Bulletin de la sécurité africaine N° 28

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Braconnage des espèces sauvages : Nouveau trafic, nouvelle menace en Afrique

Par Bradley Anderson et Johan Jooste

28 avril 2014


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Résumé

Une demande forte en hausse pour l’ivoire et pour la corne de rhinocéros, surtout en Asie, met les éléphants sauvages africains et les rhinocéros en grave danger d’extinction. Non seulement une tragédie environnementale, le braconnage et trafic d’espèces sauvages ont aggravé d’autres menaces à la sécurité et ont entrainé la cooptation de certaines unités de sécurité africaines. Les états africains devraient développer un large éventail de capacités de détection et de répression pour s’attaquer à ce problème qui est devenu effectivement un défi transnational. Les partenaires asiatiques et d’autres pays devraient entre temps s’engager à réduire la demande pour les produits de la faune sauvage.

Two white rhinos (Photo: Karl Stromayer)

Points Saillants

  • L’envolée des prix de l’ivoire et de la corne de rhinocéros ont entraîné une montée en flèche de l’abattage des éléphants et des rhinocéros en Afrique. Sans la mise en place urgente de mesures correctives, l’extinction de ces populations est probable.
  • Il ne s’agit pas uniquement d’un problème de braconnage des espèces sauvages, mais aussi d’un réseau international de trafic illégal qui renforce les groupes violents et corrompt certains éléments du secteur de la sécurité en Afrique.
  • Il faut apporter un soutien immédiat au réseau africain des gardes forestiers pour ralentir la fréquence des abattages d’éléphants et de rhinocéros et gagner du temps. Pour faire face à cette menace à long terme, il faudra fortement réduire la demande de ces organes d’animaux, surtout sur les marchés asiatiques.

« Je condamne le braconnage et je condamne ceux qui entraînent les jeunes à aller chasser, car les animaux qu’ils abattent ne leur sont pas destinés … Ils sont tués sur les ordres des puissants … Quelqu’un gagne beaucoup d’argent (de la chasse), mais ceux qui périssent sont souvent des jeunes qui s’y livrent en toute innocence, en pensant que cela leur donnera une vie facile, de l’argent facile, mais ils y laissent leur vie. »

Joaquim Chissano, ancien président du Mozambique et fondateur de l’Initiative de préservation des espèces sauvages de la Fondation Joaquim Chissano au Mozambique

Un marché noir de plusieurs centaines de millions de dollars actuellement en explosion alimente la corruption dans les ports, les bureaux douaniers et les forces de sécurité en Afrique, fournissant de nouveaux revenus aux groupes d’insurgés et aux réseaux criminels de l’ensemble du continent. Mais plus que les stupéfiants, les armes légères et les autres trafics courants de marchandises, ce sont les nouveaux records enregistrés du nombre d’éléphants et de rhinocéros braconnés qui sont le moteur de ce cycle d’exploitation et d’instabilité.

Le braconnage n’est certes par un problème récent en Afrique. Cependant, son accélération rapide depuis la fin des années 2000 a fortement modifié ses conséquences. Selon certaines estimations, le nombre d’éléphants tués tous les ans en Afrique a plus que doublé depuis 2007 pour atteindre 30 000.1 Cette tendance a franchi un seuil effroyable en 2010 quand la fréquence des abattages a dépassé le rythme de reproduction des éléphants, ce qui signifie qu’une baisse sensible de la population a débuté. Le braconnage des rhinocéros a également explosé. Entre 2000 et 2007, les abattages illégaux en Afrique australe étaient rares — souvent moins de dix par an. L’explosion des taux de braconnage a débuté en 2008. En l’espace de cinq ans, 1 004 rhinocéros avaient été braconnés rien qu’en Afrique du Sud.

L’envolée des prix de l’ivoire et de la corne de rhinocéros à l’échelle mondiale alimente cette frénésie du braconnage. En 2003, l’ivoire de haute qualité se vendait environ 200 dollars US. le kilo. Dix ans plus tard, il allait chercher dans les 2 500 à 3 000 dollars sur le marché noir. L’essor des prix de la corne de rhinocéros est encore plus important. Alors que, dans les années 90, elle coûtait environ 800 dollars É.-U. le kilo, elle est aujourd’hui plus précieuse que l’or, atteignant selon certain rapports le prix de 65 000 dollars US le kilo en 2013. Les cornes des 1 004 rhinocéros abattus en Afrique du Sud pourraient donc valoir 440 millions de dollars É.-U. Des prix si élevés, qui dépassent ceux de la cocaïne et de l’héroïne dans certains pays, pèsent sur cette espèce déjà fortement menacée. Cette tendance a même vu se multiplier les vols dans certains musées et salles de ventes qui exposent de l’ivoire ou de la corne.

Dream of the Red Chamber arm rest. (Photo: Daderot)

Photo: Daderot.

La principale raison de cette hausse des prix est l’augmentation du nombre de consommateurs des classes moyennes et supérieures en Asie. Alors qu’ils étaient auparavant considérés comme des objets de décoration, tels que des bijoux ou des objets d’art taillés ou des bustes sur socle, l’ivoire et la corne sont devenus des symboles recherchés de statut et de richesse. Un sondage mené auprès de professionnels chinois issus de la classe moyenne a révélé que 87 % d’entre eux associaient ivoire et « prestige », et que 84 % souhaitaient en acquérir.2

Autre moteur de la demande de corne de rhinocéros : la croyance, en Asie, qu’elle a de puissantes vertus médicales, notamment le fait qu’elle peut guérir du cancer. Si de tels mythes expliquent l’explosion de la demande, les consommateurs paient cependant sûrement trop. En effet, la corne de rhinocéros n’est que de la kératine, protéine fibreuse, substance inerte dont la composition ressemble à celle des ongles et des cheveux de l’homme.

