Bulletin de la sécurité africaine N° 24

Leçons et limites du DDR en Afrique

Par Prosper Nzekani Zena

14 janvier 2013


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Résumé

Illustré par des initiatives en cours dans 10 pays africains, le DDR est largement considéré comme étant instrumental au progrès de la stabilité sur le continent. Cependant, ces initiatives ne sont souvent pas priorisées ou sont mal conçues et contribuent au taux élevé de reprise des conflits observé en Afrique. Les efforts de DDR en Afrique pendant la dernière décennie indiquent que le DDR ne peut se substituer à des mesures répondant aux causes des conflits et est souvent entravé par des efforts opportuns mais fragiles visant à intégrer des milices non-étatiques au sein d’une force armée nationale.

Leçons et limites du DDR en Afrique

Points Saillants

  • Malgré des succès louables, quelques initiatives de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) incomplètes ou mal conçues ont été les facteurs clés du phénomène fréquent de la reprise des conflits en Afrique.
  • La réintégration est la composante la plus complexe et la plus critique du DDR, mais celle à laquelle est accordée néanmoins la priorité la plus basse.
  • En général, l’intégration des anciennes milices dans les armées nationales constitue une décision d’opportunisme politique qui va à l’encontre de la professionnalisation des forces armées et qui accroît les risques d’instabilité et de violations des droits de l’homme.

On compte environ 500 000 personnes appartenant à divers groupes paramilitaires, milices non étatiques et forces armées nationales dont il est prévu qu’elles participeront à des programmes de DDR en Afrique, chiffre qui correspond à la moyenne annuelle de participation estimée à de tels programmes durant la majeure partie de la dernière décennie. À l’heure où s’achèvent des efforts de grande ampleur en Angola, au Libéria et en Sierra Leone, de nouveaux défis ont fait leur apparition au Sud Soudan, en Côte d’Ivoire et dans la région des Grands Lacs. En 2012, des initiatives de DDR étaient en cours dans dix pays africains et le besoin de désarmement se faisait ressentir dans de nombreux autres.

En Lybie, des dizaines de milices sont nées au cours et au lendemain de la révolution anti-Kadhafi de 2011, et les affrontements entre elles qui ont suivi ont fait des centaines de morts. De tels incidents ont concentré l’attention sur le DDR, mais la volatilité de la situation actuelle a accru la réticence des milices à déposer leurs armes. Les autorités libyennes estiment à 150 000 le nombre de combattants à désarmer et nombreux sont ceux qui voient là l’un des problèmes les plus difficiles à résoudre de la transition post-Kadhafi.

Après un conflit de faible intensité d’une durée de dix ans qui a débouché en 2011 sur une crise postélectorale de cinq mois au cours de laquelle 3 000 personnes ont trouvé la mort, la Côte d’Ivoire fait elle aussi face à d’immenses défis en matière de DDR. La mission de maintien de la paix des Nations unies dans ce pays estime que jusqu’à 100 000 combattants devront être démobilisés parmi les forces armées de l’ancien régime, les forces rebelles et les différentes unités paramilitaires partisanes. En 2012, une vague d’attaques armées a fait des dizaines de morts, civils et militaires, dont sept casques bleus de l’ONU, ce qui indique que les miliciens continuent de menacer la stabilité. L’insécurité s’est également propagée jusqu’au Libéria et au Ghana voisins, où des combattants ivoiriens ont stocké des armes et d’où ils ont lancé des attaques transfrontières.

Dans le nouvel État du Sud Soudan, les autorités ont lancé un programme de désarmement dans le but de réduire de 150 000 personnes les effectifs des forces de sécurité et mettent actuellement en place une autre initiative de désarmement des particuliers et des milices locales en vue d’enrayer la progression de la violence intercommunautaire. En Ouganda, quelque 20 000 ex-combattants de l’Armée de résistance du Seigneur et d’autres milices attendent actuellement d’achever un processus de DDR, et environ autant attendent depuis 2009 la mise en place d’un programme de DDR en République centrafricaine. Frustrées par les retards, certaines de ces milices ont repris les armes, intensifiant par là l’instabilité. En Guinée-Bissau, le DDR, s’il reste une priorité, est retardé depuis des années. Et de nouveaux défis se profilent à l’horizon. C’est ainsi qu’au Mali, à la suite d’une rébellion lancée en 2012 par des séparatistes dans le nord du pays et de la prise de plusieurs villes clés par des groupes islamistes fortement armés, le désarmement et la démobilisation seront essentiels pour renverser une situation de plus en plus militarisée. Par ailleurs, en Somalie, une opération de paix de l’Union africaine continue de faire progresser le pays sur la voie de la stabilisation, mais selon les estimations, ce sont au moins 53 000 miliciens qui devront, à terme, être désarmés.

