Bulletin de la sécurité africaine N° 22

Le renforcement des capacités dans le transport aérien en Afrique : Une stratégie susceptible d’améliorer l’efficacité militaire

Par Birame Diop, David M. Peyton, et Gene McConville

21 août 2012


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Résumé

La réforme du secteur de la sécurité (RSS) est de plus en plus présentée comme une solution pour une large gamme d’États africains qui connaissent des difficultés dans ce domaine. Et pourtant, pour des raisons multiples, l’on recense relativement peu d’exemples de succès de cette réforme au plan de l’exécution. Le programme de développement du secteur de la sécurité (DSS) mené au Burundi mérite néanmoins d’être distingué pour avoir accru l’efficacité de ce secteur ainsi que la responsabilité redditionnelle démocratique depuis son lancement en 2009. La réussite des programmes de RSS est fortement tributaire de la capacité à aborder des questions délicates sur le plan politique. La plupart des programmes de RSS ont été décevants à cet égard, mais le programme de DSS, lui, s’attaque de manière dynamique à la dimension politique du changement, tant au niveau des politiques générales qu’au niveau opérationnel au quotidien. Les enseignements tirés du programme de DSS au Burundi peuvent éclairer d’autres initiatives de RSS en Afrique.

Points Saillants

  • Les progrès accomplis par le programme de développement du secteur de la sécurité (DSS) au Burundi en matière de gouvernance démocratique sont d’autant plus remarquables que l’on recense relativement peu de cas concluants de réforme dudit secteur dont on peut s’inspirer.
  • L’aptitude des États africains à intervenir dans les conflits violents et à faire face aux menaces transnationales, aux catastrophes naturelles et aux autres défis relatifs à la sécurité est gravement entravée par leurs capacités limitées de transport aérien.
  • À l’instar des institutions multilatérales dans d’autres parties du monde, l’Union africaine et les Communautés économiques régionales d’Afrique doivent rechercher des partenariats et des accords de mise en commun des ressources afin d’améliorer les capacités de transport aérien.
  • À court terme, les opérations africaines de grande envergure, tant humanitaires que de maintien de la paix, auront recours à un soutien aérien fourni par des « Etats-pivots » et des partenaires externes dont la mobilisation peut être rationnalisée par la création d’accords-cadres de la transport stratégique aérien.

En avril 2012, la Communauté économique des pays de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est déclarée prête à déployer 3 000 soldats dans le nord du Mali pour répondre à la saisie des territoires par des séparatistes touareg et des milices islamistes. Reste une question non résolue, celle de savoir comment la CEDEAO transporterait ces troupes et leur matériel jusqu’au Mali. Seuls des moyens aériens permettaient d’acheminer le personnel et l’équipement lourd en temps utile vers la zone d’opérations (ZO), de fournir la mobilité opérationnelle au sein de la ZO face à des forces irrégulières dispersées et fortement armées, de surveiller un territoire plus vaste que la France et de soutenir des mois ou des années d’opérations. L’incapacité à relever ces défis en matière de contrôle territorial a pour effet d’enhardir les séparatistes et autres fauteurs de troubles.

Des défis analogues se présentent dans d’autres zones d’instabilité difficilement accessibles en Afrique, notamment en Somalie, en République démocratique du Congo (RDC) et dans la province soudanaise du Darfour, où le mauvais état des routes et la nature accidentée du terrain ralentissent les convois, les rendant inefficaces et vulnérables aux mines et aux embuscades. Dans certains cas, les forces gouvernementales ou rebelles peuvent interdire aux soldats de la paix et aux travailleurs humanitaires l’accès par voie  terrestre, le transport aérien devenant ainsi le seul moyen viable d’acheminer le personnel et le ravitaillement.

Lors de chacune de ses missions de maintien de la paix de la dernière décennie, l’Union africaine (UA) a dû mener des négociations longues et complexes avec des partenaires internationaux afin d’obtenir les moyens de transport aérien nécessaires à l’acheminement de troupes africaines et de matériel à destination ou en provenance de la ZO. Ces retards se produisent souvent au plus fort d’une crise, faisant ainsi obstacle à une action décisive et accroissant encore les risques pour les populations civiles. Il a fallu, par exemple, près de deux ans à l’opération hybride Union africaine-Nations unies au Darfour (MINUAD) pour atteindre 68 % des niveaux de déploiement prévus par son mandat, en raison du blocage des négociations politiques et du manque d’hélicoptères de transport pour appuyer les soldats de la paix dans les régions reculées du Darfour1.