Certaines conséquences du trafic d’espèces sauvages sont claires. Ce dernier constitue une grave menace pour la conservation et la biodiversité de manière générale. Le braconnage a ainsi conduit à la quasi-extinction de certaines sous-espèces, dont la disparition des rhinocéros du Mozambique en 2012. Les safaris et le tourisme représentent d’énormes sources de devises pour les pays africains — plus d’un milliard de dollars par an pour le Kenya. Ces revenus seront gravement mis à mal au fur et à mesure que les touristes découvriront non seulement moins d’animaux, mais aussi plus de criminalité dans les parcs et réserves d’animaux. Le braconnage menace également ces icônes africaines.

Par ailleurs, l’explosion du trafic des espèces sauvages pose d’importantes menaces, peut-être moins évidentes, en matière de sécurité. En effet, divers réseaux criminels et autres milices ont été attirés par les gigantesques bénéfices qu’il génère. D’anciens membres de l’Armée de résistance du Seigneur ont signalé que ce groupe procède au trafic de l’ivoire avec des hommes d’affaires arabes et des officiers de l’armée soudanaise en échange de liquidités, d’aliments, d’armes et de fournitures médicales. Certains militants soudanais ont été tenus responsables pour des incidents impliquant des centaines d’éléphants tués dans les parcs d’animaux camerounais. La Séléka, milice rebelle qui a renversé l’État centrafricain début 2013 et dont la brutalité envers la population a déclenché des conflits communautaires dans l’ensemble du pays, aurait braconné des éléphants dans les réserves du pays. Al-Shabaab, groupe militant islamiste somalien, a quant à lui également perçu des centaines de milliers de dollars, sinon davantage, en encourageant des villageois kenyans à braconner de l’ivoire, qui est ensuite illicitement exporté depuis les ports somaliens.3

« L’explosion du trafic des espèces sauvages constitue d’importantes menaces … en matière de sécurité. »

Pendant ce temps, le commerce de la corne de rhinocéros a vu naître de nouveaux liens entre les réseaux du crime organisé tristement célèbres d’Asie et d’Europe de l’Est et ceux d’Afrique. L’usage d’armements ultrapuissants et d’équipements tactiques sophistiqués par certains braconniers démontre les capacités et moyens financiers de ces groupes, et le danger qu’ils représentent. Des dizaines de gardes forestiers sont tués chaque année en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya et ailleurs. Lors d’une embuscade au Tchad en 2012, toute une équipe de gardes forestiers a été massacrée par des braconniers.

Par ailleurs, les bénéfices de tels trafics ont alimenté la corruption, affaiblissant les institutions publiques clés telles que la police et l’armée, et s’assurant leurs services. En Afrique du Sud, certaines preuves ont révélé l’existence de liens entre d’anciens membres d’unités d’élite de la police et de l’armée et des trafiquants de corne de rhinocéros.4 En RDC, des scientifiques et responsables de parcs naturels ont signalé que des soldats ougandais avaient tué au moins 22 éléphants et obtenu plus d’un million de dollars d’ivoire au cours d’une opération de ratissage transfrontalier en mars 2012.5 D’autres rapports ont impliqué des soldats et unités des forces armées de RDC, du Soudan et du Soudan du Sud. Les bénéfices importants et les risques faibles du trafic d’espèces sauvages pourraient donc alimenter un sentiment d’impunité au sein du secteur de la sécurité en Afrique qui continuera de saper son professionnalisme et de déclencher une série d’autres activités illégales et abusives.

Bien que l’on ne puisse qu’estimer l’importance de cette nouvelle montée en flèche du trafic, il ne s’agit cependant plus uniquement d’une question de conservation. Alors que des dizaines de pays africains sont aujourd’hui touchés par l’intensification de la demande de ces produits, ce trafic est devenu une grave menace dans toute la région.

Le défi du braconnage : cas du parc national Kruger

Kruger National Park

Photo: Anagoria.

L’Afrique du Sud abrite plus de 70 % de la population de rhinocéros du monde, dont 90 % des 20 000 rhinocéros blancs d’Afrique et 40 % des rhinocéros noirs, extrêmement rares. On trouve la majorité de ces animaux dans le parc national Kruger (PNK), en Afrique du Sud. D’une superficie de 2 millions d’hectares, le PNK a à peu près la taille d’Israël. Il partage une frontière de 356 kilomètres avec les monts Lebombo du Mozambique.

Même dans les meilleurs des cas, patrouiller et surveiller cette région constitue une opération onéreuse et ardue. Mais aujourd’hui, comme de nombreuses autres réserves naturelles, le parc est inondé de braconniers armés en nombre toujours plus important, la plupart du temps guère formés. Cependant, ils opèrent souvent en formations sophistiquées de manière à échapper à toute détection et à chasser leurs proies en toute efficacité. Certains sont armés de fusils automatiques et travaillent de nuit. Quel que soit leur niveau de sophistication, leur simple nombre est suffisant pour submerger les agences de gestion des espèces sauvages et les gardes forestiers, même dans un pays disposant de moyens relativement suffisants comme l’Afrique du Sud. En 2013, rien que dans le PNK, 86 braconniers ont été arrêtés et 47 sont morts au cours d’échauffourées avec les autorités sud-africaines.

