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Future Stratégique de l’Afrique : Conséquences du Leadership Éthique


Julius Nyerere and Nelson Mandela

La « Déclaration de Mombasa sur le leadership en Afrique » de Mars 2004 dégage les principes essentiels du leadership éthique, tels que par exemple, les leaders servent mieux leurs peuples et leurs nations lorsque :

  • Ils adhèrent à un fort code de déontologie fiable et exigent la même chose de tous les fonctionnaires subalternes.
  • Ils reconnaissent qu’ils sont responsables de leurs actes et que personne n’est au-dessus de la loi.
  • Ils n’utilisent pas leur bureau à des fins personnelles et évitent tout conflit d’intérêts.
  • Ils assurent la sécurité humaine.

Malheureusement, la pratique de ces principes de leadership est désespérément faible sur le continent. Cette faiblesse représente un risque majeur pour la sécurité, comme le montre l’expérience, que la stabilité est en grande partie tributaire d’institutions de gouvernance efficace et responsable envers leurs citoyens. La plupart de ces facteurs dépend du leadership éthique du secteur politique et de la sécurité. La relève de ce déficit est un thème central de la conférence de trois semaines de la « Prochaine Génération des Leaders du Secteur de la Sécurité en Afrique » qui a lieu au Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique à Washington.

Bien que les cas dignes de mention de leadership éthique en Afrique soient peu nombreux, ils sont néanmoins frappants. Deux cas souvent cités à cet égard sont ceux des anciens Présidents Nelson Mandela de l’Afrique du Sud et Julius Nyerere de Tanzanie. Leur grand  exemple  montre comment les leaders éthiques dirigeaient leurs nations à travers des divisions internes jusqu’à la stabilité et la façon dont les normes d’éthique se sont intégrées aux services de sécurité qu’ils ont laissés derrière eux.

Modélisation des normes éthiques

Julius NyerereLes règles d’éthique prennent racine dans une société par le biais d’un renforcement positif de ces normes par ses leaders. C’est ce qui fut au cœur du leadership de Julius Nyerere, tout comme de nombreuses autres normes éthiques qu’il a modélisées et qui ont été institutionnalisées dans le système politique de Tanzanie et sa culture politique et militaire. Les questions sur la libération, la dignité humaine, la paix et la justice ont été la clé de son éthique personnelle, a expliqué Haroub Othman, le regretté professeur de l’Université Dar Es Salaam et proche associé de Nyerere. En public et en privé, Nyerere a modélisé un mode de vie frugal, évité la richesse personnelle, et était profondément opposé à l’abus de pouvoir, a fait remarquer Othman. Nelson Mandela a écrit que, lors de sa visite en Tanzanie en 1962 pour demander une assistance militaire et l’autorisation d’ouvrir le siège du Congrès National Africain en exil (ANC) , il a été immédiatement et profondément impressionné par l’humilité de Nyerere, remarquant que le chef tanzanien conduisait lui – même dans une petite voiture et vivaient dans un logement modeste. Sur le plan international, Nyerere s’est identifié profondément à la cause de la libération. La majorité des mouvements de libération du continent avaient un siège en Tanzanie.

Les valeurs que Nyerere a modélisées ont été codifiées dans les idéaux Ujamaa (fraternité), qui a fourni une esquisse de l’organisation de l’état et l’orientation stratégique en matière de gouvernance. À la base se trouvaient plusieurs principes dont l’honnêteté dans le service public, grand intérêt pour les pauvres, le souci d’une justice sociale pour les pauvres, une bonne gestion des affaires publiques, la dignité des citoyens, et l’autonomie. L’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa explique qu’en dépit du fait que les critiques économiques de Ujamaa soient nombreuses, moins d’attention a été portée à son éthique personnelle et comment celle-ci a été inculquée dans la fonction publique et militaire. Ce fut, ajoute-t-il, particulièrement réussi et à long terme. Mkapa explique ensuite que les investissements lourds ont été réalisés dans la formation en leadership et l’éducation pour inculquer ces valeurs chez les travailleurs du secteur public. Ils ont été renforcées par Nyerere qui a a déployé énormément d’efforts pour modéliser ces valeurs dans sa conduite personnelle et professionnelle. C’est ce qui ensuite a donné le ton de la politique gouvernementale. Parmi les mesures qu’il a instituées, se trouvait un code de conduite strict à tous les niveaux de gouvernement et ses sanctions qui appliquaient toute la rigueur de la loi.