Malgré le besoin croissant de DDR, les campagnes précédentes en Afrique ont connu de nombreuses difficultés et obtenu des résultats mitigés. Un programme de dix ans dans la région des Grands Lacs d’Afrique a coûté près de 500 millions de dollars pour désarmer et démobiliser 300 000 combattants dans sept pays. Cependant, des combats violents enflamment régulièrement la région et l’on a vu renaître dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), une rébellion alimentée par des forces anciennement démobilisées qui a fait des centaines de morts, entraîné une montée du recrutement et de la mobilisation des milices et déplacé des centaines de milliers de personnes. Dans de nombreuses campagnes de DDR, mécontentement et récidive chez les ex-combattants sont monnaie courante.

Perspective du combattant

Les combattants dans les situations de post-conflit se répartissent grosso modo en trois groupes. Souvent, une part importante d’acteurs armés s’autodémobilise de son propre chef lorsqu’un accord de paix viable semble en place. Ainsi, au Burundi, de nombreux combattants n’avaient pas l’âme de miliciens et ont donc participé au DDR avec enthousiasme1. Dans de nombreuses campagnes de DDR, jusqu’à 20 % des combattants démobilisés affirment ne recevoir ensuite aucune aide en matière de transition ou de réintégration2. C’est ainsi qu’en Sierra Leone et au Libéria, les enquêtes indiquent que 10 à 15 % des ex-combattants ont choisi de ne pas participer du tout aux programmes de DDR3. L’existence et la structure d’un programme de DDR sont d’une importance secondaire pour les combattants qui s’autodémobilisent.

Un deuxième groupe de combattants entretient avec le militantisme des relations plus profondes qui vont aussi dans le sens de ses intérêts. Ce sont généralement des hauts gradés pour lesquels la démobilisation représente un sacrifice important en termes d’influence et d’autorité et qui profitent souvent de leur rôle au sein d’une milice ou des forces armées, par le biais soit d’une fiscalité illégale, soit d’un trafic de minéraux et de matières premières. Certains d’entre eux risquent d’être poursuivis ou mis en examen pour crimes de guerre ; ils ont donc tout intérêt à rester actifs et armés. Les promesses de formations ou d’aide à la réintégration ont peu de chance de séduire ces purs et durs. Il s’agira donc d’appliquer d’autres méthodes pour faire face aux irréductibles, telles que des opérations militaires, des pressions juridiques et diplomatiques et des mesures de lutte contre les revenus illégaux.

Il existe un troisième groupe de combattants, situé entre les autodémobilisateurs et les purs et durs, qui craignent d’être exposés et vulnérables dans un environnement peu sûr, incertain et volatile et qui hésitent à désarmer. Ne disposant pas d’autres moyens de subsistance appropriés, ils s’inquiètent des atteintes à leur bien-être qui risquent de résulter du désarmement. Cependant, leur motivation ou leur intérêt à rester combattants est faible. Ménageant la chèvre et le chou, ils ont besoin d’encouragements et de solutions viables et progressives pour rejeter le militantisme.

C’est auprès de ce troisième groupe que les programmes de DRR peuvent avoir leur impact le plus important. En leur offrant des possibilités appropriées de désarmer en toute sécurité, un soutien financier et psychologique pour la transition vers la vie civile et une formation et des opportunités suffisantes pour subvenir à leurs propres besoins, le DDR peut inciter ces combattants indécis à renoncer au militantisme. Une telle manœuvre affaiblit aussi indirectement les purs et durs en réduisant le nombre de leurs partisans. Au Libéria, en Sierra Leone et en RDC, ce groupe était principalement composé de jeunes, sans grande éducation ou formation et n’avait que des liens de parenté ou d’appartenance trop rares pour les ramener à leurs communautés natales ou servir de réseau de soutien ou de débouchés sociaux.