OAprès leur déploiement, l’aptitude des soldats de la paix africains à s’acquitter de leurs mandats de protection civile se trouve fortement limitée par un manque de transport aérien stratégique et tactique. Les commandants de la MINUAD ont invariablement signalé leur

Durant la saison des pluies, nombre de routes du Darfour deviennent impraticables, ce qui réduit considérablement les capacités de manœuvre et l’efficacité des soldats de la paix.

Les ressources de transport aérien sont également nécessaires pour assurer la protection des soldats de la paix africains. En juillet 2008, des militants armés ont pris en embuscade un convoi de la MINUAD, l’incident qui a duré plus de trois heures faisant 7 morts et 19 blessés. Faute d’hélicoptères pour lancer une mission de sauvetage ou de renfort, le convoi est resté sans défense. Le transport aérien tactique est nécessaire pour veiller à ce que les soldats de la paix soient au moins capables de garantir leur propre sécurité, condition préalable à la défense des civils.

De même, le Secrétaire général des Nations unies (ONU) Ban Ki-moon a demandé la mise à disposition d’un plus grand nombre d’hélicoptères dans la région du Kivu en RDC3, où une mission de stabilisation de l’ONU s’efforçait d’empêcher des groupes armés de prendre pour cible des civils dans des zones isolées.

L’insuffisance des moyens de transport aérien a de même entravé les efforts des gouvernements africains dans leur lutte contre la criminalité transnationale, notamment la piraterie, la pêche illicite, le vol de pétrole en mer, le déversement de déchets toxiques et les trafics illicites. Les rapports d’activités de piraterie au large des côtes du Nigeria ont plus que doublé depuis 20114.

En outre, les incidents de piraterie au large du littoral d’Afrique de l’Ouest et de l’Est survenant souvent à plus de 70 milles marins de la côte, il est difficile d’exercer une surveillance à l’aide d’équipements terrestres ou maritimes.

Il sera difficile de parer aux menaces croissantes du narcotrafic en Afrique sans aéronefs capables de détecter les vaisseaux faisant route sur les itinéraires de transit illégaux. Selon les estimations, environ 80 % de la cocaïne provenant d’Amérique latine à destination de l’Afrique est acheminée par voie maritime et 20 % par voie aérienne5.

Sans moyens aériens pour surveiller ces routes, les criminels transnationaux demeureront persuadés que les États africains offrent des conditions propices à leurs activités.

Compte tenu de ses caractéristiques géographiques, le transport aérien revêt une importance toute particulière pour la sécurité du continent africain. L’Afrique représente un cinquième de la masse continentale mondiale avec 30 490 kilomètres de côtes, des zones tropicales denses et de vastes étendues désertiques, ce qui fait que le transport terrestre n’est qu’une alternative onéreuse et inefficace au transport par voie aérienne. Nous dirons pour être brefs que la capacité de transport aérien est un multiplicateur de force stratégique pour les secteurs africains de la sécurité, aux ressources limitées.

La vision de l’UA en matière de transport aérien

Les capacités de transport aérien comprennent à la fois les moyens aériens stratégiques pour acheminer des troupes et du matériel vers une ZO, généralement au moyen de gros-porteurs à réaction, et les moyens aériens tactiques pour appuyer les opérations ultérieures, typiquement des aéronefs à turbopropulseurs et des hélicoptères. Consciente de ces particularités et de l’étendue des urgences complexes auxquelles elle se trouve confrontée, l’UA s’est fixé pour objectif de mettre en place en 2007 une capacité de déploiement rapide de la Force africaine en attente (FAA) qui a recours au transport aérien pour assurer le déploiement dans les zones de crise de 2 500 personnes, incluant des soldats de la paix, des personnels de police et des civils, dans un délai de 30 jours à compter de l’octroi d’un mandat de l’UA6.

En fonction des exigences opérationnelles de la crise considérée, on pourrait employer diverses combinaisons de moyens de transport aérien.

Au niveau du continent, les plateformes de transport aérien telles que l’Antonov An-124, le Boeing C-17 et l’Ilyushin II-76 (voir tableau 1), capables de transporter le matériel à destination et en provenance d’une ZO pour une brigade (environ 3 000 soldats), seraient particulièrement efficaces. Les avions de transport militaire étant configurés de manière à transporter de l’équipement et du fret palettisé plus efficacement que des troupes, des avions commerciaux sont nécessaires au transport des personnels. Ces avions doivent pouvoir transporter au moins une compagnie (130 soldats) et effectuer rapidement de multiples allers et retours.