Le soutien et la complicité de certaines communautés locales, qui grossissent les équipes de braconniers ou ferment simplement les yeux sur les chasses illégales qu’ils mènent, compliquent encore les efforts de lutte contre le braconnage. Les études menées dans les villes de la région de Kruger ont révélé que seulement 16 % des sondés connaissaient des braconniers dans leurs communautés. Pour la plupart, les sondés considéraient le braconnage comme une menace et 68 % indiquaient qu’ils seraient disposés à identifier les contrevenants en échange d’une protection et de l’emprisonnement des braconniers. Cependant, nombre d’entre eux, même parmi les leaders communautaires, choisissaient de se taire par crainte de représailles. Certains sondés étaient d’avis que la police et les gardes forestiers s’impliquaient directement dans le braconnage.6 D’autres dynamiques semblables se retrouvent dans d’autres points névralgiques du braconnage en Afrique.

En 2012, le ministère sud-africain des Affaires environnementales a augmenté le nombre de gardes forestiers déployés à Kruger de 500 à 650. Les structures de commandement ont été rationalisées et des analyses de services de renseignements commanditées auprès d’unités spécialisées pour améliorer les délais de réaction contre les braconniers dont les opérations sont plus sophistiquées et plus mobiles. Des moyens aériens améliorés, des brigades canines et plusieurs améliorations en matière d’opérations nocturnes ont également permis d’obtenir de meilleurs résultats. Par ailleurs, la coopération avec l’armée, l’armée de l’air et la police sud-africaines a également été améliorée et institutionnalisée. Des programmes communautaires ont été lancés pour éduquer les populations et encourager la coopération locale.

Si d’importants défis persistent pour renverser les tendances en matière de braconnage, ces premiers efforts portent leurs fruits. Bien que les chiffres du braconnage à Kruger aient continué d’augmenter, le rythme est 22 % inférieur aux projections. Le nombre annuel d’arrestations de braconniers a également doublé.

En parallèle, des projets transfrontaliers conjoints avec les autorités mozambicaines sont en cours de préparation, ainsi que des efforts d’atténuation de l’attrait généré par les cornes de rhinocéros par coloration, retrait ou tout autre type de modification qui complique les activités de braconnage (sans toutefois porter préjudice aux animaux). Ces initiatives représentent une nouvelle approche de lutte contre le braconnage censée compléter le travail des unités de gardes forestiers traditionnelles au moyen de la technologie, d’un engagement au niveau local et de la collaboration aux niveaux interministériel et international.

Le défi du trafic

La plupart des braconniers ne sont pas également trafiquants. Lorsque l’ivoire ou la corne de rhinocéros quitte les parcs et les réserves d’Afrique, il est en général vendu ou transféré aux réseaux criminels. Ces agents et intermédiaires font passer les frontières aux marchandises et se chargent du blanchiment des revenus générés. Sous bien des aspects donc, ces activités sont très semblables au trafic de drogue, d’armes ou de minerais. En fait, les prix élevés de l’ivoire et de la corne de rhinocéros sont attractifs aux yeux des spécialistes de ces réseaux transnationaux de crime organisé.

Les revenus sont variables, mais un braconnier peut ne recevoir que 600 dollars US par défense d’ivoire ou corne de rhinocéros. En revanche, le trafiquant obtiendra une part beaucoup plus importante des 3 000 dollars US par kilo pour l’ivoire et des 65 000 dollars US par kilo pour la corne de rhinocéros en Asie, surtout s’il parvient à revendre la marchandise vers la fin du processus de transaction au détail.

Les trafiquants doivent concocter un moyen de dissimuler les cargaisons d’ivoire ou de corne, la plupart du temps à l’intérieur d’un convoi de marchandises légales exportées vers une destination quelconque par l’intermédiaire d’une société de façade, souvent dans un conteneur et parfois par fret aérien ou vol commercial. Les douaniers ou responsables peuvent se voir proposer des pots-de-vin en échange de l’approbation ou de la certification des transactions et de la documentation. Les quantités saisies semblent indiquer que Mombasa et Dar es Salam seraient les principaux points de départ en Afrique, mais les trafiquants empruntent également des itinéraires non directs ou changent de points de sortie et de réentrée pour éviter de se faire repérer (voir cartes).

Source: Riccardo Pravettoni, GRID-Arendal.