Mandela-and-Clinton-300x200Si Nyerere est considéré comme un exemple de modélisation des normes éthiques par la force de l’exemple et l’utilisation stratégique des institutions de l’État, Mandela est un exemple dans la modélisation des normes par la persuasion et la délégation. Mandela, d’après son ami et associé, Kader Asmal, avait compris que l’acceptation à long terme d’un leadership éthique serait largement tributaire de la création de normes éthiques partagées. Cette approche au leadership a été façonnée par les convictions personnelles de Mandela, ainsi que des préoccupations pratiques. Les principaux leaders de la libération de l’Afrique du Sud ont été exilés dans différents pays et sur différents continents. En Afrique du Sud, ils ont été incarcérés dans différentes prisons. Pour y remédier, le mouvement a adopté une approche moins centralisée à la création de normes que celle poursuivis par les Tanzaniens. Pour assurer le leadership depuis l’espace confiné d’une prison et en exil, Mandela et ses pairs ont beaucoup compté sur les membres pour qu’ils prennent de l’initiative au lieu d’attendre une décision centrale.

Dans le processus, une culture de « leadership collectif » et « éthique partagées » a pris racine parmi les leaders politiques et les membres de l’aile militaire de l’ANC. En outre, étant donné que l’ANC ne contrôlait pas les institutions étatiques dans lesquelles les idéaux pourraient être matérialisés comme ce fut le cas en Tanzanie, l’ANC a modélisé son éthique de leadership pendant la lutte. Cette approche a été maintenue lorsque Mandela a pris ses fonctions, de président selon son successeur, Thabo Mbeki. Lors de l’élaboration des principes généraux, il confiait les tâches quotidiennes du leadership et de la mise en œuvre aux collaborateurs plus jeunes. Dans le processus, il a contribué à créer une culture de « rajeunissement du leadership » et d’« initiative » qui est toujours intégrée dans les traditions de l’ANC. Mbeki fait remarquer que Mandela et ses collaborateurs leaders de l’ANC ont également modélisé une forte éthique personnelle. « Ils ont toujours compris la nécessité d’inspirer confiance parmi nous qui les suivions en faisant particulièrement attention à la manière dont ils se comportaient en privé comme un public. »

Effets pratiques de leadership éthique de Mandela et Nyerere

Nyerere a utilisé divers outils pour inculquer des normes éthiques, telles que le programme de service national de la jeunesse, l’académie du leadership de la fonction publique (communément appelé « Kivukoni »), et par l’ouverture d’académies militaires supérieures du pays pour les étudiants civils en vue de favoriser le partage de normes dans les secteurs civilo-militaires. La forte culture de la Tanzanie en relations civilo-militaires et le contrôle civil de l’armée sont  l’héritage de ces efforts.

Nyerere-and-Carter1-300x199Nyerere, cependant, est surtout connu pour avoir inculqué la culture du transfert pacifique du pouvoir. Il a quitté volontairement le cabinet  en 1985, au plus fort de la Guerre Froide, lorsque les États à parti unique étaient la norme. Selon le professeur Issa Shijvi, un proche collaborateur, l’ancien président a dit des collègues supérieurs : « Je suis convaincu que le besoin national pour un changement de direction est beaucoup plus important que la nécessité de mon service continu à la barre ». Nyerere « aurait pu rester sans opposition », suggère Haroub Othman, « mais a quitté ses fonction de sa propre initiative, en dépit de  contrôler entièrement l’État et  l’armée. Il a même écarté l’incertitude et la tension au sein du gouvernement et de l’armée de la perspective d’un leadership sans lui ».