Tableau 1 - Plateformes de transport aérien à voilure fixe

Au niveau des sous-régions, les capacités de transport aérien sont nécessaires pour intervenir en cas de crises et d’autres défis transnationaux relatifs à la sécurité qui dépassent les capacités des États individuels, tels que le narcotrafic, les opérations de stabilisation et les grandes catastrophes naturelles. Ceci exige des appareils de taille intermédiaire tels que l’Airbus A400M et le C-130 Hercules pour transporter un à deux bataillons (au moins 1 500 soldats) et leur équipement à moyenne distance et avec un bref préavis, environ deux semaines.

« La guerre contemporaine en Afrique n’implique que très rarement la présence d’avions de chasse d’un adversaire dans l’espace aérien. »

Une fois sur la ZO, les forces de sécurité ont besoin d’un soutien par des systèmes d’aéronefs à voilure rotative, l’idéal étant de gros hélicoptères tels que le CH-47 Chinook. De tels appareils permettent l’insertion et l’extraction de troupes et de matériel dans les zones accidentées et dotent les unités au sol d’une capacité de surveillance aérienne mobile. La plupart des aéronefs à voilure fixe exigent, eux, des pistes d’atterrissage bien entretenues et offrent des capacités de reconnaissance plus brève et intermittente.

Au niveau national, les États africains doivent être prêts à transporter des troupes et du matériel pour intervenir en cas de catastrophes naturelles, circonscrire les crises avant qu’elles ne s’étendent, patrouiller sur les frontières, surveiller les zones maritimes dans le cadre de la lutte contre la piraterie ainsi que les zones économiques exclusives, et effectuer des évacuations. La taille idéale d’une flotte aérienne nationale varie considérablement en fonction de la géographie du pays, de sa population et de son environnement général quant à la sécurité. Les petits États africains devraient pouvoir au moins transporter l’équivalent d’une compagnie où que ce soit sur leur territoire, en une journée. Les États africains plus vastes ou ceux qui se trouvent régulièrement confrontés à des urgences de sécurité nationale devraient pouvoir transporter l’équivalent d’un bataillon dans la même période, en effectuant des navettes successives selon les besoins. Les plateformes répondant à ces critères sont le C-130 Hercules, l’EMB 110 Bandeirante, le CASA C-295 et des hélicoptères de petite ou moyenne capacité tels que le Mi-17, le SA 330 Puma et l’UH-60 Black Hawk (voir les tableaux 1 et 2).

Tableau 2 - Plateformes de transport aerien a voilure tournante

Les avions de transport « bas et lents » sont bien adaptés aux menaces non conventionnelles  pesant sur la sécurité du continent et devraient être retenus prioritairement, de préférence aux avions d’attaque coûteux qui risquent d’épuiser les ressources limitées des budgets de défense. La guerre contemporaine en Afrique n’implique que très rarement la présence d’avions de chasse d’un adversaire dans l’espace aérien, ce qui ôte pratiquement toute pertinence aux systèmes d’attaque et de défense aérienne. Les États africains doivent en revanche se doter de la capacité d’affronter les menaces posées par les forces irrégulières.

Actuellement, la majorité des forces aériennes africaines n’est pas dotée de la gamme nécessaire de systèmes aériens et de personnel qualifié pour soutenir des missions nationales ou régionales. Ces forces aériennes aux capacités émergentes possèdent des aéronefs qui peuvent être âgés, être hors service ou opérer sans adhérer aux normes de sécurité prescrites par l’Organisation de l’aviation civile internationale. Elles sont confrontées à un grave manque de ressources, ont peu accès à un entraînement spécialisé et ne disposent pas d’une infrastructure aérienne  très développée, tout particulièrement pour les installations de maintenance.

Les forces aériennes de moyenne capacité dans des pays tels que l’Angola, le Nigeria et la Tunisie peuvent transporter plusieurs compagnies et du matériel lourd sur la totalité de leur territoire national et dans leurs sousrégions respectives. Toutefois, le transport de troupes et de charges lourdes à l’échelle de tout le continent serait long ou impraticable. Les flottes de ces pays se composent de toute une variété d’aéronefs qui sont généralement fiables bien que parfois anciens.

Les forces aériennes de forte capacité de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de l’Égypte et du Maroc peuvent transporter d’importants contingents de troupes et du matériel lourd sur de grandes distances et à brefs délais. Dans ces pays, les aéronefs sont entretenus régulièrement et sont opérés par du personnel hautement spécialisé. Les infrastructures de transport aérien, notamment les pistes, les systèmes de radar et les installations de maintenance, sont modernes et autorisent des vols sur de longue distance.

