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La force conjointe du G5 Sahel prend de l’envergure

Le G5 Sahel accroît sa force conjointe de sécurité afin de répondre à la menace posée par les groupes de militants islamistes au Sahel. La force est en train de devenir le point central des efforts de sécurité transnationale dans la région.

The G5 Sahel Joint Force Gains Traction

Photo: Adam Jones.

La G5 Sahel a été créée en 2014 comme un partenariat intergouvernemental entre le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger pour promouvoir la coopération économique et la sécurité dans la région du Sahel. La virulence croissante des groupes de militants islamistes, tirant parti de la faible densité de population des zones frontalières, a cependant posé un sérieux défi à la vision du G5.

En réponse, en 2017, le G5 Sahel a augmenté ses efforts de sécurité en lançant une force de sécurité commune (Force conjointe du G5 Sahel) pour lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue et la traite des êtres humains. La force a été approuvée par la suite par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et par le Conseil de sécurité des Nations Unies et a l’appui de divers partenaires internationaux. La force conjointe du G5 Sahel doit maintenant jouer un rôle de premier plan dans les futurs efforts de sécurité transnationale dans le Sahel. Alors, quelle est cette force, quels sont ses objectifs et comment va-t-elle travailler et avec qui ou compléter les initiatives nationales et régionales de sécurité ?

Pourquoi la force conjointe du G5 Sahel a-t-elle été formée ?

Les membres du G5 Sahel ont considéré que la nécessité de répondre au difficile environnement de sécurité régionale constituait une priorité sur le plan stratégique. Des groupes de militants islamistes menacent la sécurité des populations à travers la région et exacerbent d’autres problèmes de sécurité, dont les déplacements forcés, le crime organisé et la traite des êtres humains. Ces défis persistent en dépit de la déroute des groupes de militants islamistes du nord du Mali en 2013 par une coalition de forces françaises et africaines, déployée en réponse à l’occupation de grandes étendues de territoire du nord du Mali par des groupes de militants islamistes. Le déploiement de l’opération de paix de l’ONU au Mali qui a suivi, la MINUSMA, l’opération menée par la France, Barkhane et les efforts continus de renforcement des capacités des forces de sécurité nationale de l’ensemble de la région ont atténué la menace.

Néanmoins, des défis demeurent. Huit différents groupes de militants islamistes ont été associés à plus de 1 100 décès depuis 2014, dont près de 400 en 2017. Le plus actif de ces groupes est Al Qaïda au Maghreb islamique et ses affiliés (opérant collectivement sous la bannière de la Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin), ainsi que le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest et l’État islamique dans la région du grand Sahara.

Leurs activités ont inclus des attaques contre des civils dans des villages isolés, des embuscades sur les bases militaires et les forces armées et des attentats à l’explosif contre des hôtels et des restaurants populaires des villes capitales de la région. Dans deux incidents distincts en janvier 2018, 39 civils ont été tués lorsque leurs véhicules ont heurté des mines terrestres dans le centre du Mali. En août 2017, trois bases de l’ONU dans le centre et le nord du Mali ont été prises dans une embuscade, tuant huit casques bleus. Ayant déploré plus de 118 victimes depuis 2014, la MINUSMA est considérée comme la mission de l’ONU la plus dangereuse. En octobre 2017, quatre militaires américains ont été tués dans une embuscade au Niger, près de la frontière du Mali. Les militants ont frappé à proximité, plus tard dans le mois, tuant 13 gendarmes nigériens. En janvier 2016, 30 personnes ont été tuées dans une attaque contre un hôtel et un café à Ouagadougou.

La nature dispersée de ces attaques, la porosité des frontières et le peu de présence de sécurité dans les zones éloignées et peu peuplées permettent aux groupes de militants islamistes d’étendre leurs activités dans la région. Dès qu’ils prennent le contrôle des routes commerciales, ils se livrent à des activités illicites comme le trafic des stupéfiants et la contrebande d’armes. Cela a entraîné des répercussions sur les voyages et le commerce légal, portant davantage atteinte aux conditions économiques des communautés de l’ensemble du Sahel.