Si ces combattants, aussi réticents soient-ils à prendre position, constituent des éléments centraux du DDR, les campagnes en la matière ont, par le passé, répondu à leurs besoins et à leurs intérêts de manière imparfaite. Les deux premières composantes du DDR, désarmement et démobilisation, ne sont généralement pas problématiques. Bien que certaines questions politiquement sensibles se posent, elles sont en général vite réglées et constituent surtout des défis techniques. Ainsi, les sites de rassemblement pour le désarmement doivent-ils se situer près des zones d’activités militantes, mais leur sécurité doit être assurée de sorte que les combattants, à leur arrivée, ne se sentent pas vulnérables. Il faut enregistrer ceux-ci, recueillir leurs armes et les entreposer en lieu sûr ou les détruire, et construire des sites de cantonnement pour les démobilisés. La communication est essentielle pour tenir les participants éventuels au courant du processus et de sa durée et pour qu’ils n’aient pas d’attentes excessives quant à ses résultats, ce qui peut conduire à un certain niveau de frustration. Cependant, avec une planification adéquate, les étapes du désarmement et de la démobilisation peuvent être gérées et mises en place de manière efficace.

« Une réintégration incomplète ou inefficace des ex-combattants dans  la vie civile présente, à son tour, des risques accrus de criminalité armée »

En revanche, la réintégration constitue un processus beaucoup plus long et complexe. Elle implique, en effet, formation, prêts, placement et assistance de sorte à resocialiser les ex-combattants et à faciliter leur réinstallation dans des foyers permanents. Il s’agit également de l’étape où les rechutes sont les plus fréquentes. C’est ainsi qu’au Libéria, les ex-combattants désarmés et démobilisés ont fait preuve de capacités limitées de réintégration politique, sociale et économique4. Au Burundi, leurs homologues désarmés et démobilisés mais dont la réintégration a subi de longs retards ont fini par éprouver une frustration notable et par se méfier du DDR. En règle générale, les retards de la réintégration sont liés à des escalades des tensions et à des retours à la violence armée. Et une réintégration incomplète ou inefficace des ex-combattants dans la vie civile présente, à son tour, des risques accrus de criminalité armée5.

Nombreuses sont les campagnes de DDR dont la dynamique fléchit nettement au stade de la réintégration. En RDC, seul un démobilisé sur deux recevait une assistance à la réintégration (voir tableau), associant généralement une allocation payée en plusieurs versements, une formation professionnelle et technique, des trousses rassemblant outils de base et fournitures à des fins de production, notamment agricole, et un certain niveau d’assistance psychologique et en matière de resocialisation. Malheureusement, cette assistance était d’un usage et d’une durée limités. En effet, les trousses étaient souvent vendues plutôt qu’utilisées aux fins prévues. Faute d’une infrastructure appropriée, le versement régulier des allocations promises aux ex-combattants s’est avéré problématique, réduisant le niveau de confiance dans le processus de DDR. Les formations dispensées étaient souvent peu adaptées aux besoins du marché du travail. Ainsi, deux des secteurs les plus prisés en matière d’emploi pour les ex-combattants congolais étaient le transport et l’exploitation minière artisanale, mais quasiment aucune formation ou assistance n’a été fournie dans ces domaines6. De nombreux ex-combattants avaient une certaine expérience de la pêche, de l’agriculture, du commerce et d’autres secteurs encore avant de devenir miliciens, mais la préexistence de ces aptitudes a souvent été ignorée plutôt que renforcée au cours de la réintégration. Ainsi, les enquêtes menées auprès des ex-combattants de Sierra Leone ont-elles indiqué que les programmes de DDR devaient mieux comprendre les motivations des participants, formés par leur expérience de la guerre, leurs relations sociales, leurs origines, leur richesse et leurs aptitudes, pour briser les liens qu’ils entretenaient avec des groupes armés et les réinsérer au sein des communautés civiles7. Il est fréquent de constater dans le cadre de nombreuses campagnes de DDR des inadéquations générales entre les plans de réintégration et les opportunités, les aptitudes, les préférences et les attentes des ex-combattants.

