusion

Les forces de sécurité africaines seront confrontées à moyen terme à des défis divers et variés, et rares sont ceux que l’on trouve dans les manuels. Il leur faudra adopter une façon de penser créative et se concentrer : se concentrer sur leur mission, optimiser la structure de leurs forces, contrôler véritablement leurs opérations, comprendre réellement les événements (et non pas ce qu’elles souhaiteraient qu’il arrive) et (enfin) saisir les opportunités tactiques et opérationnelles lorsqu’elles se produisent.

Helmoed Heitman, consultant de Défense, est le correspondant au Jane’s Defence Weekly et membre de l’équipe du projet Vision 2020 de l’armée de terre sud-africaine, dont il a pris sa retraite en 1996, au grade de major.