Rares ont été les captures de trafiquants de niveau intermédiaire et de gros trafiquants. La grande majorité des arrestations se fait au niveau des petits braconniers. L’une des grandes figures à avoir été condamnées est un trafiquant thaïlandais du nom de Chumlong Lemtongthai, qui travaillait pour diverses entreprises thaïlandaises et laotiennes et effectuait souvent de longs séjours en Afrique du Sud. Il est parvenu à braconner des dizaines de cornes de rhinocéros et les faire sortir du pays. Astucieux, il exploitait en réalité les lacunes des législations sur la chasse pour opérer de manière beaucoup plus ouverte qu’un grand nombre d’autres braconniers. Il employait des groupes de prostituées thaïlandaises, dont certaines travaillaient à Johannesburg alors que d’autres venaient d’Asie par avion, pour obtenir des permis en Afrique du Sud donnant au titulaire le droit de chasser un rhinocéros par an. En fait, son réseau de chasseurs a, avec ces permis, abattu des dizaines de rhinocéros. Pour s’assurer que ses chasses n’attirent pas l’attention, Lemtongthai délivrait des pots-de-vin à certains responsables provinciaux et directeurs de parcs ainsi qu’à des propriétaires de réserves et de parcs d’animaux sauvages en Afrique du Sud.7

Lemtongthai s’acquittait généralement de ses nombreux dédommagements en faisant plusieurs retraits de liquide à partir de distributeurs de billets dans des casinos ou par virements bancaires à partir d’un compte domicilié dans une banque de Bangkok. Il modifiait ensuite les documents officiels pour réadresser les envois de corne de rhinocéros à ses sociétés basées en Asie du SudEst plutôt qu’aux adresses enregistrées pour les supposés chasseurs (c’est-à-dire les prostituées).8 En novembre 2012, il a plaidé coupable aux accusations de violation des réglementations douanières sud-africaines et de chasse illégale contre des espèces protégées. Les accusations de blanchiment d’argent ont été retirées, ainsi que les accusations portées contre trois Sud-Africains et deux Asiatiques accusés avec lui. Son patron au Laos, Vixay Keovasang, n’a pas été inculpé et continuerait son trafic d’espèces sauvages, bien qu’en novembre 2013, les États-Unis aient annoncé une récompense d’un million de dollars pour toute information concernant ses activités. Certains rapports laissent entendre que Keovasang bénéficierait d’une protection considérable de la part de responsables publics au Laos.9

La corruption représente également un problème. Le directeur fondateur du Kenya Wildlife Service (KWS, Service de la faune et de la flore du Kenya) a déclaré que de puissants individus qui profitent du braconnage s’étaient assuré les services de certains de ses responsables. Des responsables du ministère tanzanien des Ressources naturelles et du Tourisme ont été licenciés pour leur implication dans le trafic d’animaux sauvages. Même le secrétaire général du Chama cha Mapinduzi, parti politique tanzanien au pouvoir, a dû se défendre d’accusations selon lesquelles il avait un intérêt dans une société de transport impliquée dans le trafic d’ivoire.10

En général, les réseaux de trafiquants continuent d’opérer sans grandes craintes des conséquences de leurs actes. En effet, dans de nombreux pays de la ligne de front comme le Gabon et le Mozambique, les délits liés aux espèces sauvages sont mineurs et sanctionnés par des amendes relativement basses. Par ailleurs, certains pays tels que le Zimbabwe disposent de lois contre le braconnage, mais pas contre le trafic, laissant donc dans l’ensemble les agents et les gros trafiquants libres de s’occuper de l’essentiel de ce commerce.

En outre, le contenu des législations relatives aux espèces sauvages ne constitue qu’une partie du problème. L’application de peines même relativement indulgentes est inégale en Afrique. Au cours de son examen de près de 750 affaires relatives à des délits liés aux espèces sauvages au Kenya entre 2008 et 2013, un groupe indépendant de conservation kenyan a découvert que 70 % des dossiers avaient été perdus ou égarés, signe non seulement de mauvaise gestion, mais aussi certainement de falsification et de corruption. Sur les 224 contrevenants pour lesquels il existait des condamnations enregistrées, seuls 8 sont allés en prison, la grande majorité des autres s’en tirant avec de petites amendes. Dans de nombreux cas, des accusations liées au crime organisé, au blanchiment d’argent ou à des infractions avec armes à feu étaient possibles, mais les procureurs ne les prononçaient que rarement. Les grandes saisies de marchandises issues d’espèces sauvages dans le port de Mombasa ou la ville de Wajir près de la frontière somalienne ne donnaient jamais lieu à des poursuites.11

À partir de 2014, le Kenya a mis en place une nouvelle législation visant à imposer des peines plus lourdes pour le trafic d’espèces sauvages. Peu de temps après, un ressortissant chinois a été condamné pour avoir tenté de passer 3,4 kilogrammes d’ivoire en contrebande et s’est vu ordonné de payer une amende de 233 000 dollars US sous peine de recevoir une peine de 7 ans de prison. D’autres pays, comme le Gabon, le Mozambique et la Tanzanie, préparent également des lois avec des peines plus sévères. Cependant, une dissuasion efficace nécessitera non seulement des peines plus sévères mais aussi une application systématique de la loi.

Protéger les espèces sauvages d’Afrique

Endiguer l’explosion de la demande

Bien que le marché des marchandises issues d’espèces animales sauvages soit international, y compris aux États-Unis et en Europe, c’est l’augmentation du nombre de consommateurs des classes moyenne et supérieure d’Asie qui a alimenté la flambée exponentielle des prix de l’ivoire et de la corne de rhinocéros. Tant que ce commerce reste si lucratif, certains braconniers et trafiquants continueront inévitablement de tenter d’exploiter les trésors que constituent les espèces sauvages d’Afrique. Par conséquent, relever le défi du trafic de celles-ci consiste en fin de compte à réduire la demande.