Par ailleurs, les communautés d’accueil des ex-combattants étaient souvent mal informées et méfiantes, ou même hostiles à la réintégration et au DDR de manière plus générale. Dans certaines d’entre elles, les allocations, la formation et les autres types d’assistance accordés aux ex-combattants étaient perçus comme une récompense pour leur militantisme. Parfois, dans les villes et villages pauvres, cette assistance a aussi créé des déséquilibres socioéconomiques en faveur des ex-combattants. En outre, le ressentiment vis-à-vis de ces derniers pouvait être fort en raison des graves violations des droits de l’homme qu’ils avaient pu commettre au cours d’un conflit. Par conséquent, le manque de consultation et d’engagement auprès des communautés a pu exacerber les tensions.

Réalités politiques et intrusions

En RDC, des périodes continues d’insécurité ont retardé et renversé les progrès en matière de DDR. Même un affrontement dans une zone isolée ou le long des frontières nationales peut avoir des répercussions en chaîne sur des régions comparativement plus stables. Par exemple, bien que ces deux zones soient séparées de plusieurs centaines de kilomètres, l’émergence en 2012 du groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, dans la province du Nord-Kivu a incité des milices relativement calmes de la région d’Ituri, en RDC, à prendre des initiatives et à conclure de nouvelles alliances. Par ailleurs, les autorités congolaises ont déplacé certaines de leurs troupes de l’Ituri au Nord-Kivu, créant ainsi un vide. D’autres milices ont alors commencé à recruter davantage, exigeant des postes de haut niveau dans les forces armées ainsi que l’attribution du commandement de l’Ituri, riche en ressources, comme condition de leur participation au DDR8. Ces revirements de la situation ont été à l’origine de retards indéterminés au cours d’une phase finale de DDR en Ituri. Nombre des combattants qui étaient censés y participer, ainsi que d’autres déjà démobilisés, ont depuis gonflé les rangs de nouvelles milices, renversant les progrès accomplis jusqu’alors.

Recapitulatif des initiatives de DDR en Afrique depuis 1990

Sources : Ces chiffres sont fondés sur diverses estimations provenant de multiples documents des Nations unies et de la Banque mondiale, d’études commanditées et de reportages. Certaines activités de DDR perdurent dans certains pays où les programmes mis en place par le passé se sont officiellement achevés. Les campagnes de désarmement civil en Ouganda, au Soudan du Sud et au Kenya, entre autres pays, ont été omises étant donné l’absence de composante de démobilisation ou de réintégration.

D’autres caractéristiques contre-productives du DDR se sont manifestées en RDC. Au cours de la démobilisation, les ex-combattants se sont vu offrir deux options : la réintégration dans la vie civile ou l’intégration dans les nouvelles forces de police ou dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), le choix étant laissé essentiellement au combattant, sans tenir compte des conséquences politiques. Bien que près de 200 000 combattants soient ainsi passés par le premier programme national de DDR, environ la moitié d’entre eux a été en fait remobilisée9. Cette approche a, par la même occasion, servi un autre objectif. En effet, lorsqu’un gouvernement de transition a été mis en place en 2003, la RDC n’avait pour ainsi dire pas de services de sécurité. La création d’une armée et d’une police à partir d’acteurs déjà armés semblait être une solution pratique et logique. Il a été estimé par ailleurs que leur intégration dans les forces armées pourrait atténuer les appréhensions des combattants et des commandants de milices, appréhensions provenant du sacrifice de leur sécurité et de leur influence résultant du désarmement.