Pour développer au maximum ses capacités de transport aérien, l’UA a élaboré un dispositif de mobilité stratégique (Strategic Mobility Package – SMP) pour coordonner les services de transport – notamment et tout particulièrement le transport aérien – pour la FAA. L’UA assurerait la gestion des opérations de transport aérien mais dépendrait entièrement des ressources des pays membres. L’UA n’a pas pour objectif de créer sa propre force aérienne en attente mais plutôt de réunir des ressources de transport aérien d’États membres et de les déployer à bon escient.

Intervention après le séisme au Rwanda

En 2008, deux puissants tremblements de terre de magnitude 6,1 et 5 ont frappé la frontière nord-ouest du Rwanda, faisant 37 morts et plus de 600 blessés. Les Forces de défense du Rwanda (FDR) ont immédiatement déployé des hélicoptères et évacué les victimes vers des hôpitaux de la capitale, Kigali. Des hélicoptères ont également transporté le personnel médical vers les zones sinistrées. Les opérations de transport aérien des FDR étaient coordonnées par le Groupe de travail rwandais de gestion des catastrophes qui a aussi supervisé la distribution d’aide alimentaire, d’eau et de médicaments. Cette intervention au Rwanda montre que des capacités de transport aérien même modestes peuvent produire des résultats appréciables lorsqu’elles s’accompagnent d’une stratégie bien coordonnée.

Elle doit pour cela conclure à l’avance des accords dans le transport aérien avec certains de ses États membres, tout particulièrement des « États-pivots » à forte capacité dans ce domaine, accords qui devront préciser le contour du soutien apporté par le pays en la matière de transport aérien et dont l’application sera activée par le processus d’octroi de mandat de l’UA. Il s’agira, afin d’assurer la disponibilité opérationnelle pour les missions, de prévoir dans le cadre du SMP un programme de vérification des ressources de transport aérien pour confirmer la capacité à voler et la disponibilité des moyens attribués aux missions de l’UA. Ce programme sera mené de manière analogue à celui de la certification de troupes et du matériel fournis à l’appui des missions de l’ONU.

Tout comme d’autres mécanismes des Communautés économiques régionales (CER) et de l’UA, la réussite du SMP dépendra de l’engagement des États membres en faveur de la sécurité et de la prise de décisions collectives. Les activités de transport aérien du SMP exigeront également un dispositif opérationnel de partage des coûts qui permette aux pays fournisseurs de moyens de transport aérien d’être rémunérés pour l’utilisation de leurs ressources. Les « Étatspivots » africains de transport aérien sont des acteurs de choix pour la fourniture de transport aérien aux missions de l’UA. On ne peut cependant pas leur demander de soutenir le transport aérien sans que les États membres partagent le coût du déploiement.

Contraintes s’opposant au développement des capacités de transport aérien

La plupart des structures africaines relatives à la sécurité demeurent essentiellement terrestres, héritage de leurs origines coloniales et de mouvements d’indépendance. Pour modifier cet état de choses, il convient d’intervenir auprès des planificateurs militaires afin qu’ils comprennent combien les capacités de transport aérien accroissent l’efficacité des forces terrestres en permettant aux troupes d’accéder rapidement à des territoires isolés, d’extraire des troupes dans un environnement hostile et d’acheminer des fournitures et du matériel dans une ZO. Inversement, les forces terrestres sans soutien de transport aérien approprié sont lentes au déploiement et restreintes dans leurs opérations. Ainsi, bien que communément perçue comme trop onéreuse, la capacité de transport aérien permet aux armées africaines aux ressources limitées de couvrir un territoire plus vaste sur des périodes plus longues. Le Gabon et le Cap Vert, par exemple, ont employé des avions légers à turbopropulseurs tels que l’Embraer EMB 110 Bandeirante pour acheminer des troupes et mener des opérations de surveillance sur des régions fortement touchées par les trafics illicites maritime et transfrontalier. À un coût d’environ 1 million de dollar par appareil, ces plateformes de transport aérien sont un moyen efficace d’accroître l’efficacité militaire. Les forces aériennes africaines tirent aussi profit de petits et moyens systèmes de transport aérien qui ne sont plus en production, tels que l’Antonov An-24 fabriqué en Russie et le Fokker F27 fabriqué aux Pays-Bas ; ceux-ci s’avèrent peu coûteux et fiables à condition d’être convenablement entretenus.