De nombreux consommateurs asiatiques comprennent en fait mal l’origine ou la légalité de l’ivoire. Les précédentes études ont révélé que70 % des sondés chinois n’avaient pas conscience du fait que les défenses viennent en grande partie d’éléphants morts.12 Les consommateurs semblent tout aussi sous-informés concernant le commerce de la corne de rhinocéros.13 Peu de Chinois comprennent le rôle joué par les réseaux criminels qui fournissent ces produits.14 Cependant, en Asie, la demande d’ivoire semble fortement influencée par les politiques et les déclarations des autorités publiques. En effet, environ 60 % des consommateurs chinois interrogés affirment que des recommandations de la part des dirigeants publics les invitant à s’abstenir d’acheter de l’ivoire ou des interdictions pures et simples constitueraient des mesures suffisantes pour les persuader d’y renoncer. Environ 40 % ont également indiqué que leur consommation avait été touchée par un remords lorsqu’ils avaient appris que des éléphants étaient tués pour alimenter la demande en ivoire.

Pour complètement transformer la demande de corne de rhinocéros et d’ivoire illégaux, il est nécessaire de mener une campagne très médiatisée de sensibilisation et d’éducation du public asiatique. L’expérience montre qu’un impact significatif peut être atteint. Ainsi, la forte demande de soupe d’aileron de requin a été sensiblement réduite par le biais d’un marketing social efficace. En associant judicieusement militants fortement médiatisés, messages percutants et engagement cohérent, l’on pourra peut-être atteindre un succès similaire sur les marchés de l’ivoire et de la corne de rhinocéros.

Une attention plus importante doit être accordée aux États asiatiques, qui ont fait preuve d’un manque de réactivité vis-à-vis du problème. Par exemple, en Chine, des responsables publics ont ouvertement appelé à étendre le marché légal de l’ivoire.15 Une telle position ignore le besoin de contenir la demande et encourage les activités déstabilisatrices du crime organisé et du braconnage en Afrique. Les États asiatiques devraient donc soutenir l’interdiction des ventes d’ivoire et décourager plus activement les achats de produits en ivoire ou en corne de rhinocéros par leurs ressortissants. Cela serait également rendre service aux nombreux consommateurs asiatiques qui gaspillent des milliers ou des dizaines de milliers de dollars en produits issus d’espèces sauvages pour leurs vertus médicinales fallacieuses.

Renforcer les lignes de front

Si la réduction du trafic d’espèces sauvages dépend d’une transformation de la demande, il reste cependant essentiel d’investir dans des acteurs de terrain pour ralentir le rythme auquel les populations d’éléphants et de rhinocéros d’Afrique sont décimées, ce qui permettra d’acheter un temps précieux. La plupart des États africains disposent déjà d’équipes de gardes forestiers dédiées et expérimentées. Cependant, l’augmentation exponentielle du nombre de braconniers, surtout sophistiqués et bien armés, appelle à la mise en place de réformes et à l’affectation de meilleures ressources. Comme dans le parc national de Kruger en Afrique du Sud, la structure commande-contrôle de ces gardes forestiers devra être révisée pour permettre une diffusion rapide des informations à un poste central de commande à même de redéployer et de rediriger ses unités rapidement en fonction des besoins.

La fourniture de nouveau matériel sera également cruciale pour améliorer la mobilité et la connaissance du terrain des gardes forestiers. De petits avions, hélicoptères et drones ont permis d’atteindre des résultats intéressants dans plusieurs réserves du Tchad, du Kenya et d’Afrique du Sud. L’informatique peut également apporter d’autres avantages. Ainsi, au Kenya, une réserve a installé des déclics sur les barrières et implanté des trackers dans les éléphants pour prévenir les gardes forestiers par SMS lorsque le périmètre de sécurité est compromis ou le comportement des animaux est anormal. La technologie sera également essentielle pour le lourd travail de tenue des registres nécessaire à l’analyse des déploiements des gardes forestiers, des modes de braconnage et des données biométriques et médicolégales sur les dépouilles des animaux sauvages.

Toutefois, la technologie ne doit pas éclipser le besoin de gardes forestiers bien formés et bien dotés en ressources. Le nombre d’hélicoptères ou de gadgets aussi sophistiqués soient-ils ne peut remplacer l’efficacité d’un garde forestier expert de la brousse, capable de repérer les signes d’intrus passés facilement inaperçus, de travailler pendant des jours, voire des semaines, sans avoir besoin de se réapprovisionner, et de mettre sa vie en danger. Les nouvelles unités extrêmement bien formées en Afrique du Sud et au Mozambique constituent à ce niveau des modèles qui peuvent être reproduits dans le reste du continent.

Engager la communauté

Les communautés africaines en bordure des parcs et réserves vivent au cœur même de cette intensification de la crise du braconnage et seront la clé de son endiguement.

