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Les défis de sécurité fondamentaux que le Nigéria doit relever. Septième défi : Sécurité maritime


Les nouveaux dirigeants du Nigeria sont confrontés à un autre enjeu de sécurité fondamental, qui vient de la mer. La sécurité du golfe de Guinée est essentielle à la santé économique de l’Afrique de l’Ouest. En effet, le golfe de Guinée est la plateforme de transit de la majeure partie des échanges commerciaux de la région, qui s’élèvent à 253 milliards de dollars et concernent principalement des produits pétroliers. Cependant, au cours des dernières années, il s’est aussi transformé en un foyer de piraterie maritime, allant jusqu’à éclipser le golfe d’Aden. En 2014, ce dernier a enregistré seulement 11 incidents, contre 41 dans le golfe de Guinée.

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Les pirates volent effrontément du pétrole et des marchandises aux nombreux navires sans défense et isolés qui font route en passant par le golfe. Ces dernières années, les incidents d’enlèvements contre rançon ont augmenté, une indication de la rentabilité accrue de ces opérations. Par exemple, les trois membres de l’équipage du superpétrolier VLCC Kalamos, kidnappés en février 2015, auraient été libérés quelques semaines plus tard moyennant le paiement d’une rançon de 400 000 dollars.

Les navires de pêche prennent dans leurs filets d’énormes quantités de poisson dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest, sans que nul ne s’en aperçoive. La pêche illégale, non déclarée et non réglementée représente 40 % du poisson pêché en Afrique de l’Ouest. De surcroît, le golfe de Guinée demeure un point de transbordement majeur dans le trafic de stupéfiants d’Amérique latine en direction de l’Europe. Selon les Nations Unies, quelque 1,5 milliards de cocaïne aurait transité par l’Afrique de l’Ouest en 2013.

La piraterie et la criminalité maritimes sont le plus prononcées à l’intérieur et autour des eaux territoriales du Nigeria, premier producteur de pétrole de la région. Le Nigeria perd entre 40 000 et 100 000 barils de pétrole par jour à cause des vols. Selon le chef de l’état-major de la marine nigériane Usman Jibrin, le vol de pétrole à lui seul coûte chaque année au gouvernement du pays 433 milliards de nairas (environ 2 milliards de dollars). Selon le ministre des Finances, ce chiffre serait encore plus élevé.

Piraterie et criminalité à l’intérieur et autour des eaux territoriales du Nigeria

Bon nombre des pirates dans le golfe de Guinée sont issus des groupes militarisés de la région pétrolifère du delta du Niger. Ces groupes se sont vus offrir un accord d’amnistie : déposer les armes en échange d’une rétribution mensuelle et d’une formation professionnelle. Mais l’amnistie, qui doit prendre fin en 2015, a obtenu des résultats mitigés. Dans une région ou l’environnement a subi de vastes dégradations et où les possibilités d’emploi sont rares, le vol de pétrole s’est révélé une source fiable de revenu pour de nombreux jeunes du delta. En 2013, 1 951 raffineries clandestines de pétrole ont été démantelées dans le seul delta du Niger.

Fighters in a boatQue ce soient d’anciens insurgés, des gangs locaux ou des membres de réseaux criminels organisés internationaux, les groupes pouvant se procurer des armes et des bateaux sont passés du vol de pétrole dans les voies navigables intérieures au détournement de navires de marchandises et de pétroliers en haute mer. Les pirates opérant dans le delta sont allés jusqu’à s’emparer d’un navire à son point de mouillage dans les eaux angolaises à 900 milles marins de là.

La complicité entre les pirates, des éléments corrompus de l’industrie pétrolière et des organismes de sécurité, et les réseaux internationaux du crime organisé ont contribué à l’essor de la piraterie. Ces facteurs soulignent la difficulté de renforcer le professionnalisme des forces armées dans l’ensemble du secteur de la sécurité nigérian, et pas exclusivement dans la région nord du pays.