« Bien que communément perçue comme trop onéreuse, la capacité de transport aérien permet aux armées africaines aux ressources limitées de couvrir un territoire plus vaste sur des périodes plus longues. »

Malgré les avantages stratégiques que présentent les systèmes de transport aériens, susciter la volonté politique de s’en doter est un défi de taille lorsque l’on considère le coût de grandes plateformes de transport aérien perfectionnées. Le budget de fonctionnement de l’UA de 2011 était de 260 millions de dollars, soit à peu près le coût d’un seul Boeing C-17. L’acquisition de systèmes avancés de transport aérien est un processus complexe mettant en jeu des millions, voire des milliards de dollars, en accords de financement avec les fabricants. En 2009, le parlement sud-africain a annulé sa commande de huit Airbus A400M face à l’opposition croissante devant la hausse des coûts du système, le dépassement du prix initialement négocié atteignant près de 2,5 milliards de dollars.

Outre les coûts élevés, les plateformes de transport aérien nécessitent un soutien à long terme. Le coût du cycle de vie des systèmes de transport aérien, incluant la maintenance, le carburant et les dépenses liées à l’équipage, dépasse souvent le prix d’achat initial de l’appareil. On risque, en omettant de tenir compte de ces coûts, d’être contraint à la mise hors service de l’appareil ou à son utilisation hors des normes de sécurité.

Le coût à long terme de la maintenance de systèmes de transport aérien est encore accru par la diversité des flottes aériennes africaines. Celles-ci comprennent des aéronefs fabriqués par les anciennes puissances coloniales, en Europe de l’Est, au Brésil et aux États-Unis et ces pays ont tous des exigences distinctes de maintenance.

Le coût élevé d’une bonne formation des pilotes constitue un autre obstacle à la création d’une capacité de transport aérien en Afrique. Les pilotes, l’équipage et les techniciens africains sont formés principalement par des forces aériennes africaines à forte capacité, tandis que d’autres reçoivent leur entrainement en Europe et aux États-Unis. Cependant les occasions de formation à l’étranger sont limitées et ne correspondent pas toujours à l’équipement diversifié des armées de l’air africaines ; ceci oblige alors les pilotes et les membres d’équipage à suivre des formations complémentaires lorsqu’ils réintègrent leur pays.

Le développement des capacités de transport aérien a aussi été entravé par l’insuffisance des infrastructures de transport aérien, entre autres les installations de contrôle du trafic aérien et les aides à la navigation aérienne. La communication air-sol est l’un des domaines où les besoins du continent sont les plus urgents. Dans certaines régions d’Afrique, il arrive que les appareils volent plus d’une heure sans pouvoir communiquer avec le contrôle sol7. Ces facteurs se conjuguent pour faire de l’Afrique le continent qui affiche les résultats les plus médiocres en matière de sécurité aérienne, soit une perte moyenne de 4,31 aéronefs par million de départs contre 0,65 au niveau mondial.8

Priorités pour le développement du transport aérien

Afin de résoudre les problèmes immédiats relatifs à la sécurité en Afrique tout en se dotant de capacités de transport aérien à long terme, les États africains, les CER et l’Union africaine se doivent de promouvoir une série de mesures.

Créer des partenariats africains de transport aérien.

Grâce à leurs capacités avancées de transport aérien, les États africains tels que l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte et le Maroc peuvent servir de piliers aux partenariats bilatéraux. Ces pays peuvent, par l’exercice d’un leadership en matière de partenariats de transport aérien, favoriser la stabilité dans leurs sous-régions respectives et structurer le développement du transport aérien sur l’ensemble du continent. Ils offrent également des possibilités de développer des systèmes de transport aérien, des installations de maintenance et des écoles de pilotage plus spécialisés à mesure que les pays voisins feront appel à leur soutien.

Les partenariats de transport aérien doivent porter sur la mise en commun des ressources, la conduite d’exercices conjoints, le partage des installations de maintenance et l’apport d’appuis à un pays partenaire. Entre autres avantages, les partenariats pour le partage des  installations de maintenance  permettent aux États africains de prolonger la durée d’exploitation de leurs ressources aériennes dans de bonnes conditions de sécurité, ce qui accroît leurs capacités, à un coût très inférieur, d’achat de nouveaux aéronefs. Plusieurs forces aériennes africaines bénéficient déjà des avantages offerts par les partenariats bilatéraux, notamment l’Armée de l’air sénégalaise et les Forces royales air marocaines qui ont mené de fructueuses initiatives de coopération et notamment des échanges dans le domaine de la formation et de la maintenance. L’Algérie et le Burkina Faso ont conclu un partenariat aérien analogue.

De tels partenariats restent cependant trop rares, ceci étant dû en partie aux hésitations devant les échanges d’informations sur les capacités de leurs forces aériennes entre pays voisins. Le renforcement de la capacité africaine de transport aérien est tout autant une question de renforcement de la confiance que d’obtention de ressources financières à investir dans le transport aérien. L’une des solutions à ce défi consiste à commencer par des partenariats de transport aérien modestes qui peuvent ensuite être étendus progressivement pour appuyer des efforts régionaux.