« Les réseaux de trafic continuent d’opérer sans grandes craintes des conséquences de leurs actes. »

Par exemple, en Namibie, l’engagement communautaire a évité l’explosion du braconnage auquel on assiste dans d’autres pays. Ainsi, en cas de braconnage, dénonciations et partage d’informations mènent à des arrestations et des poursuites rapides.16 L’institutionnalisation de la collaboration entre les scientifiques, les communautés locales, le secteur du tourisme et les agences publiques pertinentes a été essentielle au succès de la Namibie en la matière. Par le biais de plusieurs fonds de conservation, des scientifiques ont, pendant les années 80, travaillé des années avec des leaders traditionnels pour mieux leur faire comprendre les conséquences négatives du braconnage. Prenant conscience de la menace pour la biodiversité que constitue l’excès de chasse, des dirigeants locaux ont aidé à choisir des gardes-chasse communautaires, individus honnêtes et respectés par la communauté sélectionnés pour être formés à suivre les animaux et à servir de liaison avec les communautés pour identifier les contrevenants en cas de découverte d’animaux braconnés. Les communautés et les dirigeants locaux ont donc été essentiels à la prise de nombreuses décisions en matière de conservation et d’aménagement du territoire. Ces dirigeants assistaient aux audiences et procès des braconniers présumés, aidaient à déterminer les endroits à réserver au pâturage du bétail et à la chasse légale et travaillaient avec les voyagistes pour créer des emplois et générer des revenus.17

Les « commissions de conservation communautaires » opèrent donc désormais dans un cinquième du territoire namibien, avec des avantages clairs en matière de conservation et de tourisme. En 1980, il y avait moins de 300 rhinocéros noirs dans le pays ; aujourd’hui, leur nombre est passé à plus de 1 700. La population d’éléphants quant à elle a triplé, atteignant le nombre de 20 000.

D’autres initiatives similaires en matière d’engagement communautaire devraient constituer une priorité de premier plan pour d’autres agences africaines de gestion des espèces sauvages. Au minimum, les autorités publiques devraient éviter les sentiments de colère et de résistance, inévitables, de la part des communautés locales, causés par l’agressivité des déploiements militaires de type « tirer pour tuer » qui manquent souvent de l’expertise technique nécessaire dans les efforts de lutte contre le braconnage. En Tanzanie, les unités de l’armée et de lutte contre le braconnage ont joui d’une grande liberté au cours des déploiements d’urgence de 2013. Peu de temps après, des meurtres, des viols et d’autres violations ont été signalés et l’on a mis un terme à l’initiative plus tôt que prévu.18

Renforcer les enquêtes et les poursuites

La crise des espèces sauvages en Afrique ne représente pas seulement un défi en matière de braconnage ; elle implique des réseaux criminels sophistiqués qui emploient des techniques poussées en termes de trafic. Pour saper cette composante crime organisé au sein du commerce illicite d’espèces sauvages, il faudra prendre des mesures concernant l’application de la loi et les poursuites judiciaires propres à combattre ces réseaux illégaux.

Il est donc nécessaire de mettre en place des échanges institutionnels plus solides avec les agences de gestion des espèces sauvages, de sorte que la police et les douaniers connaissent les produits concernés et soient à l’affut de signes révélateurs de cargaisons suspectes. La collecte minutieuse de preuves médicolégales sur les prises dans les ports et aéroports est tout aussi essentielle pour établir des liens entre les cargaisons illégales et les réseaux criminels de manière plus générale et permettre d’éventuelles poursuites.19

Fin 2010, le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC, International Consortium on Combating Wildlife Crime) a été mis en place pour faciliter ces liens et la formation en techniques de pointe. Il a mis en place, par exemple, une formation sur site pour les responsables de plusieurs pays asiatiques et africains sur la population de rhinocéros et l’usage d’une base de données sur l’ADN de ces animaux. Cette base de données ainsi que d’autres du même type pour l’ADN d’éléphants sont essentielles pour cartographier les modes de trafic et démanteler les réseaux transnationaux.

Les unités d’enquête criminelle doivent cibler les réseaux de trafic d’espèces sauvages afin d’identifier les cerveaux des grandes activités illégales qui ont tendance à se tenir à l’écart des actes de braconnage et de contrebande sur le terrain. Pour ce faire, des examens plus minutieux des transactions commerciales et financières qui facilitent le trafic de ces marchandises seront nécessaires, et pour cela, la coopération avec les autorités fiscales et les registres des sociétés et de propriétés devra être améliorée, et les bases de données contenant ces informations, modernisées et plus accessibles. Les cellules de renseignement financier seront essentielles pour « suivre l’argent » blanchi pour les transactions liées aux espèces sauvages. Fort heureusement, la « Compilation d’outils pour l’analyse de la criminalité liée aux espèces sauvages et aux forêts », conçue conjointement par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et plusieurs organisations non gouvernementales pour la défense des espèces sauvages de haut niveau, détaille les techniques d’enquête et la coopération interministérielle nécessaires pour lutter contre le trafic d’espèces sauvages. En outre, la mise en place de groupes de travail interministériels pourrait accorder davantage de priorité à la création de contremesures déterminées englobant plusieurs autorités au niveau ministériel.

« En cas de crimes en la matière, les amendes devraient au minimum dépasser la valeur des marchandises issues des espèces sauvages saisies auprès des contrevenants. »

Il est également crucial de renforcer les sanctions en cas de délits liés aux espèces sauvages de manière à lutter contre le commerce illégal. En cas de crimes en la matière, les amendes devraient au minimum dépasser la valeur des marchandises issues des espèces sauvages saisies auprès des contrevenants. De même, la mise en liberté sous caution ne devrait pas être possible pour les individus impliqués dans les saisies importantes car il y a de fortes chances pour qu’ils aient les moyens de payer la caution et tout intérêt à tenter de disparaître ensuite. Étant donné les implications économiques et en matière de sécurité de l’expansion du commerce illégal d’espèces sauvages, des peines de prison importantes doivent être prévues pour les contrevenants et les juges doivent éviter de considérer que ces crimes constituent des délits mineurs.

