La principale leçon en construction de la démocratie du coup d’État au Mali : la junte doit partir

Mali coup leaders meet with ECOWAS officials

(Photo: VOA)

En défi d’une échéance fixée au 15 septembre par la Communauté des États de l’Afrique de l’ouest, la CEDEAO, les leaders de la junte ont proposé un plan qui maintiendrait l’armée au pouvoir. L’une des propositions énoncées dans ce plan proposé par les leaders du coup d’État du 18 aout est particulièrement pratique puisque qu’elle leur confèrerait l’immunité judiciaire. Mais ces officiers de grade moyen, qui ont commis la trahison en renversant un gouvernement démocratiquement élu, se sont aussi adoubés comme gardiens du retour à la démocratie. Usant de cette ironie, ces mêmes individus veulent maintenant se servir de la loi pour s’absoudre de leurs actions illégales.

La CEDEAO, l’Union africaine et les membres de la communauté internationale qui soutiennent la démocratie devraient évidemment rejeter ce nouveau stratagème de la junte pour s’approprier le pouvoir.

Il y a cependant une plus grande leçon à tirer de la débâcle au Mali. Frustrés par la corruption et l’incapacité du gouvernement à vaincre les insurgés djihadistes qui sévissent dans le nord et le centre du pays, de nombreux maliens sont d’abord descendus dans la rue pour soutenir le coup d’État. Peu après, des partis politiques, syndicats et groupes d’affaires ont demandé à la junte de se prononcer sur des questions nationales, comme si un coup était un moyen normal de changer de gouvernement. Mais ces appels déplacés reflètent une mécompréhension fondamentale de comment le changement s’effectue dans un système démocratique.

Ceux qui ont apporté leur soutien au coup d’État militaire ne se rendent probablement pas compte du fait que la précédente expérience du Mali avec un gouvernement militaire, entre 1968 et 1991, s’est très mal déroulée. Cette période s’est soldée par une croissance économique stagnante, une corruption répandue, des manifestation réprimées et des dirigeants de l’opposition torturés. La mauvaise gouvernance de ce régime militaire a été la suscité l’avènement en 1992 d’un système multipartite.

Depuis lors, la croissance par habitant a grimpé jusqu’à 4,5 % et le revenu par personne a triplé, atteignant près de 1 000 dollars US. Si le Mali demeure l’un des pays les plus pauvres au monde, ces progrès sont indéniables. Mais les maliens qui placent leurs espoirs dans les militaires pour résoudre la pauvreté, la corruption et les défis sécuritaires risquent une grande déception.

Pour trouver une issue positive à ce coup d’État, et si une série de coups doit être évitée, les maliens doivent reconnaitre que le seul moyen d’obtenir des reformes durables est de demeurer engagés dans leurs efforts pour obtenir le changement en usant de moyens légaux.  C’est une leçon fondamentale de la façon dont le changement se produit dans une démocratie.

À cette fin, les militaires qui ont pris le pouvoir ne devraient pas être récompensés. Aucun des leaders du coup ne devraient obtenir une position d’influence dans le gouvernement de transition. Ils devraient en revanche faire face à la justice. Encourager les leaders du coup ne ferait qu’en inviter d’autres, que ce soit au Mali ou ailleurs en Afrique. L’armée ne devrait par ailleurs pas avoir de rôle dans le gouvernement de transition.

La corruption du gouvernement du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta est souvent utilisée comme argument pour justifier le coup d’État.  Les maliens devraient demander l’établissement d’une enquête indépendante, dirigée par des experts, sur la corruption systématique au sein des institutions régaliennes. Étant donné la nature endémique de la corruption au Mali, il pourrait être utile d’établir une cour hybride, à la fois malienne et internationale, peut-être sur le modèle de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala. Quelle que soit la voie choisie, l’objectif serait de démontrer comment la corruption, qui existe à un certain niveau dans tout gouvernement, peut être résolue de manière transparente dans un système démocratique.

Ces réformes institutionnelles sont au cœur du travail nécessaire à bâtir une démocratie. Elles peuvent paraitre moins décisives ou exaltantes qu’un coup d’État mais c’est ainsi qu’un progrès durable est possible. C’est la raison pour laquelle les pays d’Afrique dotés de contrepoids institutionnels robustes, tels que le Botswana, le Ghana, la Namibie et le Sénégal connaissent une croissance économique durable, le développement et la stabilité. Ces pays continuent certainement de faire face à leurs propres défis mais ils savent résoudre leurs problèmes par des moyens constitutionnels.

Autre justification avancée pour justifier le coup, la peur et la frustration causées par l’insurrection djihadiste de ces huit dernières années. Mais répondre à cette menace sécuritaire requiert une réforme institutionnelle. Le Mali a conduit une réforme importante de son secteur de la sécurité suite au coup d’État de 2012. Un point de départ pour de nouvelles réformes serait de tirer les leçons de l’échec de cette initiative, y compris sur la dépolitisation de l’armée et l’amélioration de ses capacités.

Une autre priorité immédiate devrait être un audit indépendant des allégations répétées de détournement de fonds et d’équipements censés être alloués à l’armée. Une formation à la contre-insurrection et une structure militaire dotée de moyens de mobilité et de communication permettant à maintenir la pression sur des groupes islamistes militants en évolution sont nécessaires. Afin de ne pas aliéner les communautés qu’elles devraient aider, les forces de défense et de sécurité du Mali doivent aussi être mieux formées au respect des droits humains et être redevables de leurs actions.

Encore une fois, les processus utilisés pour ce faire sont importants. La leçon à tirer ici est que le changement institutionnel doit passer par une voie légale. L’expérience démontre qu’une pression soutenue de groupes de citoyens est souvent nécessaire. Au lieu de soutenir la junte, les maliens qui veulent changer durablement la donne politique devraient former un mouvement de réforme soutenu.  Le changement n’arrive pas d’un seul coup, il requiert un engagement sur la durée. La question est donc, les maliens qui veulent la réforme peuvent-ils rester suffisamment organisés pour l’obtenir ?

Les maliens frustrés doivent prendre les commandes et choisir la démocratie pour obtenir le changement qu’ils désirent. La démocratie ne garantit pas que ses dirigeants seront honnêtes, le gouvernement compétant, ou même que les bonnes politiques seront mises en œuvre. Mais c’est la capacite à s’adapter et à se corriger qui est l’une des plus grandes vertus de la démocratie. Mais elle requiert un engagement des citoyens. Les élections, une presse libre, la liberté d’expression, les protections accordées à la société civile, le droit à manifester, la capacité des citoyens à s’organiser pour demander ce qu’ils désirent pour eux-mêmes, toutes sont des caractéristiques d’une démocratie. Les maliens doivent y travailler.

Cet article est apparu pour la première fois sur The Hill.