Mettre en commun les ressources de transport aérien au sein de l’UA et des CER.

Afin de surmonter les contraintes relatives au domaine aérien, l’UA et les CER devraient s’inspirer de modèles de partenariats aériens tels que l’initiative de Capacité de transport aérien stratégique de l’OTAN dans laquelle un consortium de 10 pays membres de l’OTAN et 2 pays partenaires ont acheté et partagent 3 Boeing C-17 de transport stratégique. Certains pays membres de l’OTAN ont aussi mis leurs ressources en commun dans le cadre de la « solution intérimaire pour le transport aérien stratégique (SALIS) », accord de coopération qui maintient deux Antonov An-124-100 affrétés sur une base permanente. L’accord SALIS peut également affréter deux AN-124-100 supplémentaires sur préavis de six jours et deux de plus sur préavis de neuf jours. Les initiatives de mise en commun de l’OTAN ont permis à des États membres de partager les coûts élevés de systèmes de transport aérien nécessaires et de déployer des ressources de transport aérien en divers lieu et à l’appui de diverses missions.

Renforcer les capacités par une coopération avec des partenaires externes.

Certains partenaires externes, principalement aux États-Unis et en Europe, ont manifesté leur volonté de participer à un partenariat bilatéral avec des forces aériennes africaines et proposent toute une gamme de programmes de renforcement de capacités et d’achats. Le département de la Défense des États-Unis donne accès, pour les pays partenaires,  à ses programmes de « ventes de matériel militaire à l’étranger », de « financement pour les armées étrangères » et « de mise à disposition d’articles de défense excédentaires » qui peuvent être de bons moyens pour financer et acquérir les systèmes de transport aérien nécessaires. La Force de défense du Botswana a, par exemple, pu acheter un avion de transport C-130B grâce au programme de ventes de matériel militaire à l’étranger. Ces programmes ont également été utilisés pour fournir des avions légers à turbopropulseurs tels que le Beechcraft Super King Air 350, utilisé pour de petites missions de transport aérien et de surveillance. Nombre de forces armées africaines utilisent aussi des aéronefs européens acquis dans le cadre de programmes d’assistance à la sécurité et reçoivent des services de formation spécialisée et de maintenance fournis par leurs partenaires européens.

Toutefois, l’une des faiblesses fréquentes du soutien bilatéral externe est sa tendance à être épisodique et à présenter des difficultés en matière de planification et de coordination pour les chefs des forces aériennes africaines. Des accords de coopération sur la sécurité soigneusement élaborés, plus formels et axés sur des intérêts communs peuvent favoriser la cohérence. Ces accords devraient mettre l’accent sur le renforcement des capacités de transport aérien de l’Afrique plutôt que sur la dotation en matériels tels que des aéronefs d’attaque, coûteux et d’une utilité moindre.

Rationnaliser les accords de transport aérien avec les organisations internationales.

Pour renforcer l’appui aérien en faveur de futures missions de maintien de la paix, l’UA devrait resserrer ses liens avec l’ONU. Le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU s’est avéré être un partenaire clé pour l’obtention de ressources de transport aérien pour des missions conjointes en Afrique, comme au Darfour avec la MINUAD. Malgré ce partenariat, la collaboration UA-ONU a laissé à désirer du fait du manque de communication et des désaccords sur les mandats de la mission. Pour améliorer ce partenariat, tâche dont les deux intéressées ont reconnu la nécessité, l’ONU et l’UA devraient envisager d’adopter un cadre stratégique pour les opérations de transport aérien.

L’UA devrait aussi consolider ses relations avec l’OTAN en vue de s’assurer de la disponibilité de moyens de transport aérien nécessaires à court terme. L’OTAN a la capacité de transporter des forces de plusieurs brigades vers des environnements hostiles et de fournir un transport aérien soutenu pour toute la durée d’une mission de maintien de la paix. Durant la mission de l’UA au Soudan, l’OTAN a coordonné le transport par voie aérienne de 31 500 soldats et autres personnels à destination et en provenance du Darfour. L’appui de l’OTAN au transport aérien a également été vital au déploiement de troupes burundaises et ougandaises en Somalie pour soutenir l’AMISOM et ses personnels (17 000). Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA et sa Division des opérations de soutien de la paix ont exprimé leur vif désir d’étendre la coopération avec l’OTAN pour de futurs déploiements pour le maintien de la paix. C’est un pas dans la bonne direction, qui devrait être consolidé par des efforts supplémentaires visant à rationaliser la collaboration UA-OTAN.