La région est également aux prises avec des niveaux sans précédent de déplacements forcés. Le Tchad est le cinquième plus grand pays d’accueil de réfugiés en Afrique, hébergeant autour de 391 000 réfugiés, principalement du Nigéria, du Soudan et de la République centrafricaine. Les Maliens représentent 22 % des réfugiés au Niger, alors que les personnes déplacées en provenance du Nigéria, principalement en raison des attaques de Boko Haram, représentent les 78 % restants. Les attaques de Boko Haram ont également déplacé 248 000 personnes dans la région de Diffa au Niger, y compris 105 000 Nigérians et 15 000 personnes Nigériens. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a observé que près de 63 000 personnes ont transité par le Niger à travers Séguédine et Arlit en 2017. Au Mali, l’OIM a observé qu’en moyenne 208 personnes quittaient la région chaque jour. Au Burkina Faso, le chiffre était de 230.

En bref, le lancement de la force conjointe du G5 Sahel a pour but d’inverser l’instabilité dans la région causée par des groupes militants qui a un effet paralysant sur les voyages, le commerce et l’activité économique et qui provoque des déplacements massifs de population.

Comment la force va-t-elle opérer ?

Le concept des opérations de la force conjointe G5 Sahel repose sur quatre piliers :

    • La lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue.
    • La contribution à la restauration de l’autorité de l’état et au retour des personnes déplacées et des réfugiés.
    • L’assistance aux opérations humanitaires et l’acheminement de l’aide aux populations affectées.
    • L’aide à la mise en œuvre de stratégies de développement dans la région du G5 Sahel.

La force se compose de 5 000 soldats des forces armées provenant des cinq États membres, dont sept bataillons de 550 soldats, plus 100 policiers et gendarmes. Ces troupes sont réparties sur trois secteurs : l’ouest (le Mali et la Mauritanie), le centre (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) et l’est (le Tchad et le Niger). Ses principaux centres d’opérations sont les zones frontières entre le Mali et la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, et le Tchad et le Niger. À la fin de 2017, un état-major de la force a été mis en place à Sévaré, au Mali. Des postes de commandement secondaires vont être mis en place dans chaque secteur. En outre, une zone de 50 kilomètres le long de chaque frontière a été définie pour permettre aux contingents nationaux de mener des opérations conjointes ou de poursuivre des objectifs au-delà de leurs propres frontières.

Regionalization of Terrorism and Regional Organizations

Source: Nicolas Desgrais, « La Force Conjointe du G5 Sahel (FC-G5s) Ou l’Émergence d’une Architecture de défense collective au propre au Sahel» Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégique, Paris, Décembre 2017.

Les défis concernant le déploiement : Le financement et la coordination

L’ONU a encouragé les contributions internationales au budget initial de 523 millions de dollars de la force conjointe du G5 Sahel tout en souhaitant que  la responsabilité finale du financement relève des pays membres du G5. Chacun s’est engagé à verser 10 millions de dollars, alors que l’Union européenne lors d’une conférence tenue à Bruxelles fin février a augmenté son offre de 61 millions de dollars à $143 million de dollars. La France et l’Allemagne ont versé un total de 21,7 millions de dollars et lancé un effort de mobilisation pour satisfaire aux besoins financiers des autres membres du G5 par l’intermédiaire de contributions bilatérales. Cet effort a permis de recueillir des contributions de l’Espagne, des Pays-Bas, de la Norvège, du Japon, du Danemark, de la Belgique, du Luxembourg, de la République tchèque et de la Slovénie, avec d’autres engagements prévus. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont promis de verser 100 millions de dollars et 30 millions de dollars respectivement, avec 60 millions de dollars supplémentaires provenant des États-Unis. La France, par ailleurs, s’est engagée à verser une somme supplémentaire de 1,5 milliards  de dollars en aide au développement au Sahel au cours des cinq prochaines années et l’Union européenne investira elle aussi 9,8 milliards de dollars dans la région durant la même période.

