En Afrique, le contournement des limites de mandats fragilise la gouvernance

Une tendance croissante à contourner les limites de mandats en Afrique a des conséquences profondes sur la gouvernance, la sécurité et le développement du continent.


Table - Limites constitutionnelles de la durée au pouvoir des dirigeants africains

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Points clés

  • Algérie
  • Burundi
  • Comores
  • Côte d’Ivoire
  • Égypte
  • Guinée
  • Ouganda
  • République Démocratique du Congo
  • République du Congo
  • Rwanda
  • Soudan du Sud
  • Tchad
  • Togo
  • Malgré ces revers, la tendance n’est pas à sens unique. Plusieurs pays africains ont renforcé ou respecté les limites de mandats depuis 2015, notamment le Benin, le Liberia, la Mauritanie, le Sénégal et les Seychelles. Ces pays font partie d’un groupe de 21 pays d’Afrique qui continuent de respecter les limitations de mandats. Par ailleurs, la République centrafricaine et le Burkina Faso ont tenu des référendums constitutionnels afin d’adopter des limites de mandats.
  • D’importantes différences régionales existent en matière de respect aux limitations de mandat. Les pays d’Afrique australe et de l’est font preuve de la plus grande adhérence à ces normes alors que de grandes parties de l’Afrique du nord, centrale et de la Corne ont failli à cet égard.
  • L’absence de limites efficaces sur les mandats est la cause du maintien au pouvoir de 10 dirigeants pour une durée de plus de 20 ans ainsi que du maintien de deux dynasties familiales au pouvoir depuis plus de 50 ans :

  • L’affaiblissement des limites de mandats représente un revers pour la bonne gouvernance en Afrique :
    • Les dirigeants de pays avec une limitation de mandats sont au pouvoir depuis en moyenne 3 ans. Ceux qui ont modifié ou éliminé ces limites sont au pouvoir pour une durée médiane de 12 ans.
    • Récemment, des dirigeants de longue date se sont vus limogés par des anciens alliés politiques, mais ceux-ci représentent dans la pratique une continuation des structures politiques existantes. Si ces régimes sont inclus, c’est à dire l’Algérie, le Burundi, la République démocratique du Congo, le Soudan, et le Zimbabwe, la médiane des années au pouvoir atteint 19 ans.
    • Chacun des huit pays subissant une guerre civile (mais excluant les insurrections par des groupes islamistes militants) n’ont pas de limitation de mandats.
    • Sur les 10 pays africains qui sont le plus à l’origine des 32 millions de réfugiés ou déplacés en interne, sept sont des pays sans limites de mandats.
    • Alors même que la corruption est un défi pour de nombreux pays africains, elle est particulièrement pernicieuse dans les pays sans limitations de mandats. Dans les pays qui ont modifié ou éliminé ces limites, le rang médian dans l’index des perceptions de corruption de Transparency International est de 134 sur 180. Ce rang est de 46 places plus bas que pour les pays où les limitations de mandats sont respectées.
  • L’Afrique doit tenir 34 élections présidentielles entre 2019 et 2021. Dans un tiers de ces pays, la question des limitations de mandats est cruciale. En effet, les moyens souvent controversés par lesquels les dirigeants restent au pouvoir minent la légitimité que ces processus électoraux sont sensés générer.
  • L’institutionnalisation des limitations de mandats en Afrique fait partie de réformes commencées dans les années 1990 pour contrer l’héritage d’un pouvoir trop concentré dans les mains de l’exécutif. Étant donné la faiblesse relative d’institutions démocratiques indépendantes telles que le parlement, la justice, le service civil, les forces de sécurité, les médias, les médiateurs et les banques centrales, les limites de mandats sont perçues comme un élément important des contrepouvoirs.

Joseph Siegle est directeur de la recherche et Candace Cook est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

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Notes

  1. Éthiopie et Lesotho : un premier ministre, qui n’est pas sujet à une limite de mandat, détient l’autorité exécutive.
  2. Libye : une limite à deux mandats est incluse dans un projet de constitution.
  3. Maroc et Eswatini : l’autorité exécutive repose dans les mains d’un roi.
  4. Soudan : Le mandat du gouvernement de transition civilo-militaire prend fin en janvier 2024. Le Conseil souverain sera dirigé par des civils à partir de février 2022.
  5. Zimbabwe : en 2017, le limogeage, par l’armée, de Robert Mugabe, permet néanmoins au ZANU-PF de rester au pouvoir depuis près de 40 ans.
  6. Guinée : l’adoption d’une nouvelle constitution, dans un referendum controversé en 2020, permet à Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat en 2020 et en théorie un quatrième mandat en 2026.
  7. Togo : une limitation à deux mandats a été réimposée en 2019 permettant à Faure Gnassingbé de se présenter pour un quatrième mandat en 2020 et en théorie un cinquième mandat en 2025.
  8. Ouganda : les limites de mandats présidentiels ont été éliminées en 2005 et la limite d’âge a elle aussi été éliminée en 2017.
  9. Tchad: une nouvelle constitution adoptée en 2018 a réimposé une limitation à deux mandats et rallongé le mandat présidentiel de 5 à 6 ans, permettant à Idriss Deby to se présenter pour un sixième mandat en 2021.
  10. Algérie : une limitation à deux mandats de 5 ans a été réimposée en 2016 permettant en théorie à Abdelaziz Bouteflika de se présenter à un cinquième mandat en 2019 (il a cependant été forcé par la suite à démissionner).
  11. Burundi : après une décision controversée en 2015, une nouvelle constitution prolonge les mandats présidentiels de 5 à 7 ans en 2018.
  12. Rwanda : en 2015, un référendum controversé permet à Paul Kagame de présenter pour un troisième mandat de 7 ans, après lequel il pourra se présenter pour deux mandats de 5 ans, lui permettant potentiellement de rester au pouvoir jusqu’en 2034.
  13. République du Congo : la nouvelle constitution de 2015 a éliminé la limite d’âge, réduit le mandat de 7 à 5 ans et augmenté la limitation de mandats à trois mandats.
  14. Soudan du Sud : le mandat de Salva Kiir en tant que président élu s’est achevé en 2015 mais des amendements constitutionnels adoptés en 2018 et la formation d’un nouveau gouvernement d’union nationale en 2020 a prolongé son mandat jusqu’en 2023.
  15. RDC : le mandat de Joseph Kabila en tant que président élu s’est achevé en 2016 mais il est resté au pouvoir jusqu’à la tenue d’élections disputées en 2018. Il retient néanmoins un pouvoir considérable.
  16. Comores : une nouvelle constitution, adoptée dans un référendum controversé, permet au président de se présenter pour deux mandats consécutifs de cinq ans, abolissant le système de partage de pouvoir où la présidence tournait parmi les iles après un mandat.
  17. Egypte : en 2019, l’adoption d’un amendement constitutionnel controversé prolonge de 2 ans le mandat 4 ans du président Sisi et lui permet de se présenter pour un troisième mandat de six ans qui s’achèverait en 2030.
  18. Côte d’Ivoire : l’adoption d’une nouvelle constitution en 2016 permet à Alassane Ouattara de se présenter pour un troisième mandat en 2020 et en théorie un quatrième mandat en 2025.
  19. São Tomé et Príncipe, Cap Vert et Maurice : le président élu est sujet à une limitation de mandat mais le pouvoir est partagé avec un premier ministre qui n’y est pas sujet.