Faire intervenir le secteur privé.

Le secteur privé doit jouer un rôle essentiel dans la fourniture de soutien aérien stratégique aux opérations de sécurité africaines. Les plus grandes forces armées du monde dépendent, elles aussi, de compagnies aériennes pour le transport aérien dans les opérations de grande envergure. Les pays de l’OTAN transportent régulièrement du personnel et du matériel en utilisant des vols reservés auprès de compagnies privées et les États-Unis maintiennent la Flotte aérienne de réserve civile, qui est un consortium de transporteurs aériens Américains auquel ils peuvent faire appel pour transporter les forces armées des États-Unis en cas d’urgence.

Il existe actuellement un potentiel inexploité de partenariats entre le secteur public et le secteur privé au moyen duquel on pourrait combler les lacunes du transport aérien en Afrique. Le secteur aérien commercial d’Afrique comprend des transporteurs efficaces tels qu’EgyptAir, Ethiopian Airlines, Kenya Airways, Royal Air Maroc et South African Airways, avec lesquels l’UA, les CER et les États africains ,individuellement, devraient établir des relations afin de s’assurer des capacités essentielles de transport aérien dans le cadre d’opérations de sécurité ainsi que pour renforcer la rentabilité du secteur aérien commercial en Afrique. Les responsables politiques africains pourraient aussi envisager des ententes avec des compagnies aériennes non-africaines qui ont fait la preuve de leur aptitude à opérer sur le continent en toute sécurité et à moindre coût.

L’une des principales difficultés à surmonter pour obtenir le concours de transporteurs aériens commerciaux est le coût élevé des primes d’assurance pour les appareils atterrissant dans les ZO. L’UA peut contribuer à la réduction de ce coût en négociant de meilleurs tarifs collectifs auprès des assureurs et en créant un fonds destiné à couvrir, en totalité ou en partie, les primes d’assurance du risque de guerre. L’UA pourrait considérer l’exemple du Programme d’assurance du risque de guerre de l’aviation géré par l’Administration fédérale de l’aviation des États-Unis qui offre des polices d’assurance aux coûts raisonnables pour pertes dues à la guerre, la capture, le vandalisme et les autres dommages liés à des conflits.

Au cours de la décennie écoulée, le trafic aérien a considérablement augmenté en Afrique et selon les projections devrait croître au taux annuel de 5,7 %, bien plus rapidement que la moyenne internationale de 4,9 %9. Les plateformes telles que le CASA C-295, le C-130 et autres gros porteurs dépendent fréquemment des mêmes infrastructures aériennes que celles qui sont utilisées par le trafic aérien commercial, notamment les pistes, les stations de ravitaillement en carburant, les installations de maintenance, les radars et autres systèmes aériens secondaires, ce qui fait que la croissance du secteur commercial laisse présager une évolution favorable pour la capacité de transport aérien en Afrique.

Figure 1 - Les 60 premières routes aériennes en Afrqiue subsaharienneDes disparités subrégionales ont néanmoins émergé, avec des plaques tournantes aériennes en plein essor en Afrique australe et de l’Est et nettement moins de trafic aérien commercial en Afrique centrale et de l’Ouest (voir figure 1). Pour renforcer les capacités du transport aérien dans les pays ou les régions où le secteur du transport aérien est moins développé, les responsables africains de la sécurité devraient donc soutenir les efforts de leurs homologues civils pour mettre en œuvre des accords de coopération créés aux fins de soutenir la croissance du secteur aérien commercial. La Décision de Yamoussoukro, signée en 2000 et ratifiée en 2004 par 48 États africains, illustre ce principe. La mise en œuvre de ce vaste cadre technique, prévoyant la libéralisation des services aériens, l’élargissement des droits de trafic aérien et les réductions des tarifs, a soutenu le secteur du transport aérien en Afrique, en plein essor, mais reste irrégulière et incomplète11. Les initiatives actuelles de la Commission africaine de l’aviation civile visant à appliquer pleinement la Décision de Yamoussoukro et à développer un système intégré de transport aérien sont essentielles au renforcement de la capacité de transport aérien en Afrique.

Inventaire des ressources existantes de transport aérien en Afrique.

Un manque d’informations empêche les responsables politiques africains d’optimiser les partenariats aériens et de prendre des décisions judicieuses quant aux acquisitions. Le partage de l’information sur les flottes de transport aérien africaines, leur capacité à voler et la disponibilité des pièces détachées permettrait également d’éviter que des pays africains se dotent de systèmes ou d’aéronefs faisant double emploi qui posent des problèmes d’interopérabilité lors d’opérations conjointes.