« Si l’option d’intégrer les forces armées a pu accroître l’attrait du DDR et la participation à celui-ci, elle a toutefois négligé les inévitables obstacles qui s’opposaient à la véritable intégration de tant de miliciens… »

Aussi attractive qu’elle ait pu être, cette approche ignorait les réalités de la transition en RDC. L’importante fragmentation des milices entravait gravement l’unification de près de 100 000 miliciens ayant opté pour l’intégration au sein d’une seule et même armée. Ainsi par exemple, des miliciens sous les ordres de Kakule Sekuli LaFontaine, éminent commandant de milice congolais, ont d’abord été démobilisés, puis ont opté pour l’intégration dans les forces armées, avant de déserter, arguant que d’autres milices avaient obtenu des avantages plus intéressants. En 2012, ils se sont regroupés autour de LaFontaine dans l’est de la RDC et ont lancé plusieurs attaques contre les forces gouvernementales pour saisir des armes. De même, un groupe de 150 autres miliciens a déserté des FARDC après avoir appris que ses membres obtenaient des grades moins intéressants dans l’armée et a par la suite pillé des villages, violant des dizaines de femmes et d’enfants10. En juin 2011, quatre ex-combattants hauts gradés qui avaient été intégrés au sein des forces armées et de la police ont déserté séparément en l’espace de quinze jours, emmenant avec eux plusieurs centaines de partisans11.

L’État congolais a eu recours à d’autres solutions de circonstance à court terme. Conformément au plan du DDR, les ex-combattants qui choisissaient d’être intégrés à l’armée devaient subir une évaluation approfondie, suivre une reformation appropriée et être détachés des structures de commandement et de contrôle de leurs milices avant leur intégration dans l’armée. Cependant, un programme d’« intégration accélérée » a été créé aux fins de permettre un emploi plus rapide des forces. Au bout du compte, ce sont des dizaines de milliers d’ex-combattants qui ont été déployés avec peu ou pas de formation ou d’enquête approfondie12. Beaucoup ont déserté, ce qui a réintroduit de nombreux acteurs armés dans une région encore instable. Parmi ceux qui sont restés au sein des FARDC, beaucoup se sont révélés inefficaces, connus pour leurs violations de droits de l’homme et fidèles à leurs anciens dirigeants de milices plutôt qu’à la hiérarchie des FARDC.

Le cas de la rébellion du M23 dans l’est de la RDC est extrêmement révélateur. Pendant la guerre qui s’est déroulée de 1999 à 2003, de nombreux membres du M23 faisaient partie de la faction militante du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma). Beaucoup d’entre eux ont refusé de participer à l’effort de DDR qui a débuté en 2006. Ceux qui ont accepté l’intégration dans les FARDC ont continué à relever du commandement du RCD-Goma. En janvier 2009, beaucoup de ces unités ont participé à une soi-disant intégration accélérée tout en conservant leur propre structure de commandement et de contrôle et la mainmise sur les territoires riches en minéraux. En 2012, nombre de ces combattants se sont de nouveau rassemblés dans le cadre de la rébellion du M23 et ont lancé de nouvelles attaques contre les FARDC.

Si l’option d’intégrer les forces armées a pu accroître l’attrait du DDR et la participation à celui-ci, elle a toutefois négligé les inévitables obstacles qui s’opposaient à la véritable intégration de tant de miliciens et en particulier le fait prévisible que des conflits localisés continus obligeraient à déployer une force mal préparée à la loyauté douteuse. Cela a annulé les progrès effectués jusqu’alors et a entravé l’initiative de DDR. En parallèle, les dirigeants nationaux de la RDC ont fait preuve de tiédeur dans leur soutien à la réintégration. Une fois que les combattants, dont un grand nombre rassemblait d’anciens ennemis, ont été déchus de leurs pouvoirs, l’attention s’est concentrée sur d’autres sujets, l’apport d’une assistance en leur faveur ne semblant plus constituer une priorité.

Facteurs contextuels

En outre, la viabilité d’une campagne de DDR dépend souvent des conditions préexistantes, indépendantes des participants ou de la mise en place de la campagne. Par exemple, la fin d’un conflit a des implications importantes pour le désarmement qui s’ensuit. En Afrique, les conflits s’achèvent de plus en plus par des règlements négociés, et les accords de paix qui en résultent comprennent en général des dispositions en matière de DDR. Cependant, certains accords sont plus détaillés que d’autres. Ainsi, à la suite du conflit en RDC, l’Accord global et inclusif sur la transition en RDC de 2002 ne contenait que peu de renseignements précis sur les objectifs et les processus du DDR. Il ne mentionnait le désarmement qu’en deux endroits et confiait les détails à ce sujet au Conseil supérieur de la défense, qui ne s’est jamais réuni. Les signataires s’engageaient donc au DDR essentiellement sans avoir convenu de ce que cela impliquait. Par conséquent, le DDR qui a été mis en place par la suite a souvent été retardé, les différentes milices repoussant leur participation pour négocier l’obtention de meilleurs avantages pour elles-mêmes.