La mise en place de nouvelles sanctions nécessitera également davantage de formation et de ressources pour les juges, les procureurs, les policiers et les responsables des espèces sauvages. Vu la montée des prix de l’ivoire et de la corne de rhinocéros, les tribunaux risquent fort d’assister à un volume important d’affaires liées à ces problèmes. Comme dans les affaires de drogue ou de corruption, des procédures spéciales et des tribunaux à procédure accélérée pourraient être nécessaires pour assurer des procès rapides qui n’aboutissent pas à des non-lieux pour cause de retard ou de points de procédure. Par ailleurs, les policiers et les procureurs devraient penser aux crimes commis dans le cadre du braconnage et du trafic d’espèces sauvages en termes plus généraux et appliquer les lois relatives aux crimes économiques, au crime organisé, aux infractions avec armes à feu et aux autres accusations pertinentes. L’usage stratégique de négociations entre l’accusation et la défense et l’indulgence à l’encontre de petits contrevenants pourrait aussi servir à monter les dossiers contre les gros agents et financiers.

Malheureusement, la corruption de plus en plus importante associée au commerce lucratif des espèces sauvages compromet gravement les efforts pour le combattre. Les institutions publiques chargées de lutter contre les groupes armés et le crime organisé, notamment certains éléments de l’armée, de la police, des douanes et même de la classe politique, ont été impliqués dans ce trafic. Les hommes d’État et les dirigeants politiques africains doivent attirer l’attention sur ces questions de cooptation et mettre en place les mesures de contrôle qui s’imposent pour les prévenir. Il faut demander aux bureaux des affaires intérieures des services de sécurité africains d’enquêter sur ce trafic et améliorer les possibilités de dénonciation des dysfonctionnements, ainsi que les protections accordées aux personnes qui s’en chargent. Ainsi, une nouvelle initiative en ligne protégée du nom de WildLeaks (www.wildleaks.org/) a été lancée au mois de février 2014. Elle met en relation dénonciateurs et journalistes d’enquête et pourrait démontrer dans quelle mesure la technologie peut créer davantage d’opportunités de mettre en lumière la corruption qui facilite ce trafic, en toute sécurité. Le commerce des espèces sauvages doit également figurer à l’ordre du jour des commissions de lutte contre la corruption, qui doivent étudier les déclarations de patrimoine et de renseignements financiers des responsables publics à la recherche de liens avec des activités de trafic éventuelles.

« La corruption de plus en plus importante associée au commerce lucratif des espèces sauvages compromettent gravement les efforts pour le combattre. »

Le Réseau d’ONG d’application de la loi faunique en Afrique du Centre et de l’Ouest montre comment des organisations non gouvernementales (ONG) locales peuvent dynamiser de manière constructive la lutte contre le trafic d’espèces sauvages et la corruption qui y est associée. Lancé par une ONG camerounaise de défense des espèces sauvages, LAGA (Last Great Ape Organization, Organisation de défense des derniers grands singes), il rassemble maintenant des affiliés et des partenaires qui travaillent en République centrafricaine, au Gabon, en Guinée, en République du Congo et au Togo. Ensemble, ces groupes suivent régulièrement les modes de trafic des espèces sauvages, travaillent avec les autorités sur des enquêtes spécifiques, suivent les poursuites judiciaires et se font l’interlocuteur des ministères publics en matière de réforme des politiques et d’amélioration de leur mise en œuvre. La lutte contre la corruption constitue une priorité clé pour le réseau en se basant sur de grandes coalitions interministérielles et en suivant de près les différentes affaires, depuis l’enquête jusqu’à la condamnation, de manière à limiter les possibilités pour les responsables corrompus de perturber les procédures en toute discrétion. Le réseau, qui opère depuis plus de dix ans, a fourni son assistance dans le cadre de centaines de poursuites judiciaires dans le domaine faunique.

En raison de son influence grandissante et de son efficacité constante, LAGA fait désormais partie de la délégation officielle de l’État camerounais aux réunions de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). D’autres États et ONG de défense des espèces sauvages en Afrique pourraient coopérer de manière similaire afin d’augmenter les ressources disponibles en matière de lutte contre le trafic et limiter l’usage de la corruption comme moyen de faciliter les crimes fauniques.

Renforcer la coopération régionale et internationale

Les États africains devront également coopérer pour mettre les ressources en commun, partager les informations et aligner leurs efforts diplomatiques. Plusieurs pays ont déjà commencé à travailler de concert pour combler les manques de gardes forestiers. Ainsi, le Gabon a déployé ses unités relativement sophistiquées de gardes forestiers en République centrafricaine pour tenter de résoudre le problème du braconnage transfrontalier. Le Mozambique et l’Afrique du Sud coopèrent d’une manière similaire pour mettre en place de nouvelles unités de pointe et renforcer leur coopération transfrontalière. L’institutionnalisation de la coopération et le partage d’informations entre bureaux douaniers et organismes africains et asiatiques d’application de loi sont tout aussi importants.