L’AU a signalé la nécessité de développer une base de données des plateformes de transport aérien du continent afin d’appuyer son SMP12.

Toutefois, comme les autres activités de coopération relatives à la sécurité, c’est là une entreprise ambitieuse étant donné les craintes des États membres que les informations qu’ils communiquent sur leurs capacités stratégiques soient utilisées pour leur nuire. De même, certains États membres de l’UA manifestent des réticences à divulguer les limitations réelles de leurs capacités de transport aérien. L’UA doit s’attacher dans la durée à démontrer les avantages du partage de l’information et de la coopération en matière de transport aérien afin que s’estompent ces préoccupations. Inversement, il n’y a pas lieu que l’UA oblige ses États membres à partager les informations sur tous leurs systèmes aériens, tels que les avions de chasse, les systèmes de missiles et autres capacités sensibles. Elle devrait plutôt compiler une base de données limitée et ciblée des bonnes plateformes de transport aériens et des pièces détachées.

L’UA peut aussi donner renforcer ses efforts de partage de l’information en mettant l’accent sur les accords de coopération bilatéraux et sous-régionaux en vigueur en matière de sécurité. Il sera plus facile d’instaurer un partage de l’information sur le transport aérien entre des pays qui coopèrent déjà que de mettre en place des accords de partage de l’information entre des États qui n’interagissent que rarement, voire jamais. La volonté des pays coopérants de partager l’information sur leurs systèmes de transport aérien donnera au reste du continent un exemple convaincant.

Le Colonel Birame Diop est directeur régional de l’Institut africain pour la transformation du secteur de la sécurité à Dakar et officier de l’Armée de l’air sénégalaise, comptant plus de 7 000 heures de vol. David M. Peyton est rédacteur au Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA). Le Colonel Gene McConville est officier de carrière, spécialiste des affaires étrangères dans l’armée de terre des États-Unis, et le principal conseiller militaire du CESA. Nous tenons à remercier le « Programme sur les études relatives à la guerre irrégulière et aux opérations spéciales » de l’Institut d’études stratégiques nationales pour son appui dans le cadre de cette recherche.

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Notes

  1. Rapport du Secrétaire général sur le déploiement de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (Conseil de sécurité de l’ONU : S/2009/352, 13 juillet 2009).
  2. Mashood Issaka et Elijah Dickens Mushemeza, “Operationalizing the African Standby Force,” International Peace Institute, janvier 2010.
  3. “DR Congo: UN Peacekeeping Mission Receives Tactical Helicopters From Ukraine,” UN News Centre, 7 mars 2012. 4 “Six Month Drop in World Piracy, IMB Report Shows,” Service du crime commercial de la Chambre de commerce internationale, 23 avril 2012.
  4. “Six Month Drop in World Piracy, IMB Report Shows,” International Chamber of Commerce Commercial Crime Service, April 23, 2012.
  5. Liana Sun Wyler, Nicolas Cook, Illegal Drug Trade in Africa: Trends and U.S. Policy (Washington, DC: Congressional Research Service, 26 février 2010).
  6. Union africaine, Comité technique spécialisé sur la défense, la sûreté et la sécurité, 4ème réunion, Progress Report on the Status of the Operationalization of the African Standby Force (Addis-Abeba : UA, 3-7 décembre 2010). Jakkie Cilliers, The African Standby Force: An Update on Progress, ISS Paper 160 (Pretoria: Institute for Security Studies, mars 2008).
  7. « La capacité des pistes d’atterrissage et des terminaux d’aéroports est généralement suffisante mais les dispositifs de contrôle du trafic aérien et de surveillance nécessitent d’énormes améliorations. » Banque africaine de développement, disponible en anglais.
  8. « La médiocrité des résultats en matière de sécurité – attribuable surtout à l’insuffisance des normes et à la négligence de la supervision – constitue le défi le plus important auquel se trouve aujourd’hui confronté le secteur du transport aérien en Afrique. » Banque africaine de développement, disponible en anglais.
  9. Charles Schlumberger, Open Skies for Africa: Implementing the Yamoussoukro Decision (Washington, DC: The World Bank, 2010).
  10. Heinrich C. Bofinger, “An Unsteady Course: Challenges to Growth in Africa’s Air Transport Industry,” dans Africa Infrastructure Country Diagnostic, ed. Vivien Foster and Cecilia Briceño-Garmendia,”  (Washington, DC: The World Bank, juillet 2009), 261.

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