L’exemple de Nyerere de démissionner du pouvoir a été suivi par tous ses successeurs et est maintenant profondément ancré dans la psyché politique tanzanienne et fortement inculquée dans les forces armées tanzaniennes. Ce n’était toutefois par un fait accompli, explique Abillah Omari. Lorsque Nyerere a quitté ses fonctions, il a été vénéré par l’armée et beaucoup craignaient que cette armée ne soit pas fidèle à un nouveau leadership. L’important test suivant est venu en 1992 avec l’introduction de la politique du multi-partisme. La nouvelle constitution exigeait la séparation de la gestion du parti au pouvoir, de l’armée, et des appareils du gouvernement – un processus qui réduit l’influence politique de l’armée et a engendré des craintes que l’armée pourrait intervenir pour protéger ses intérêts corporatistes.

Omari explique que l’éthique personnelle partagée créée au fil du temps dans l’armée a gagné et à la suite, les Tanzaniens ont épargnés du chaos qui a frappé tant d’autres pays africains lors de la conversion à la politique compétitive. « Aussi pauvres que nous puissions être, le renversement du pouvoir civil et l’abus des dispositions des limites de mandat sont simplement des tabous dans notre culture politique et nous devons remercier Nyerere pour cela » a noté Nicholas Mgaya, un leader syndical tanzanien de premier plan.

Mandela est surtout connu pour la création de ce que certains ont appelé un « culte de la réconciliation » dans la culture politique émergente de l’Afrique du Sud. Ce processus a commencé neuf ans avant sa sortie de prison quand il a décidé de « tendre la main à l’ennemi » d’explorer un terrain d’entente, explique son co-détenu, Ahmed Kathrada. Un autre ami proche, John Carlin, explique que Mandela a tenu au moins 70 réunions secrètes avec des responsables de l’apartheid pendant son emprisonnement, allant jusqu’à apprendre en autodidacte la langue afrikaans pour mieux comprendre ses adversaires. Ces mesures provisoires ont été guidée par la conviction personnelle de Mandela que les protagonistes du conflit de l’Afrique du Sud partagent un patrimoine commun en tant que Sud-Africains et que, eux seuls pouvaient y mettre fin, explique Thabo Mbeki. Mandela a noté qu’il y avait des sceptiques à chaque tour, y compris des collègues proches. Il a toutefois persisté parce que « il y a des moments où le chef doit avoir le courage moral de rompre les rangs et orienter une organisation dans une direction différente et infiniment plus bénéfique ».

Mandela est également connu pour avoir utilisé le symbolisme pour promouvoir les objectifs de réconciliation, comme par exemple, lorsqu’il a rendu visite à la veuve de l’architecte de l’apartheid, Hendrik Verwood. Un autre exemple frappant du rôle du symbolisme dans la création de norme éthique était sa tradition de laisser l’ennemi juré de l’ANC, le leader de l’opposition, le Parti de la liberté, Inkatha, Mangosuthu Buthelezi, agir en tant que président par intérim chaque fois que Mandela était absent. En effet, au mois d’octobre 1998, l’intervention militaire de l’Afrique du Sud pour renverser un coup d’État au Lesotho l’a été sous les ordres de Buthelezi dans son rôle de président. Ces ordres ont été rapidement obéis par une armée qui faisait encore l’objet d’un processus d’intégration raciale sensible ayant des difficultés à unifierles valeurs militaires après des années d’inimitié.

La principale leçon des exemples frappants de leadership éthique fournis par Mandela et Nyerere est l’importance des normes de modélisation du comportement et de la conduite au niveau de la direction supérieure. L’ancien Président tanzanien, Benjamin Mkapa, l’a bien illustré lorsqu’il a dit : « Plus que toute autre chose, l’influence et  l’intégrité morales de Nyerere à obtenir les choses dépendaient directement de son pouvoir par l’exemple ».

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