En plus de ses contributions financières, la France apporte un soutien significatif par l’intermédiaire de l’opération Barkhane, une l’initiative de sécurité française en collaboration avec les pays du Sahel qui se poursuit depuis 2014. Environ 4 000 soldats français sont impliqués dans l’opération, qui est basée au Tchad, au Burkina Faso et au Mali et opère sur l’ensemble de la région du sud du Sahara. (Barkhane, à son tour, est issue de l’opération Serval en 2013, une opération dirigée par les Français et les Tchadiens au nord du Mali pour récupérer le territoire gagné par des groupes militants islamistes qui menaçaient de prendre Bamako.)

Outre les défis opérationnels inhérents à la lutte contre des groupes militants, la force conjointe du G5 Sahel doit adapter son orientation institutionnelle en fonction d’autres initiatives régionales de sécurité en cours. La MINUSMA a pour mandat d’appuyer le processus politique au Mali et d’effectuer des tâches liées à la sécurité pour stabiliser le pays et mettre en œuvre la feuille de route de transition du gouvernement. La Force multinationale conjointe (MNJTF), forte de 10 000 soldats provenant du Bénin, du Cameroun, du Tchad, du Niger, et du Nigéria, a pour mandat la fin de l’insurrection terroriste de Boko Haram, et fait partie des opérations et de la coopération dans la région. Étant donné que certains des mêmes partenaires de sécurité sont impliqués dans chacune de ces missions, les efforts visant à clarifier les rôles et à réconcilier les mandats sont au cœur de l’ensemble de l’effort de la lutte contre le terrorisme et la promotion de la stabilisation.

Par exemple, il existe un certain chevauchement entre les pays fournisseurs de contingents dans ces divers organes de sécurité. Le Tchad et le Niger fournissent des troupes à la MINUSMA et à la MNJTF. De même, plus de 1 000 troupes mauritaniennes servent aussi dans la MINUSCA. Les partenaires de sécurité doivent donc s’assurer qu’ils ne sont pas surchargés à cause de de leur participation à plusieurs missions (voir le tableau).[ultimatetables 4 /]

Plus généralement, il est nécessaire que les impératifs de la Force conjointe du G5 Sahel coïncident avec ceux de l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’UA qui est structurée de manière à faciliter la coopération en matière de sécurité collective à travers les communautés économiques régionales (CER). L’un des problèmes sur le plan opérationnel, cependant, est que les membres du G5 (ou de la MNJTF) n’appartiennent pas tous à la même CER.

Pour être efficace, la coordination du G5 doit aussi dépasser les diverses composantes des forces armées. Comme exprimé dans le concept des opérations de la Force conjointe du G5 Sahel, le développement économique dans les zones marginalisées est crucial, car il peut contribuer à empêcher le recrutement de groupes extrémistes violents et à stabiliser ces zones. S’assurer que les forces de la coalition respectent les normes en matière de professionnalisme militaire et de droits de l’homme est également essentiel, afin de ne pas aliéner les communautés locales. La mise en œuvre effective de ces initiatives de développement en coordination avec l’action militaire exige un haut niveau d’intégration entre les différentes lignes d’effort.

Il est encore trop tôt pour prédire de l’efficacité des efforts renforcés de sécurité du G5. Sa création, cependant, reflète la reconnaissance de la nécessité d’une structure de sécurité régionale dans le Sahel, capable de lutter contre les menaces de la sécurité transfrontalière posée par les groupes extrémistes violents tout en créant des alternatives viables sur le plan de l’économie et de la gouvernance dans ces régions frontalières longtemps négligées.

Experts du CESA

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