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Q & R: Les acteurs externes modifient le paysage en Afrique

Les acteurs externes ont cherché à élargir leurs partenariats de sécurité en Afrique ces dernières années. Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique s'est entretenu avec Judd Devermont, directeur du programme Afrique du CSIS, sur les tendances et la complexité de ces relations.


L’engagement extérieur joue un rôle de plus en plus déterminant dans la sécurité en Afrique. La Chine, les États du Golfe, la Turquie et les pays européens, entre autres, ont récemment intensifié leurs activités sur le continent et affiné leurs stratégies

Qui sont les principaux acteurs externes de la sécurité en Afrique?

Judd Devermont

Judd Devermont

La communauté internationale s’engage en Afrique différemment et avec plus d’intensité. En Afrique subsaharienne, 150 nouvelles ambassades ont été inaugurées entre 2010 et 2015. C’est principalement le fait de la Turquie et du Qatar, mais l’Espagne est aussi de plus en plus active, de même que certains pays de l’Asie du Sud-Est. Les Européens de l’Est renforcent également leur présence. Nous constatons un renforcement de la présence diplomatique et commerciale, ainsi qu’un engagement important en matière de sécurité avec de plus en plus de pays construisant des bases militaires sur le continent – non seulement à Djibouti, mais également au Sahel et dans des pays d’Afrique centrale comme le Cameroun. Les principaux gagnants sont la Chine, les États du Golfe, en particulier les Émirats arabes unis et le Qatar, et la Turquie. Bien que moins important, un renforcement de la présence a également été observé de la part de certains pays d’Europe occidentale qui avaient auparavant réduit leur présence.

Quelles sont les principales motivations de cet engagement accru?

Pour les Européens, elle est principalement motivée par les migrations, comme en témoigne la présence des flottes europénnes au large de la Libye, de la Tunisie et du Maroc en Méditerranée, ainsi que par le soutien au G5 Sahel, principalement de la part de la France mais aussi de l’Europe. Lorsque vous vous déplacez dans la Corne de l’Afrique, vous constatez la présence de pays comme le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie qui établissent des bases, augmentent les investissements et réfléchissent aux problèmes de sécurité. Ces pays ont une longue histoire dans la Corne de l’Afrique, mais certains de leurs rôles ont évolués après la famine de 2011 en Somalie, lorsqu’ils ont fourni près de 30% de l’aide humanitaire. Depuis lors, ils se sont davantage engagés dans une mission d’édification de ces États. Enfin, en République centrafricaine,  nous avons vu un réengagement des Européens, dirigé par la France de François Hollande. Cela a été suivi de plusieurs missions européennes de formation.

Comment les pays africains peuvent-ils tirer parti de ces partenariats?

Il y a beaucoup d’opportunités. En premier lieu, les pays doivent indiquer clairement le type de relation qu’ils souhaitent mettre en place avec des partenaires extérieurs. Je pense que les Africains peuvent être plus spécifiques et avoir plus d’échanges pour déterminer s’ils souhaitent se concentrer sur les phénomènes de migrations, ou également sur d’autres sujets. Il est également impératif que les pays africains et les acteurs internationaux fassent preuve d’une meilleure coordination afin d’éviter la course au plus offrant, la redondance et l’engagement avec plusieurs partenaires sur le même projet. Ces partenaires peuvent inonder la région de ressources, mais pas nécessairement de manière très productive.

Je pense aussi que les pays africains doivent rester sur une position qui sert leurs intérêts lorsque des pays exportent leurs rivalités sur le continent. Ces rivalités importées peuvent avoir  un effet considérablement déstabilisant. Les tensions entre le Qatar et les EAU deviennent problématiques pour des pays comme la Somalie et le Soudan. Il y a aussi la rivalité entre la Chine et Taiwan. Ainsi, le Burkina Faso a récemment retiré sa reconnaissance de Taïwan en faveur d’un rapprochement avec la Chine. 48 pays sur 49 adoptent désormais la politique de « la Chine unique ». Mais c’est encore un jeu en pleine croissance. De plus, alors que les États-Unis parlent de la concurrence des grandes puissances, les Africains vont devoir réfléchir davantage aux relations sino-américaines ainsi que les relations américano-russes.