Les États africains peuvent également travailler conjointement à éviter les erreurs passées qui ont aidé à alimenter l’explosion récente de la demande d’ivoire et de corne de rhinocéros. Par le biais de la CITES, qui régit les transactions légales d’espèces sauvages, quatre États africains ont permis la vente unique de 102 tonnes d’ivoire extraites sur des éléphants morts de causes naturelles. Les quatre enchères, accordées à des négociants chinois et japonais en 2008 pour un montant de 15 millions de dollars É.-U., sont souvent décrites comme le déclencheur de l’explosion de la demande qui s’en est ensuivie, augmentant les prix et attirant ainsi différents militants et groupes du crime organisé en direction du braconnage et du trafic.20

Alors que la prochaine conférence de la CITES se déroulera en 2016, l’Afrique du Sud examine actuellement une proposition de vente unique d’un stock de 18 tonnes de corne de rhinocéros, dont elle promet de dédier les bénéfices à la conservation. Cependant, tout avantage généré par la vente risque fort d’être sapé par une explosion de la demande qui attirera encore plus de braconniers et criminels dans les parcs naturels d’Afrique du Sud. Prenant acte de ce risque, quatre États africains (le Botswana, le Tchad, le Gabon et la Tanzanie) ont fait vœu en février 2014 de renoncer à l’avenir à toute vente de stock d’ivoire. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Botswana a été impliqué dans la tristement célèbre vente d’ivoire de 2008.

Conclusion

Vu les tendances actuelles, l’Afrique verra disparaître dans un avenir proche deux de ses héritages naturels les plus uniques et les plus reconnaissables, les éléphants et les rhinocéros, résultat direct de l’augmentation de la demande internationale de « produits de prestige » et du comportement prédateur de groupes du crime organisé à la recherche de bénéfices lucratifs. Le trafic d’espèces sauvages n’est plus un simple défi de conservation : il s’est transformé en problème de sécurité. Les États africains doivent, avec l’aide de leurs partenaires internationaux non gouvernementaux et publics, agir plus promptement pour mettre en place une stratégie visant à ralentir et, finalement, à renverser cette menace qui approche à grand pas, et protéger leurs ressources naturelles pour les générations à venir.

Notes

  1. UNEP, CITES, IUCN, and TRAFFIC, Elephants in the Dust: The African Elephant Crisis (Norvège : GRID-Arendal, 2013), 32-33. “Tracking Poached Ivory,” Centre de biologie de la conservation de l’Université de Washington.
  2. John Bredar, “The Ivory Trade: Thinking Like a Businessman to Stop the Business,” National Geographic, 26 février 2013.
  3. Marina Ratchford, Beth Allgood, et Paul Todd, Criminal Nature: The Global Security Implications of the Illegal Wildlife Trade (Washington, DC: IFAW – Fonds international pour la protection des animaux, 2013), 12-14.
  4. Darren Taylor, “New Breed of Poacher Decimates African Rhino,” Voix de l’Amérique, 20 janvier 2012.
  5. Ratchford et al., 14.
  6. Mandi Smallhorne, “Think Local to Save Rhino,” Mail & Guardian, 1er novembre 2013.
  7. Fiona Macleod, “Poachers, Prostitutes and Profit,” Mail & Guardian, 22 juillet 2011.
  8. Julian Rademeyer, Killing for Profit: Exposing the Illegal Rhino Horn Trade (Le Cap: Random House Struik, 2012).
  9. Julian Rademeyer, “Rhino Butchers Caught on Film at North West Game Farm,” Mail & Guardian, 9 novembre 2012.
  10. “Kinana Refutes Ivory Trafficking Claims Made by Opposition MPs,” The Guardian, 8 mai 2013.
  11. Paula Kahumbu, Levi Byamukama, Jackson Mbuthia, et Ofir Drori, Scoping Study on the Prosecution of Wildlife Related Crimes in Kenyan Courts, January 2008 to June 2013 (Nairobi: Wildlife Direct, 2014).
  12. Per Liljas, “The Ivory Trade Is Out of Control, and China Needs to Do More to Stop It,” Time, 1er novembre 2013.
  13. “Rhino Horn Demand,” WildAid, 2012.
  14. Impact Evaluation on Ivory Trade in China, IFAW PSA: ‘Mom, I Have Teeth’, Rapid Asia Flash Report (China : IFAW – Fonds international pour la protection des animaux, mai 2013).
  15. Dan Levin, “From Elephants’ Mouths, an Illicit Trail to China,” The New York Times, 1er mars 2013.
  16. Brigitte Weidlich, “Namibia Offers Model to Tackle Poaching,” South African Press Agency/Agence-France Presse, 26 janvier 2013.
  17. Garth Owen-Smith, A Brief History of the Conservation and Origin of the Concession Areas in the Former Damaraland (Windhoek: Integrated Rural Development and Nature Conservation, November 2002). Daisy Carrington, “How Namibia Turned Poachers into Gamekeepers and Saved Rare Wildlife,” CNN, 23 octobre 2012.
  18. Kizito Makoye, “Anti-Poaching Operation Spreads Terror in Tanzania,” Inter Press Service, 6 janvier 2014.
  19. Entretien avec Justin Gosling, consultant indépendant en criminalité liée aux espèces sauvages, 21 février 2014.
  20. Bryan Christy, “China Ivory Prosecution: A Success Exposes Fundamental Failure,” National Geographic, 30 mai 2013.

Bradley Anderson est directeur régional du bureau de l’Afrique de l’Est au Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Johan Jooste est commandant pour les projets spéciaux au service des parcs nationaux d’Afrique du Sud et général de brigade à la retraite des forces nationales de défense sud-africaine.