En revanche, les accords de paix au Burundi voisin comprenaient des calendriers, des plans techniques, la composition des forces de sécurité réformées, notamment une représentation équilibrée des hauts gradés et des groupes ethniques, et un engagement des autorités de respecter des dispositions de base pour les désarmés et de travailler à la réintégration à long terme. De même, au Libéria, l’accord de paix spécifiait le rôle des forces de maintien de la sécurité dans le DDR et prévoyait que tous les signataires ainsi que plusieurs organisations internationales seraient représentés au sein d’une commission nationale de DDR établie pour superviser le processus. Si les programmes de DDR mis en œuvre par la suite au Libéria et au Burundi n’ont pas, tant s’en faut, été exempts de problèmes, ils ont sans doute été plus efficaces que celui de la RDC. Dans le règlement négocié, la clarté du programme de DDR a, dès le départ, été un avantage important.

La situation économique, les conditions du développement et le marché du travail ont également un impact important sur les progrès du DDR. L’engagement de nombreux ex-combattants vis-à-vis de celui-ci est en effet fortement influencé par la disponibilité d’autres emplois et moyens de subsistance, lesquels sont à leur tour façonnés par les programmes économiques, de développement et de reprise en phase de post-conflit. Les programmes de DDR peuvent offrir des formations, des systèmes de crédit et d’autres formes de soutien aux ex-combattants à la recherche de nouvelles sources de revenus. Cependant, si la reprise économique globale stagne et si les opportunités sont rares, le DDR ne peut pas, à lui seul, modifier la donne de manière durable. Ainsi, dans le nord de l’Ouganda, des ex-combattants ont souvent été dans l’impossibilité de mettre en pratique leurs nouvelles aptitudes en raison du manque de demande et d’un marché atone13, ce qui pourrait expliquer en partie les taux élevés de criminalité chez les ex-combattants qui représentent 42 % de la population carcérale dans le nord du pays14.

Par ailleurs, la dynamique et l’ampleur de la violence passée peuvent fortement influencer le DDR. C’est ainsi qu’en Sierra Leone, la participation des ex-combattants à des factions armées plus violentes ou plus souvent coupables de violations était l’un des facteurs les plus déterminants de leur acceptation et de leur réintégration dans les communautés15. En outre, le nombre et la composition des groupes à désarmer a un impact important sur le DDR. En Afrique, nombre des conflits de longue date sont caractérisés par une prolifération de groupes armés, des combattants mal organisés et des renversements d’alliances, comme en témoignent les exemples notamment du Darfour et de la République centrafricaine, et cela rend plus difficile l’identification et le rassemblement des combattants et la communication avec eux.

Affiner les outils du DDR

Les campagnes de DDR en Afrique ont atteint des résultats significatifs. Des dizaines de milliers d’ex-combattants sont revenus à la vie civile par le biais de différents efforts de DDR. La plupart se sont réinstallés dans des communautés et disposent d’autres moyens de subsistance, ce qui réduit le nombre d’acteurs armés et le potentiel de violence et de criminalité dans les situations de postconflits et d’instabilité.

Toutefois, le DDR ne constitue pas une panacée à l’instabilité. Il n’est pas conçu pour répondre directement à de nombreux facteurs de conflit, tels que les déséquilibres de pouvoir politique et économique qui alimentent les griefs, les trafics illégaux qui motivent ou habilitent les acteurs violents, ou les faiblesses en matière de gouvernance qui font la tentation des trublions et incitent les communautés à recourir à l’autodéfense. Les conflits peuvent perdurer et même s’intensifier sous l’effet de facteurs complètement indépendants du DDR. En l’absence d’une stratégie de développement viable favorisant la reprise économique post-conflit, même les campagnes de DDR les mieux organisées éprouveront de grandes difficultés pour réintégrer les ex-combattants dans une vie civile productive. De nombreux combattants participent au DDR de leur plein gré, mais il y en a toujours qui s’y montrent réticents. Il faut donc, à l’intention de ceux qui ont le plus intérêt à rester mobilisés, prévoir d’autres solutions stabilisatrices post-conflit, qu’elles soient diplomatiques, politiques, judiciaires ou militaires.

