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Corruption : le frein majeur à l’efficacité de l’armée


Corruption is deadly

La corruption contribue directement à l’insécurité. Elle a un effet corrosif sur l’état de préparation et l’efficacité au combat, sapant la capacité à répondre aux menaces à la sécurité nationale.

Ainsi étaient les messages qui sont ressortis à l’issue du colloque récent organisé à Kampala sur la gestion des ressources allouées à la sécurité en Afrique qui a accueilli le Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Assis Malaquias, titulaire d’un doctorat en sciences politiques, expert principal en la matière pour le séminaire et professeur en économie de la défense et  à la gestion des ressources du secteur de la sécurité au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, aborde le problème préoccupant de la corruption pour la sécurité des pays africains dans cet interview.

Pourquoi la corruption est-elle si endémique dans le secteur de la sécurité de l’Afrique ?

En premier lieu, la corruption se manifeste dans d’autres contrées aussi, notamment dans les pays riches et de ce fait elle n’est pas confinée au continent africain. Deuxièmement, la corruption dans les opérations portant sur des sommes élevées comme les marchés publics de la défense font participer des acteurs extérieurs car les pays africains, à l’exception de certains comme l’Afrique du Sud, ne produisent pas de matériel militaire. Ceci dit, la corruption est le frein principal au développement des secteurs de la sécurité. La corruption au niveau des services de l’armée, du renseignement et de la police s’inscrit totalement dans les réseaux de favoritisme hautement établis qui existent dans tout le système politique et économique. Elle est également profondément ancrée dans le calcul de la survie d’un régime qui tend à être dirigé par une personnalité et qui ne met pas beaucoup l’accent à renforcer des institutions indépendantes du pouvoir.

Ces problèmes sont multiplies dans le secteur de la sécurité à cause des transactions financières énormes impliquées, de l’imposition du secret bancaire et des sensibilités liées à la sécurité intérieure, le tout renforçant le manque de transparence et de responsabilité. De ce fait, on assiste à un degré considérable de dysfonctionnement  dans l’armée :

  1. Les marchés d’acquisition sont souvent effectués par des canaux personnels non professionnels
  2. Les achats ne sont pas toujours en adéquation aux besoins de la sécurité nationale.
  3. Il existe beaucoup de gaspillage dans l’allocation et la gestion des ressources du secteur de la sécurité, beaucoup d’entre elles sont  canalisées à des fins personnelles ou au système de népotisme.

A cause de la mauvaise utilisation des ressources, on ne peut pas répondre aux menaces à la sécurité parce que les ressources qui y sont employées sont insuffisantes. Vient s’ajouter à ces problèmes une mauvaise planification. Dans la plupart des cas, l’état final recherché (objectifs), la méthodologie (modes d’action) et les moyens (ressources) ne sont pas en adéquation, conduisant à une situation où du matériel est acquis qui n’est pas bien adapté pour répondre aux types de menaces auxquelles l’armée s’attend à rencontrer. Les résultats finaux se traduisent par des pertes militaires, une insécurité croissante et moins de progrès.

En quoi cela se répercute sur la disponibilité opérationnelle au combat et l’efficacité des forces armées ?

Les forces armées sont de plus en plus conscientes des répercussions que la corruption et la mauvaise gestion en général ont sur les résultats des combats menés. Le président Mohammadu Buhari du Nigéria, par exemple, a consacré peu de temps à affronter de front cette problématique. Les pertes, humaines et matérielles, importantes que l’armée nigérienne a subies dans la lutte contre Boko Haram ont été la sonnette d’alarme. Le problème n’était pas un manque de ressources. Le Nigéria dépense $6 milliards par an de ses propres deniers sur la défense, l’un des plus gros budgets alloués à la défense en Afrique. De ce chiffre, cependant, seulement un dixième a été pour le matériel. La plus grosse partie de ces fonds sont allés aux éléments d’état-major et une somme considérable à des fins personnelles. Les $600 millions alloués au matériel ont été mal utilisés. Le Nigéria a acheté des armes mieux adaptées à une guerre classique plutôt qu’à des objectifs anti-insurrectionnels. Ceci témoigne de ce que j’ai annoncé plus tôt concernant une mauvaise planification. Les ressources ne sont pas seulement mal utilisées mais elles sont aussi inadaptées aux menaces. De ce fait, le dispositif de défense devient de lui-même défaillant.

Ces problèmes ne sont aucunement uniques au Nigéria. Au Sud-Soudan, l’échec de l’armée à réprimer les insurrections menées par différents groups, la plupart desquels moins armés, a été le résultat fonctionnel d’une mauvaise gestion et de la mauvaise utilisation des ressources. Son effondrement quasi total en 2014, lorsque trois de ses 10 divisions ont rejoint le côté de la rébellion, a souligné des années de négligence sur l’importance à développer la cohésion, le commandement et le contrôle professionnels et une bonne gestion. L’enseignement à tirer est clair : lorsque le professionnalisme de l’armée est ignoré et lorsque les armées deviennent des institutions au sein desquelles les loyautés politiques et personnelles (voire même ethniques ou religieuses) s’installent et que les pots-de-vin deviennent le fondement aux promotions, les inefficiences tant au niveau opérationnel que stratégique s’enracinent.

What needs to be done?

Les problèmes engendrés par la corruption et la mauvaise gestion  des ressources dans le secteur de la sécurité doivent être analysés d’un point de vue opérationnel et stratégique et pas simplement comme des points de débat alimentant la discussion dans les séminaires. Pareillement, les Etats africains et leurs partenaires étrangers ne doivent pas écarter ces problèmes comme étant simplement irritants dans l’intérêt de maintenir de bonnes relations. Les deux côtés doivent comprendre qu’il existe des coûts opérationnels très sérieux et sur le long terme à ne pas s’attaquer de front à lutter contre la corruption. Les priorités suivantes s’imposent:

  1. Combattre les pratiques douteuses dans la planification budgétaire et la passation des marchés publics.
  2. Développer les compétences et les qualifications appropriées destinées à la planification budgétaire et à l’allocation des ressources.
  3. Renforcer la volonté politique au niveau décisionnel. Les secteurs de la sécurité ont  profondément ancrés les intérêts politiques. Il est impératif que les hauts responsables africains comprennent que la sécurité de leur état et, par extension, de leur gouvernance puisse être mieux assurée avec des services de sécurité plus professionnels et des pratiques saines de gestion.
  4. Dernièrement, utiliser les ressources existantes. Dans la plupart des cas, l’argent n’est pas le problème. Le réel problème réside dans le gaspillage, les irrégularités de gestion et les abus. Tous ces problèmes sont sérieux mais ne sont pas insurmontables.

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