Confronter ces défis

Le Nigeria a entrepris de développer sa stratégie de sécurité maritime aux fins de lutter contre la piraterie et la criminalité dans ses eaux territoriales. Des groupes de forces interarmées (principalement entre l’Administration maritime nigériane [NIMASA] et la marine nigériane) mènent des patrouilles pour veiller à l’application des lois et lutter contre la piraterie, avec le soutien de moyens de surveillance électronique capables de relever le numéro de l’Organisation maritime internationale de tous les navires coopérant avec elle qui se trouvent dans les eaux territoriales du Nigeria. Toutefois, ceci ne représente qu’un certain pourcentage de tous les navires. Le renforcement de la prise de conscience du domaine maritime, à savoir la connaissance des mouvements de toutes les embarcations traversant les eaux territoriales du Nigeria, doit constituer une priorité majeure.

Lagos Island

Lagos Island

En 2013, la Marine nigériane, épaulée par deux sociétés privées de sécurité maritime, a établi une Zone de mouillage sécurisée (Secure Anchorage Area, SAA) autour du port de Lagos, une zone encombrée de centaines de navires vulnérables devant attendre plusieurs jours pour décharger leurs cargaisons à cause des installations vétustes à terre. Dans la Zone de mouillage sécurisée, la Marine apporte une protection armée aux navires souhaitant mouiller ou effectuer des transbordements entre navires au large.

Cette Zone offre un exemple de la façon dont le Nigeria et ses voisins peuvent gérer plus efficacement leur espace maritime. S’ajoutant aux sites de mouillage délimités, des couloirs de transit clairement indiqués (semblables au couloir de transit recommandé sur le plan international (IRTC) du golfe d’Aden) sont nécessaires, non seulement dans cette région, mais également dans les eaux territoriales de chaque pays. Grâce à des voies de navigation délimitées et à des sites de mouillage permettant de canaliser le trafic des navires marchands sur des routes maritimes étroites, les organismes des forces de l’ordre comme la NIMASA pourraient mieux orienter et simplifier leurs patrouilles et répondre à leurs exigences de surveillance.

Le Nigeria s’est allié à ses voisins pour créer des zones régionales de sécurité dans l’ensemble du golfe de Guinée. Ce faisant, ils ont reconnu qu’il était impératif que les pays de l’Afrique de l’Ouest harmonisent leurs tactiques policières afin d’empêcher les pirates de déplacer tout simplement leurs activités dans la juridiction la plus vulnérable ou celle imposant le moins de sanctions. Toutefois, les États partenaires peinent à opérationnaliser ces mécanismes de coordination.

L’une des principales carences concerne les moyens. Pour patrouiller les 459 milles marins de son littoral et ses eaux territoriales qui s’étendent à 200 milles marins, le Nigeria ne dispose que de deux frégates, 10 grands patrouilleurs, 15 petits bateaux de patrouille (bateaux patrouilleurs dans les eaux littorales et bateaux de défense tournés vers le large) et quatre avions de patrouille maritime. Et le Nigeria fait partie des États côtiers les mieux dotés en ressources. Selon le contre-amiral de la marine nigériane Adeniyi Adejimi Osinowo, l’Afrique de l’Ouest aurait, au minimum, besoin de 90 navires de patrouille en mer pour couvrir ses 3 000 milles marins de littoral. La région n’en compte actuellement que 32. Ainsi, le Nigeria et certains de ses voisins ont dû faire appel à des sous-traitants militaires et des sociétés de sécurité privés. L’augmentation du nombre de ces prestataires pourrait elle-même devenir préoccupante, car pour des raisons financières il est de leur intérêt que persistent les menaces à la sécurité qu’elles combattent.

De retour à terre

Untitled1En dernier ressort, la sécurité maritime est liée aux activités à terre. La plus forte concentration de vols et d’actes de piraterie se produit à moins de 12 milles marins des côtes du Nigeria. Les voies navigables du delta du Niger, où d’anciens militants ont mis en place des activités illégales de soutage et de raffinage de pétrole avec la complicité de certains responsables de la sécurité et politiques posent particulièrement problème. Si elle ne constitue pas le facteur déterminant, la marginalisation économique et politique des populations du delta du Niger engendre un vivier permanent de recrutement pour les activités de piraterie. Plus tôt le nouveau gouvernement s’attaquera à ce problème, plus tôt il sera en mesure d’épuiser ce vivier.

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  • Assis Malaquias, Professor and Academic Chair, Defense Economics and Resource Management