Inversement, il faut se garder de concevoir les programmes de DDR, ou de les amplifier, en tant que moyens de favoriser la reprise économique générale post-conflit, création d’institutions ou  solution des problèmes de stabilisation. Aller trop loin de la sorte est contre-productif. Le succès d’un programme de DDR peut certes dépendre des progrès d’un accord de paix, d’une transition politique ou des efforts de réforme du secteur de la sécurité, mais cela ne signifie pas que le DDR doive être conçu pour atteindre directement ces objectifs ou combler les lacunes en la matière. En fait, si ses visées sont trop larges, le programme de DDR risque de voir se réduire ses perspectives d’avenir et son effet de traction en négligeant les besoins et les intérêts des principaux concernés : les ex-combattants. Ce que peut réaliser le DDR, c’est contribuer à faciliter une transition et à atténuer l’impact des revers et d’autres obstacles dans le cadre d’un effort général de stabilisation.

Il existe diverses possibilités  d’affiner et de renforcer les efforts en matière de DDR en Afrique. Un cadre bien organisé, inclusif et clairement exprimé constitue une condition clé préalable. Les efforts de négociation d’un accord de paix doivent inclure au nombre de leurs objectifs centraux l’identification directe et méthodique des processus du DDR, notamment le moment et le lieu du désarmement et de la démobilisation, les critères d’admissibilité, les modalités et les responsables de la sécurité, la composition de l’organisme chargé de la supervision du processus, et des engagements fermes de fourniture de services de réintégration16. Bien que l’on puisse être tenté de remettre l’examen de ces questions à une date ultérieure, lorsque cela suscite des controverses et risque de ralentir les négociations, on risque en n’y apportant pas de solutions de laisser subsister de graves obstacles qui s’opposeront à la paix et la stabilité.

« [Le DDR] n’est pas conçu pour répondre directement à de nombreux facteurs de conflit. »

La communication est une composante essentielle du DDR, à son stade préliminaire ainsi que tout au long de sa mise en œuvre. Le processus, l’accessibilité et les avantages d’une campagne doivent être largement diffusés, souvent par le biais de médias de masse simples tels que la radio. En outre, vu l’usage de plus en plus important de la téléphonie mobile sur le continent, des SMS de masse peuvent faciliter l’interaction entre les participants au DDR, les responsables de sa mise en œuvre et les communautés concernées, et il convient d’en tirer pleinement parti. De surcroît, communautés et combattants auront beaucoup plus tendance à participer au DDR, et à s’engager visà-vis de celui-ci, si ses paramètres et ses avantages sont clairement communiqués et s’ils disposent des moyens de déposer plainte, de préciser les procédures, de demander de l’aide ou de rester en contact d’autre manière avec les administrateurs du processus.

Ces dernières années, une innovation prometteuse en matière de DDR a été lancée par les ex-combattants eux-mêmes. En RDC, en République du Congo, au Sud Soudan et en République centrafricaine, de nombreux ex-combattants ont créé leurs propres associations professionnelles et sociales en raison du manque de soutien de la part des programmes officiels de DDR17. Ces petits réseaux, qui comptaient jusqu’à quelques dizaines d’individus, mettaient en commun des ressources, notamment financières, partageaient des informations sur les opportunités d’emploi et servaient de système de soutien pendant les périodes de chômage. Autre avantage, et non des moindres, ces associations apportaient à leurs membres un sentiment d’appartenance, d’utilité et de résilience, surtout pour les ex-combattants non décidés dont les relations familiales ou les liens de parenté présentaient de grandes difficultés pour leur réintégration. En RDC, beaucoup de ces associations ont élu des conseillers pour gérer leur dynamique de groupe et atténuer et résoudre les différends18. Bon nombre de ces groupes ont également été essentiels pour rétablir la confiance et créer des relations de coopération au fur et à mesure du retour des ex-combattants dans les communautés. Il peut être utile aux campagnes de DDR d’encourager ces groupes dès leurs débuts, de les utiliser pour évaluer plus efficacement les besoins et les aptitudes des ex-combattants et de les considérer comme un mécanisme de resocialisation.

Dans leur recherche de travail, les ex-combattants ratissent souvent large ; par conséquent, l’aide à la réintégration doit être suffisamment globale pour ne négliger aucun moyen de subsistance pour les ex-combattants, notamment dans les secteurs informel et à basses qualifications. Et la réintégration ne doit pas non plus être organisée uniquement en fonction des intérêts et des motivations des ex-combattants. Pour que le DDR réussisse, les communautés de réinstallation doivent le soutenir de leur plein gré. Il faut concevoir une « réintégration basée sur la communauté » qui apporte des avantages corrélés à la fois aux ex-combattants et aux communautés. Les projets à court terme visant à construire ou à rénover des infrastructures identifiés par la communauté comme étant prioritaires pourraient ainsi employer des ex-combattants, qui devraient y participer pour recevoir leurs allocations19. De tels scénarios mutuellement avantageux peuvent encourager un approfondissement des liens et soutenir les projets de DDR ultérieurs.

À l’échelle nationale, les dirigeants politiques doivent également accorder la priorité au DDR. À la suite d’une guerre civile dévastatrice dans les années 90, le nouveau gouvernement de Sierra Leone a, entre 2000 et 2001, agi rapidement et méthodiquement pour mettre en place une unité fonctionnelle d’approvisionnement et de gestion financière de manière à favoriser la mise en œuvre de la démobilisation. De même, un comité de planification stratégique a œuvré en étroite collaboration avec une unité en charge des statistiques pour mieux comprendre les contextes socioéconomiques où arrivaient les ex-combattants. Malgré des contraintes difficiles en matière de ressources, l’État a également imputé 10 % de l’ensemble du programme à son propre budget20. Cependant, en Sierra Leone comme ailleurs, il est rare de voir l’élan du DDR entretenu comme il doit l’être jusqu’à la fin de la phase critique de réintégration. En RDC, l’attention et les priorités de l’État se sont détournées des ex-combattants après leur désarmement ou avec l’émergence de nouveaux défis politiques et de sécurité. Un DDR incomplet laisse dans son sillage une vaste source d’instabilité latente, comme le montrent dans différents contextes africains les exemples récurrents de désertions et de défections des services de sécurité en direction des milices.

De surcroît, les initiatives de DDR doivent s’attacher à ce que les ex-combattants retournent à la vie civile au lieu de s’orienter vers les services de sécurité. En RDC, la décision de permettre à des dizaines de milliers de miliciens d’intégrer l’armée et la police qui venaient d’être reformées a contribué à l’émergence d’un secteur de la sécurité hypertrophié manquant de discipline et de professionnalisme. En 2003, au lendemain du conflit de longue durée au Libéria, aucun ancien militant ou soldat n’a été réadmis au sein de la nouvelle armée rationnalisée. Ce n’est qu’en 2012, après des années de formation, que les 2 000 membres restructurés et reformés des Forces armées du Libéria ont été déployés pour la première fois. En RDC au contraire, la mobilisation de dizaines de milliers de miliciens a créé ou alimenté toute une série de difficultés en matière de sécurité, de droits de l’homme, de trafics illicites et de gestion des ressources, avec une situation dans l’est du pays à peine plus stable qu’auparavant. Les pouvoirs publics doivent donc faire preuve d’extrême circonspection lorsqu’ils envisagent d’employer des miliciens et des ex-combattants en tant que membres des services de sécurité.

Le colonel (à la retraite) Prosper Nzekani Zena est consultant indépendant et ancien professeur et formateur des Forces armées de la République démocratique du Congo (RDC). Pendant près de dix ans, il a, à différents postes, soutenu les efforts de DDR en RDC, notamment de 2008 à 2010 en tant que conseiller principal pour le programme national de désarmement et de démobilisation.

Notes

  1. Peter Ulvin, Ex-Combatants in Burundi: Why They Joined, Why They Left, How They Fared, document de travail no 3 (Washington, DC: Banque mondiale, octobre 2007), 11.
  2. MDRP Rapport final : Vue d’ensemble des résultats du programme, (Washington, DC: Banque mondiale, 2010), 24.
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